Marionnette
Les Casteliers, le grand écart entre les cultures de la marionnette

Les Casteliers, le grand écart entre les cultures de la marionnette

04 March 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Au troisième jour du festival de Casteliers de Montréal, un peu moins de spectacles et plus de rencontres professionnelles, mais c’est l’occasion de faire un tour du côté du OUF! c’est-à-dire du Off du festival. Après avoir assisté à une représentation de La potion de réincarnation de la Compagnie de marionnettes Jin Kwei Lo au Théâtre Outremont, on se dirige donc vers Ursa Mtl pour assister à une série de petites formes plutôt très bien faites.

La potion de réincarnation : les gaines taïwanaises à califourchon entre tradition et modernité

Il faut garder l’esprit très ouvert pour découvrir des spectacles de marionnettes de cultures éloignées : comme il s’agit d’un art – le 11e art dit-on ici au Québec – codifié, qui joue sur les symboles et l’entendement du public, on se retrouve parfois à faire un peu le grand écart face à une proposition venant de lointains horizons.

Pour un.e spectateur.rice rompu.e aux codes de la marionnette contemporaine occidentale, La potion de réincarnation de la Compagnie de marionnettes Jin Kwei Lo était un objet étrange mais vraiment intéressant, en ce qu’il se situait à mi-chemin entre un exotisme qui pouvait susciter une certaine fascination, et une tentative de modernité un peu décalée par rapport à nos standards et qui nous renvoyait donc à nos propres représentations du monde et de la société. Un mix assez étonnant, pour une expérience qui ne l’était pas moins.

De la tradition, La potion de réincarnation reprend les marionnettes très minutieusement façonnées, leurs costumes soigneusement conçus, les jambes qui caractérisent les gaines chinoises et taïwanaises, la musique jouée en direct sur des instruments en partie traditionnels, l’inclusion de partie chantées au texte, et le fait de puiser la trame du récit dans trois contes de l’île, cependant un peu réadaptés. Des passages de théâtre d’ombre sont aussi parsemés à certains endroits du spectacle.

A la modernité, la troupe emprunte une manipulation à vue tellement assumée que même lorsqu’un tissu est tendu ou un castelet employé, le matériau n’est jamais opaque. Tout aussi bien, certains personnages sont interprétés en masque ou directement par une actrice – d’ailleurs, dans la tradition, les femmes ne sont pas censées participer au théâtre de marionnettes. Une voix off vient commenter à intervalles réguliers l’histoire de la compagnie, et le travail de marionnettiste à Taïwan – sans doute un dispositif conçu spécialement pour les tournées internationales. Les histoires sont quelques peu revisitées dans leur agencement et leur présentation, pour leur donner une tournure dont on devine que la compagnie l’a voulue un peu féministe, même si, en dernière analyse, le personnage central féminin ne se définit que par rapport aux hommes dont elle veut faire la conquête, et que tout tourne autour de l’amour et du couple, même si la femme prononce à un moment une réplique où elle se demande pourquoi son bonheur devrait dépendre d’une tierce personne… Peut-être est-ce osé pour Taïwan, cela l’est moins si on se place du point de vue du féminisme nord-américain… Tout est question de relativité !

Au-delà du fond, la facture des marionnettes est tout à fait superbe, entre visages aux traits fins peints à la main et costumes aux broderies somptueuses.

Les marionnettistes taïwanais sont réputés pour leur maestria en matière de manipulation, et la Compagnie de marionnettes Jin Kwei Lo semble au niveau, même si elle ne joue pas sûr l’épate : c’est une manipulation en partie formelle et codifiée, mais même le balais rigides des courbettes et salutations, ou la façon peu réaliste et très chorégraphiée de mettre en scène les combats – qui ressemblent plus à Tigre et Dragon qu’à la bastonnade de Guignol – sont plutôt fascinants. Le plaisir que les marionnettistes prennent manifestement à jouer, et leur façon très gracieuse d’évoluer dans l’espace, ne font pas peu pour rendre l’ensemble plaisant. Jouant devant et derrière des voiles parcourus d’ondulations, ou complètement à vue et à bout de bras, ils atteignent un rythme et une musicalité dans la voix qui rend l’écoute agréable alors même qu’on ne comprend pas un traître mot de ce qu’ils disent.

Pourtant, et à comparer avec d’autres artistes virtuoses tels que Yeung Fai, bien connu en France, on reste un peu sur sa faim. La technique n’est pas si poussée ici, et la façon de travailler la tradition dans la modernité laissé un peu sur sa faim…

Une expérience intéressante, néanmoins, qui met en perspective certaines de choses que l’on croyait savoir sur les marionnettistes taïwanais.

Le OFF quand même bien OUF!

En parallèle du festival, une petite équipe de bénévole menée par le quatuor Mylène Guay, Antonia Leney-Granger, Lucile Prosper et Iris Richert organise le OUF!, qui permet de clôturer les soirées en mode cabaret marionnettique si l’on a pas eu son compte de spectacles dans la journée. Le lieu est petit et furieusement sympathique, l’ambiance chaleureuse, les moyens limités mais l’accueil donne envie de revenir.

