Opéra
Mélisande dans la tourmente

Mélisande dans la tourmente

13 March 2023 | PAR Pascal Gauzes

Adaptation de Pelléas et Mélisande, Mélisande au Théâtre des Bouffes du Nord annonce la couleur en se concentrant sur le personnage Judith Chemla qui l’interprète occupe beaucoup la scène, dans une interprétation très habitée. Une production qui peut séduire par d’intéressants choix dramaturgiques mais qui touche un public de connaisseurs.

Un opéra largement revisité

Pelléas et Mélisande, l’opéra de Debussy d’après Maeterlink, créé en 1902 retrace de Mélisande accueillie par Golaud, un sauveur dans la forêt, qui se révèle être un bourreau psychologique, enfermant la jeune femme dans une vie conjugale étriquée. Alors qu’elle tombe amoureuse de Pelléas, demi-frère de Golaud, elle provoquera le courroux de son nouvel époux, jaloux et possessif. Un triangle amoureux conduisant fatalement vers la mort non d’un seul, mais bien de deux protagonistes : Pelléas et Mélisande.

Ayant été décrié lors de ses premières représentations, cet opéra très singulier par sa composition, alors que très classique dans le fond, a longtemps tenu le haut de l’affiche. Si la pièce originelle de Maeterlink ne se joue pour ainsi dire plus, l’opéra de Debussy, lui, retrouve épisodiquement les maisons d’opéra depuis les années 80.

Dans cette adaptation, qui se révèle être plus une rêverie ou un cauchemar de l’histoire, c’est étonnement le chiffre quatre, qui marque cette production. En effet, c’est une version très réduite : 4 personnages, 4 instruments pour une durée d’à peine 1h30. Ainsi, mis à part les trois protagonistes principaux, un acteur représente trois personnages : le médecin, Arkel et Yniold, et Mélisande devient le seul personnage féminin. C’est donc une proposition concentrée sur la femme, et les répercussions psychologiques de la violence conjugale sous toutes ses formes qui est mise en exergue.

De vraies performances

Mélisande, interprétée par Judith Chemla, est un rôle à la fois chanté et parlé ; on apprécie les capacités vocales de cette artiste aux multiples facettes. Si son teint diaphane et ses montées dans les aigus semblent parfois un peu raides, elle est impressionnante de présence scénique, parfois même trop, confinant le personnage, que les hommes maltraitent (dans cette version elle est une ancienne épouse d’un maltraitant Barbe-Bleue), à l’hystérie. Golaud, interprété par Jean-Yves Ruf, est un personnage entièrement parlé, bourru et à la voix rauque, il incarne un personnage dont l’incapacité de communiquer est palpable, et compense l’absence de chant par une puissance vocale impressionnante. Benoît Rameau, ténor, qui lui chante exclusivement le rôle de Pelléas, est juste et touchant, donnant une forme de légèreté à ce plateau ascétique, amplifié de magnifique manière par le décor naturel du théâtre. Antoine Besson a pour lui, la difficile tâche de représenter trois personnages au fil de la pièce, et offre une narration atypique.

Orchestration et mise en scène osées

Ce ne sont pas que les personnages qui sont réduits à leur portion congrue, mais également l’orchestre (direction musicale de Florent Hubert) qui apparaît après une grande tempête derrière des rideaux dorés. L’accordéon surprend, mais permet de garder la dimension mélodique et rythmique, bien évidemment la harpe et conservée, le violoncelle apporte la dimension lyrique et les percussions, particulièrement mobiles et jouée par Yi-Ping Yang très impressionnante par la maîtrise de ses nombreux instruments, et son regard, au milieu même des tableaux. De plus, ce quatuor est mobile jouant en faveur du choix sur la concentration sur les moments les plus forts de l’opéra de Debussy.

La mise en scène de Richard Brunel est également très marquante par son dénuement et sa puissance réalisée avec de très ingénieux artifices comme la puissante tempête de vent et de feuilles permettant de réduire au symbolique les premières parties de l’opéra, les lits se rapprochant pour n’en former qu’un, et un jeu de lumière taillé au cordeau.

On est ici face à un objet théâtralo-opératique difficile à cerner, qui présente beaucoup de forces sur la revisite de l’original et servi par deux quatuors de qualité. On s’interroge, malgré tout, sur la nécessité de connaître l’œuvre pour en apprécier toutes les subtilités, ou au contraire de préférer oublier l’œuvre originale pour découvrir un conte moderne et dramatique sur les violences conjugales. À vous d’en juger…

Mélisande, d’après l’opéra Pelléas et Mélisande de Claude Debussy ; direction musicale et arrangements : Florent Hubert ; mise en scène Richard Brunel ; avec Judith Chemla, Benoît Rameau, Jean-Yves Ruf et Antoine Besson.
Du 9 au 19 mars 2023

Informations et réservations : ICI
Photos : © Jean-Louis Fernandez

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Pascal Gauzes
Pascal Gauzes est ingénieur agronome et diplômé de SciencesPo Paris, après avoir commencé sa carrière en marketing, il s'est orienté vers le monde de l'art et de la culture en dirigeant une galerie pour artistes émergents et en tant que directeur communication d'un musée parisien. Il collabore avec Toute La Culture depuis presque 10 ans.

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