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Redécouverte baroque à Dijon

Redécouverte baroque à Dijon

11 February 2019 | PAR Gilles Charlassier

Avide de redécouvertes, Leonardo Garcia Alarcon exhume pour Dijon, avant une tournée à Versailles, un bijou méconnu de l’opéra italien baroque, La finta pazza de Sacrati, contemporain de Monteverdi et Cavalli, dans une mise en scène élégante et inspirée de Jean-Yves Ruf.

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L’Histoire n’est pas toujours guidée par le hasard aveugle. Le premier opéra jamais représenté en France était La Finta pazza, de Sacrati, devant un jeune Louis XIV ébloui – il avait alors sept ans, en 1645. L’oeuvre qui a « inoculé le virus « opéra » – pour reprendre les mots du chef dans le programme – au royaume à la fleur de lys sur blason bleu, et que Lully – encore un italien ! – et autres installeront dans les mœurs esthétiques de la cour, est par la suite tombée dans l’oubli des bibliothèques. La résurrection ne pouvait trouver lieu plus symbolique qu’une maison française, Dijon, et plus encore le château de Versailles, coproducteur – même si l’Opéra Royal, dessiné par Gabriel, n’a été inauguré que cent-vingt-cinq ans plus tard, pour le mariage de Louis XVI et Marie-Antoinette.

L’oeuvre de Sacrati n’a rien d’un objet de circonstance. Elle s’inscrit dans les formes en vigueur à Venise dans les années 1640 – rappelons que la cité des Doges fut la première à ouvrir un théâtre lyrique payant au public, le genre étant jusqu’alors un divertissement exclusivement aristocratique – où drame et comique s’accouplent généreusement, à l’exemple du Couronnement de Poppée. Et l’on retrouve dans les aventures d’Achille, reconnu sous son déguisement de femme, et de Deidamie, la verve musicale et littéraire qui fait le sel du dernier opus de Monteverdi – à ce titre, le livret de Strozzi vaut largement celui que Busenello a tissé sur les amours de Néron. On y retrouve d’ailleurs des archétypes communs, à l’exemple du rôle travesti de la Nourrice grivoise. Pour autant, la pièce n’a rien d’une copie, et possède une invention riche et inspirée qui explique son succès à l’époque. C’est bien plutôt la négligence de la postérité que répare Leonardo Garcia Alarcon, grand réhabilitateur de Cavalli, autre maître de l’opéra vénitien du seicento qui a poursuivit sa carrière chez le Roi Soleil.

La mise en scène de Jean-Yves Ruf, qui avait déjà collaboré avec le chef argentin pur Elena de Cavalli en 2013, participe de la réussite de cette redécouverte. Façonné avec poésie par les lumières de Christian Dubet, le décor économe de Laure Pichat sait évoquer autant un esquif sur le point d’accoster – très belles ondulations de nuées de fumées – qu’un intérieur dépouillé se prêtant, sans avoir besoin de beaucoup d’accessoires, aux lieux successifs de l’intrigue, tandis qu’après l’entracte, c’est sous une généreuse frondaison que se placera l’heureux dénouement. L’épure vaguement antique se retrouve dans les costumes de Claudia Jenatsch. Équilibré, le jeu d’acteurs rend justice à la versatilité des affects, et nourrit une belle maîtrise humoristique, jusque dans les numéros dans la salle, à l’instar du lever de rideau après l’entracte emmené par la Nourrice de Marcel Beekman, véritable bout-en-train qui ne sacrifie jamais le sens du style à l’effet.

Le plateau vocal n’est au demeurant pas avare en incarnations marquantes. Si l’on ne peut avoir une idée que littéraire de la créatrice du rôle-titre, Deidamie, Anna Renzi, l’engagement irradiant de Mariana Flores donne sans peine une mesure de l’aura de l’amoureuse autour de laquelle tourne le drame. Filippo Mineccia affirme un Achille à la fois valeureux et sensible. Si l’Eunuque de Kacper Szelazek assume un deuxième contre-ténor savoureux, l’Ulisse de Carlo Vistoli cède davantage aux stéréotypes de la tessiture. Valerio Contaldo ne manque pas de vigueur ni de sentiment en Diomède, l’amant malheureux, quand le Capitaine de Salvo Vitale et le Licomède campé par Alejandro Meerapfel se montrent solides dans le registre grave, un rien plus fruste peut-être chez le second, le roi. Scott Conner, Vulcain et Jupiter, définit également une basse robuste. Des deux divinités qui se balancent suspendues, dans une acrobatie olympienne, on préférera l’Aurore de Julie Roset, également Junon, à la Renommée acide de Norma Nahoun, aussi Minerve. Fiona McGown assume les interventions de Tétide et Victoire, tandis que les trois demoiselles sont confiées à des solistes du Chœur de l’Opéra de Dijon. A la tête de ses quatorze musiciens de la Cappella Mediterranea, Leonardo Garcia Alarcia fait vivre les couleurs et les ressources rhétoriques d’une partition qu’il aurait été dommage de laisser somnoler dans la poussière plus longtemps. L’instinct, l’intime connaissance de ce répertoire et le savoir-faire du chef argentin ne pourront que convaincre : c’est un chef-d’oeuvre que l’on vient de redécouvrir.

La finta pazza, Sacrati, mise en scène : Jean-Yves Ruf, Grand-Théâtre, Dijon, février 2019

©Gilles Abegg – Opéra de Dijon

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Gilles Charlassier

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