La bohème à l’opéra : cosmique
Nouvelle distribution, nouvelle direction pour cette revisite lunaire – déjà présentée en 2017 – par Claus Guth de La Bohème de Puccini à Bastille. A l’atterrissage : un public très mitigé d’autant qu’aucune performance ne permet de mettre réellement sur orbite cette version plus que dispensable.
Une bande d’amis sous acides fait un voyage galactique durant lequel alternent des moments de lucidité dépressive et d’euphorie. En pleine descente de psychotropes, ils s’échouent sur un pseudo rocher, et l’un d’eux fait une expérience de mort imminente, pour finalement succomber d’une insuffisance respiratoire due à une overdose. Ce scénario entre le road trip ou le buddy movie serait parfait pour un film de prévention contre les méfaits de la drogue et pourrait même faire rire, si la Bohème n’était pas à pleurer.
En effet, c’est ainsi qu’on peut caricaturer la mise en scène de La Bohème actuellement proposée à Bastille. Vaisseau spatial et paysage lunaire… Claus Guth transforme le drame puccinien, à l’intrigue certes un peu faible, en une soirée digne du plus grand cabaret du monde de Patrick Sébastien, enlevant même toute l’émotion de l’opéra, remplaçant les larmes par des rires. Considérant, à raison, que l’intrigue autour de Mimi est faible, et se compose surtout de flashbacks et de rêves, Guth choisit d’illustrer le manque de connexion au réel des protagonistes. Absence d’ancrage, vie rêvée… on pourrait croire aux chapitres d’un livre de développement personnel. Pour enfoncer le clou, Guth décide même de faire s’afficher au début de chaque acte une pseudo communication unilatérale entre le vaisseau et la salle pour permettre de mieux comprendre la dramaturgie. En filigrane, il tente surtout de nous faire comprendre pourquoi nous devons adhérer à sa vision, au risque de passer pour des extra-terrestres.
Dans ce brouhaha scénique, les performances du plateau n’ont que peu de formes de salut : la perfection ultime ou la justesse des sentiments. Malheureusement, aucune prestation n’arrive à ce niveau. Ailyn Perez en Mimi, est touchante mais reste très académique et est parfois dépassée, Joshua Gerrero, quant à lui, même s’il semble plus à l’aise dans la deuxième partie, est un Rodolfo ayant du mal à faire porter sa voix dans l’espace. Les autres rôles restent dans la même veine, conférant au tout un air de comédie musicale plus que d’opéra. Michele Mariotti choisit quant à lui une direction sans aspérité, un peu ampoulée, tel le chef d’orchestre du Titanic, refusant de voir le naufrage dans lequel il est embarqué.
Bien qu’il y ait moins l’effet de surprise que six ans auparavant, il faut avoir le cœur bien accroché pour survivre à cet alunissage forcé. Cette mise en scène excessive en quasi forme d’opéra rock, séduit sans conteste une partie du public, mais interroge sur l’évolution de l’opéra.
Pour finir de filer la métaphore cosmique, cette mise en scène suscite les mêmes réactions que l’explosion de Starship d’Elon Musk : soit on salue l’exploit qu’un tel projet puisse voir le jour et qu’il s’inscrive dans une démarche de progrès ou, de manière peut-être légèrement réactionnaire, on déplore que cette débauche d’énergie ne soit ainsi gâchée que pour flatter des égos déjà démesurés.
La Bohème de Giacommo Puccini
Opéra de Paris – Bastille
Du 2 mai au 4 juin 2023 – Réservations ICI
Direction musicale : Michele Mariotti
Mise en scène : Claus Guth
Avec l’orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris et la Maîtrise des Hauts-de-Seine
© Guergana Damianova – OnP