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Artistes voyageuses au Palais Lumière d’Evian, le clou d’un séjour

Artistes voyageuses au Palais Lumière d’Evian, le clou d’un séjour

03 March 2023 | PAR Sabina Rotbart

Exposition audacieuse, thermes délicieux, hôtels de grand charme, le bord du Léman multiplie les initiatives séduisantes.

La révolte des caleçons

Avez-vous déjà entendu parler de la révolte des caleçons ? C’est le mouvement féminin revendiquant de réaliser de vrais nus masculins d’après nature. Car longtemps le voile d’un hypocrite caleçon couvrait les avantages de ces messieurs. Nous ne réalisons pas toujours à quel point avant 1900 les femmes étaient exclues des formations artistiques de haut niveau, notamment de l’École nationale des Beaux-Arts (il faut se souvenir du contexte, les femmes ne disposent librement de leur salaire qu’en 1904 et n’obtiennent le droit de vote qu’en 1944 !). A l’entrée de l’exposition qui se tient jusqu’au 21 mai dans ce très beau Palais Lumière d’Évian, anciens thermes superbement restaurés, une intéressante frise historique retrace les avancées de l’émancipation féminine pour contextualiser celle, encore plus laborieuse, des femmes artistes.  

Au commencement les femmes artistes bénéficient de l’atelier de leur père ou de leur frère à moins d’être autodidactes. Puis des académies réservées aux femmes s’ouvrent souvent d’ailleurs destinées aux mondaines aisées qui y arrivent avec leur servante et leur petit chien ! C’est le cas de l’Académie Julian où des célébrités académiques comme Bouguereau interviennent à partir de 1873. Ces cours permettent une première émancipation, les candidates gagnent des bourses et partent ainsi se former à l’étranger (prix de Rome) ou vont peindre ailleurs sur le motif (prix coloniaux). Mais il faudra attendre 1911 pour qu’une femme dûment formée obtienne un prix de Rome.

Un regard autre sur l’univers colonial

Parmi les artistes exposées à Évian toutes ne sont pas d’audacieuses exploratrices comme Alexandra David-Neel qui parcourut le Tibet dans les années vingt soutenue financièrement par un mari complaisant. Certaines accompagnent simplement leur conjoint dans de lointaines contrées coloniales qu’elles ne critiquent pas d’entrée de jeu sauf certaines comme l’audacieuse Lucie Cousturier, amie de Signac qui apprendra d’ailleurs à lire à des soldats coloniaux. Mais ces épouses de peintres, de savants, d’archéologues ou de géographes transforment l’aventure coloniale en parcours personnel et fécond. Leur regard est loin de l’Orient fantasmé, des habituels stéréotypes orientalistes qui plongent dans des sérails lascifs à l’abri des moucharabiehs …Car ces femmes s’intéressent au quotidien, aux artisanes en train de tisser des tapis, vues comme des alter ego (Le tissage de Lucas-Robiquet par exemple). Parfois leur talent de portraitiste leur a permis de pénétrer dans l’univers de l’intimité féminine (Henriette Browne). Mais parfois elles s’intéressent aux invisibles comme ces tirailleurs sénégalais en garnison près de chez elles. Ne passant alors sous silence ni la guerre ni l’occupation occidentale. Le regard est finalement plutôt ethnographique (femmes de Biskra de Marie-Claire Tonoir). Si beaucoup se limitent à l’Afrique du Nord où parfois elles finissent par s’installer, certaines iront jusqu’ en Afrique de l’ouest, en Inde ou au Vietnam.

 

Des œuvres passionnantes enfin visibles

L’approche genrée de l’exposition donne enfin leur juste place à des œuvres méconnues ou du moins un peu perdues dans un propos plus général. Comme ce très beau « Femmes arabes au cimetière de Tanger « de Grace Ravlin, une américaine installée en France qui voyageait dans le monde entier dans le monde entier et saisit de façon saisissante l’unique sortie autorisée des femmes du Maghreb, dont le voile efface le visage. Venue du Quai Branly où nous ne l’aurions pas forcément autant remarquée, « Cortège de quatorze personnages », œuvre monumentale de Marie-Antoinette Bouillard-Devé se déploie à la fin de l’exposition. C’est une procession indochinoise réalisée pour le Pavillon Indochine de l’exposition coloniale, une somptueuse galerie de portraits où sous le prétexte d’une présentation des ethnies d’Indochine chaque personnage acquiert une singularité. Formidablement scénographiée avec des salles très bien rythmées par de légers rolls, l’exposition utilise de façon impressionnante un espace finalement modeste.

