Arts
Un admirable drame musical : L’Orfeo de Monteverdi

Un admirable drame musical : L’Orfeo de Monteverdi

07 April 2023 | PAR Jean-Marie Chamouard

 

L’Orfeo de Monteverdi est joué le 5 Avril 2023 à la Seine Musicale en version concert. Leonardo Garcia Alarcon dirige l’ensemble Cappella Mediterranea et le Chœur de Chambre de Namur.

 

Le premier opéra de l’histoire de la musique

«Orfeo, favola in musica»: Orphée, une fable en musique. L’œuvre de Claudio Monteverdi (1567-1643) fut créée au théâtre du palais ducal du Duc de Mantoue, pour le carnaval, le 24 Février 1607. Ainsi naquit le premier opéra de l’histoire de la musique. Il est très innovant, par la riche instrumentalisation et par l’introduction du chant monodique. Orphée a été composé à une époque charnière entre la renaissance et le baroque. C’est un retour au théâtre grec dont on sait qu’il était chanté. Monteverdi s’empare du mythe d’Orphée. A la mort de son épouse Eurydice, il rejoint les enfers pour la retrouver, mais s’étant retourné pour regarder le visage aimé, il ne pourra la sauver.
Le chef d’orchestre suisse et argentin Leonardo Garcia Alarcon a fondé en 2005 l’ensemble baroque Cappella Mediterranea . Il est également, depuis 2010, directeur artistique du Chœur de Chambre de Namur. Ce soir, il dirige ces deux formations et propose des sonorités inédites grâce à ces recherches sur le jeu de la basse continue au 17ème siècle.

De talentueux solistes

Le ténor suisse Valerio Contaldo interprète Orphée : un rôle immense. Sa voix est chaude , suave lorsqu’il célèbre l’amour heureux dans le premier acte. Venant d’apprendre la mort d’Eurydice, il chante le caractère éphémère du bonheur. Son récitatif «Tu se’ morta, mia vita» est très émouvant, comme son chant de colère et de désespoir au début du 5? acte quand il a de nouveau perdu Eurydice. Valerio Contaldo nous offre toute une palette d’émotions. Il exprime la crainte face au gardien des enfers, l’amour plus fort que tout lorsqu’il se retourne sur Eurydice, le désespoir absolu lorsqu’il tombe à terre au dernier acte.
La cantatrice argentine Mariana Flores incarne la musique lors du prologue puis Eurydice. Sa voix se fait douce, tendre lors de son duo d’amour avec Orphée. Elle est très émouvante dans sa douleur lorsqu’elle annonce son inéluctable disparition.
La Mezzo soprano Guiseppina Bridelli chante Silvia, la messagère du malheur. Elle débute doucement, comme si elle n’osait pas annoncer la terrible nouvelle, puis l’affliction, la tristesse, la colère, vont croissantes. C’est un moment très dramatique, Orphée et les bergers se figent, la vie bascule. Salvo Vitale est le gardien de l’enfer. Il chante du premier balcon. Sa voix de basse est profonde, superbe, inquiétante aussi. Le baryton Alejandro Meerapfel apparaît comme un Pluton majestueux, inflexible, sa voix est ferme, puissante, mais il se laissera fléchir par Proserpine, interprétée par Anna Reinhold, par sa voix douce, mélodieuse, séductrice.

Le rôle majeur de l’orchestre

La version concert de l’opéra rend peut-être le spectateur plus attentif à l’orchestre. L’orchestration est très riche, très inventive, très expressive aussi. Dès l’ouverture, les cornets, Les Sacqueboutiers, les violons, le tambour, sonnent une toccata à la gloire du Duc de Mantoue. La musique de l’orchestre sera tour à tour joyeuse et dansante lors de la célébration de l’amour d’Orphée et d’Eurydice, solennelle, aux portes de l’enfer. Des accents déchirants annoncent le retournement d’Orphée qui scellera la perte d’Eurydice. La harpe, les violoncelles et le clavecin forment la basse continue qui soutient, valorise le chant des solistes. À chaque situation correspond un instrument : la flûte à bec charme les bergers, le magnifique solo de harpe est la lyre qui endort le gardien. Un solo d’orgue accompagne l’espérance d’Orphée quand Eurydice paraît sauvée par Pluton. Les chœurs se joignent à l’orchestre dans les superbes chants à la gloire d’Orphée qui a vaincu les forces de l’enfer.

Le retour au mythe grec

Monteverdi a voulu écrire un drame musical.Peut être a t’il été inspiré par la douloureuse maladie de sa femme qui mourra dans l’année. La version concert n’a pas diminué l’intensité dramatique de l’opéra grâce au jeu d’acteurs des solistes, grâce à leurs mouvements, leurs expressions. Ils utilisent toute la salle. Ainsi Apollon chante du balcon , sa voix paraît venir du ciel. Grâce aussi à la beauté, la poésie du texte d’Alessandro Striggio que l’auditeur peut lire sur un écran.
«Las, étoiles cruelles, ciel inexorable ». Las, destinée acerbe, sort barbare et funeste ». La révolte ou la soumission au destin, la souffrance face au caractère éphémère du bonheur sont au cœur du drame. Orphée est déchiré entre l’amour et l’obéissance aux dieux . L’opéra est aussi une ode à la musique et Orphée remercie la lyre de lui avoir permis de délivrer Eurydice. Mais une fin tragique n’était pas du goût de l’époque, Monteverdi et Striggio ont dû la modifier . La moresque finale, ce ballet céleste, tranche avec le reste du drame. Orphée sera sauvé, mais dans un autre monde, en échappant à sa condition de mortel.
Beauté, inventivité de la musique, harmonie entre les chœurs, les solistes et l’orchestre. Ce premier opéra a été un coup de maître. Un coup de maître servi par une remarquable interprétation.

Visuel:©JMC.

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Jean-Marie Chamouard

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