On commence les présentations avec le Théâtre de la Pire Espèce, l’une des compagnies québécoise les plus inventives et les plus puissantes dans le jeu… et le trio qui monte en scène ne déçoit pas. La Famille en Formica, qui est une courte forme de théâtre d’objet tirée de L’anatomie de l’objet, traité n°5 : l’état des choses, le dernier spectacle de la compagnie, constitue une sorte de soap opéra tragique et outré, une histoire de familles qui se déchirent, de pompistes louches et d’accidents de voiture. En une douzaine de minutes, les personnages sont clairement installés, les situations s’enchaînent sans discontinuer, pour une traversée syncopée de l’œil du vortex, un tourbillon ininterrompu de déchirements et de catastrophes.

L’interprétation est engagée et convaincante, le léger surjeu propre au genre imité pleinement assumé – on est à mi-chemin entre Amour, gloire et beauté et David Lynch, cela n’invite pas à la sobriété dans l’interprétation –, l’humour grinçant au second degré bien maîtrisé. C’est fou, c’est libre, ça part dans tous les sens, impossible de ne pas se faire embarquer alors même que ce monde-là jour dans un espace de 3m² où les sorties se font en tournant le dos au public sans pouvoir s’éclisper à la vue du public. Conditions extrêmes, mais maîtrise totale, l’énergie et la justesse des acteurs, plaquées sur une écriture scénique et visuelle imparables, emportent tout sur leur passage.

Excellente surprise pour clore la soirée, Psycho-Carotte d’Isabelle Bartkowiak nous contraint à revisiter la vieille admonition selon laquelle il ne faut pas jouer avec la nourriture. On doit y ajouter : sauf si c’est pour en faire un spectacle de marionnettes. On fait donc la connaissance de Georges, un avocat – au sens le plus légumier du terme – qui aime les belles affaires, qui a de grands yeux et de belles chaussures, et aussi une belle blonde, et quelques bâtisses avec des locataires qu’il n’hésite pas à expulser quand ils ne sont pas assez profitables : exit les “vieillards et les “petits cancéreux”, Georges aime le pognon et n’est pas là pour faire la charité. Ce personnage antipathique et sa blonde – citronnée, au sens le plus fruitier du terme – vont tomber sur un os, cependant, sous la forme d’une vieille carotte qui n’a pas l’intention de s’en laisser conter.

A partir de cette proposition de départ, on peut aller dans deux directions : abandonner, et chercher un autre boulot, ou se dire qu’on tient un truc plutôt délirant, et y aller à fond. Heureusement, Isabelle Bartkowiak prend la deuxième option, et ne recule devant aucun excès pour rendre son histoire improbable absolument désopilante. Ses marionnettes-légumes se retrouvent plongées dans un univers qui empruntent aux codes à la fois du slasher et du film d’horreur, avec exécutions sommaires, zombies, surprises gores et suspense en carton.

Parce que c’est joué avec tout l’excès nécessaire, c’est vraiment très drôle, même si l’emballement de certaines scènes les rend un peu moins lisibles. Parce que c’est écrit sans se prendre au sérieux, avec une immense louche de second degré – le personnage de la blonde ira jusqu’à faire remarquer que l’écriture est tellement inaboutie qu’elle n’a même pas de prénom – et sans prétendre avoir un propos philosophique complexe – même si on pourra rebondir sur la question de la crise du logement et l’efficience de l’économie de marché dans la juste satisfaction des besoins du plus grand nombre – c’est très plaisant. Une parenthèse délirante qui se suffit bien à elle-même, un récit pour réchauffer les zygomatiques un peu figés par le froid de l’hiver.

GENERIQUE

LA POTION DE REINCARNATION
Texte : Ching Fu-Chin et Ko Shih-Hing
Mise en scène : Cheng Chia-Yin
Direction artistique : Kochiang Szu-Mei
Scénographie : Zheng Shengwen
Éclairage et régie : Tahir Mohamed Fita Helmi Bin
Marionnettes : Leung Menghan, Shih-Hung Ko, Shih-Hua Ko
Musique : Chiang Chien-HSing
Arrangements des voix : Wu Yating
Interprètes : Ke Shihong, Ke Shihua et Liu Yuzhen
Technique: Lai Wei-Yu
Traduction : Su Wei-Jeune
Interprètes: Shih-Hung Ko, Shih-Hua Ko, Yu-Jane Liu

LA FAMILLE EN FORMICA (courte forme tirée de “L’anatomie de l’objet, traité n°5 : l’état des choses”)
Par le Théâtre de la Pire Espèce
Avec : Jérémie Desbiens , Karine St-Arnaud et Marie-eve Trudel

PSYCHO-CAROTTE
Conception et jeu : Isabelle Bartkowiak

Photo : Jérémie Dubé-Lavigne

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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