Le réjouissant voyage ibérique de Clémentine Margaine à l’Elephant Paname
La mezzo soprano française, brillamment accompagnée par sa sœur (au piano) et sa consoeur Cyrielle Ndjiki Nya, nous a servi un récital intelligent et fortement réjouissant tourné vers le monde espagnol (au sens large).
Clémentine Margaine fait partie de ces jeunes interprètes français dont la carrière est, d’ores et déjà, impressionnante. Programmée à Berlin, Munich, New York, Barcelone, Sydney, Hambourg, