Opéra
Ébouriffant retour d’Ulysse au Grand Théâtre de Genève

Ébouriffant retour d’Ulysse au Grand Théâtre de Genève

04 March 2023 | PAR Pascal Gauzes

Le Grand Théâtre de Genève propose une mise en scène du FC Bergman des plus iconoclastes du moins connu des trois opéras de Claudio Monteverdi, Le retour d’Ulysse (Il ritorno d’Ulisse in patria). Déroutante mais servie par des performances vocales remarquables, cette production embarque une très large majorité du public genevois.

La guerre de Troie a bien eu lieu. Le retour d’Ulysse s’avère bien plus complexe que prévu, et Pénélope son épouse, qui l’attend à Ithaque, se refuse aux avances de nombreux prétendants. Alors qu’elle promet de se donner à celui qui saura utiliser l’arc de son époux, qu’elle pense disparu ; Ulysse, sous les traits d’un mendiant, révèle l’heureuse issue de son odyssée.

Un des premiers opéras pour l’un des plus anciens récits

Ce récit mythologique grec, sans conteste le plus connu grâce au récit homérique, est forcément un temple auquel il est difficile de toucher. Rajoutant à cela, la partition baroque de Monteverdi, considéré comme le créateur de l’opéra avec l’Orfeo, le mettre en scène de manière contemporaine est un challenge, relevé pour l’occasion haut la main, avec grande intelligence, malgré quelques coupes sombres et gimmicks superfétatoires, que les performances vocales font vite oublier. Basculant à dessein dans l’overdose de clichés, la seconde partie en devient absolument jouissive.

Un plateau de grande qualité

Les premières minutes du prologue inquiètent autant par l’ascétisme des lumières que par la diction élégiaque de la fragilité humaine, interprétée par le ténor Mark Padmore et l’invisibilité des trois tourments (le temps, la fortune et l’amour), dont la présence n’est révélée que par un grand panneau d’affichage. A l’issue du prologue, le rideau se lève sur une aérogare où l’on découvre les premiers protagonistes, tout de noir vêtus. Pénélope (la contralto Sara Mingarda) éblouit dès les premières notes avec une diction parfaite et une maîtrise vocale laissant la part belle aux sentiments. Au fil des arias, le plateau offre un ensemble homogène et de grande qualité avec quelques moments de pure magie, à l’image de la basse d’une abyssale profondeur de Jérôme Varnier en Neptune. On redécouvre Mark Padmore, dans le costume d’Ulysse cette fois, faisant voler en éclat les inquiétudes suscitées par le choix de diction du prologue. Dans les derniers arias, d’ailleurs, Pénélope et Ulysse impressionnent par leur capacité à exprimer une large palette de sentiments, sublimant  l’humanité que cette mise en scène a choisi de privilégier.

La mise en scène du FC Bergman

C’est justement cette dernière, commise par FC Bergman qui peut diviser par sa dimension ultra contemporaine. Dans un hall d’aéroport, dieux et humains et humains se côtoient pour une fin d’odyssée d’Ulysse qui prend des tournures de catachrèse de série Z. Si le choix d’une aérogare pour symboliser le voyage dans sa version actuelle semble parfaitement adapté, on n’en reste pas moins surpris, voire circonspect, de découvrir une chèvre devant son ballot de paille à la descente d’un escalator pour accompagner Mark Mihofer, un Eumete aux cheveux ébouriffés et paillés, ou voir Minerve (Giuseppina Bridelli) arriver sur un char tiré par un cheval. L’écran, qui fait apparaître comme des destinations avec leurs horaires toutes les occurrences des trois tourments (évoqués dans le prologue) permet aux plus rétifs d’avoir une idée de l’heure sans regarder leur montre et donne une véritable ambiance aéroportuaire. Les variations d’affichage permettent aussi de parfaitement régler les problématiques récurrentes d’anthropophanie des dieux de l’Olympe, qui dans leurs versions purement divines plongent dans le noir la scène simplement éclairée par leur nom en LED sur ledit écran. Les quelques « effets spéciaux » pour symboliser l’action des dieux, sont eux en revanche presque dommageables. De plus, une esthétique camp apparaît, mais de manière trop sporadique : le costume de Télémaque, certains atours d’Ulysse ainsi que les allusions aux épreuves qu’il a surmontées qui tournent sur le carrousel à bagages comme des valises de souvenirs. Ainsi à l’entracte, on s’interroge sur le parti – soit trop soit pas assez – pris dont les aspérités font rire la salle, parfois presque nerveusement.

Heureusement, après l’entracte, la mise en scène bascule dans le trop, voire le beaucoup trop, pour notre plus grand plaisir. On enchaine les stéréotypes : les Prétendants qui se déshabillent progressivement pour montrer leur virilité, virilité que l’on découvre, pour certains, dans les détails les plus intimes. L’épreuve de l’arc proposé par Pénélope se transforme en véritable bain de sang, dans une esthétique parodique de slasher américain. Le déclenchement des buses à incendie souligné par le merveilleux jeu de lumières de Ken Hioco plonge la scène dans une brouillard aussi dramatique que tragi-comique, les Prétendants gisants encore çà et là dans leur sang dans des positions incongrues. Ce sont enfin des dieux en créatures queer qui viennent parachever ce tableau au style tout sauf pompier. Par opposition, la direction de Fabio Biondi est d’une grande sobriété, laissant ainsi la part belle au plateau vocal qui lui rend bien et assurant ainsi un subtil équilibre entre sentiers battus et hors-pistes scénographiques.

Ce retour d’Ulysse est sans conteste une réussite, et parvient à nourrir, avec cette vision sanglante d’un aéroport, la thématique de la saison du GTG que sont les migrations. La mise en scène peut se permettre de bousculer les codes grâce à un plateau et un orchestre irréprochables. Elle pose à nouveau la question de la transposition contemporaine, mais également celle de la désacralisation de l’écoute par les réactions qu’elle provoque dans le public (ici beaucoup de rires, très francs et sincères dans la deuxième partie de la représentation). La querelle des Anciens et des Modernes a toujours de beaux jours devant elle au bord du Léman.

Le retour d’Ulysse (Il ritorno d’Ulisse in patria) – Opéra – dramma per musica de Claudio Monteverdi – Livret de Giacomo Badoardo – Grand Théâtre de Genève – Infos et réservations ICI
27 et 28 février, 2, 3 et 7 mars 2023.
Avec le chœur du Grand Théâtre de Genève et l’Ensemble Europa Galante dirigé par Fabio Biondi – Mise en scène et scénographie : FC Bergman

Photos : © Magali Dougados

 

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Pascal Gauzes
Pascal Gauzes est ingénieur agronome et diplômé de SciencesPo Paris, après avoir commencé sa carrière en marketing, il s'est orienté vers le monde de l'art et de la culture en dirigeant une galerie pour artistes émergents et en tant que directeur communication d'un musée parisien. Il collabore avec Toute La Culture depuis presque 10 ans.

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