Le choix est très éclectique, mais certaines œuvres accrochent irrésistiblement le regard comme celles de Jeanne Thill, affichiste aux très beaux coloris qui travaillait pour la Transat ou Thérèse le Prat.  Recevant comme cadeau de divorce de son premier mari un appareil photo celle-ci en fait le meilleur usage et devient photographe. Si les affiches publicitaires très graphiques qu’elle a réalisées pour la Compagnie des Messageries maritimes lui ont permis de voyager au bout du monde, ses portraits de tahitiens à la Gauguin impressionnent par la crudité des regards qui n’ont vraiment rien à voir avec les habituelles vahinés languides !

Le parti pris de la curatrice qui ne se limite pas aux artistes françaises mais l’élargit à celles formées en France permet de découvrir le travail de chinoises venues au début du XXème siècle dans les écoles parisiennes au moment où le savoir-faire occidental était valorisé. Le visiteur découvre ainsi la très passionnante Pan Yuliang vendue enfant comme servante et promise à la prostitution (elle sera finalement rachetée par son mari). Sa touche très visible, la présence de traits typiques de la peinture chinoise, l’érotisme des corps confèrent une véritable originalité à sa production. S’il n’y a pas ici de peinture « féminine » stricto sensu comme celle bien plus tard de Georgia O’keeffe, ces débuts artistiques montrent déjà un regard vraiment autonome. Artistes voyageuses, l’Appel des lointains, 1880-1944, 200 œuvres, 40 artistes, jusqu’au 21 mai 2023 au Palais Lumière d’Évian. Un catalogue très documenté sous la direction d’Arielle Pélenc, coproduction du Musée de Pont-Aven. Snoeck 35 euros. Pour en savoir plus : http://www.eviantourisme.com

 

Évian ne mérite pas un détour mais plutôt un séjour

Comment une petite ville de 11000 habitants peut-elle construire des expositions d’une telle rigueur se demandera peut-être le béotien ? C’est oublier qu’ Évian c’est l’origine de Danone, la capitale de l’eau pour nourrissons (un positionnement génial imaginé par Riboud qui la fait entrer dans toutes les maternités et partant dans toutes les familles). Une eau vendue dans le monde entier, considérée comme un produit de luxe dans un pays comme le Japon. L’usine d’embouteillage à l’extérieur de la cité est la plus grande au monde.

On l’aura compris, la petite cité lémanique dispose de moyens exceptionnels (et d’un excellent directeur artistique qui sait choisir les curateurs du palais Lumière).  On restaure activement le patrimoine thermal (buvettes Cachât XIXème, buvette XXème créée par Jean Prouvé ) mais aussi le casino Belle époque. Cerise sur le gâteau, La Grange au lac, le très bel auditorium tout en bois de cèdre construit autrefois par Riboud pour son ami Rostropovitch se refait une beauté et une acoustique. Il sera prêt fin juin pour les célèbres Rencontres musicales d’ Évian dont Renaud Capuçon venu de l’autre rive du Léman est maintenant le directeur artistique ! La saison promet d’être un sommet ! (www.lagrangeaulac.com ) du 28 juin au 8 juillet).

La Grange au lac
La Grange au lac

Évian, c’est aussi l’Évian resort, la « maison de famille « des Riboud,  un parc de 20 hectares  cogéré avec la LPO sur lequel se déploient les deux hôtels l’Ermitage (un 4* charmant, pas du tout collet monté, idéal pour un long week-end www.hotel-ermitage-evian.com un spas Quatre terres avec des produits originaux) et le Royal, le palace historique . Sans oublier l’irrésistible Kid’s resort un lieu formidable où les enfants sont animés au sens littéral du terme par une équipe de permanents et où ils partent selon la saison faire du ski tout près ou des sports d’eau (gratuit pour les résidents des deux hôtels de 3 à 17 ans !). Luxe suprême leurs repas sont servis dans une « salle de restaurant » qui imite celle des grands !

Hotel Ermitage

°Pour y aller, le meilleur chemin, à la fois le plus rapide et le plus poétique consiste à filer à Lausanne en Lyria (de très bons tarifs jusqu’à fin mars, à partir de 29 euros l’aller), puis de prendre le ferry à Ouchy, le port de Lausanne ce qui permet d’accoster à Évian 30 minutes plus tard.

° Pour déjeuner en ville : le Muratore, dans la jolie rue centrale aux belles devantures conservées. Cuisine de bistro traditionnel très réconfortante !

° Les thermes, démocratiques et impeccables, un lieu où se faire pouponner agréablement. Incontournables! www.evianresort.com

Le Casino

 

 

 

 

 

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Sabina Rotbart
journaliste en tourisme culturel, gastronomie et oenotourisme. [email protected]

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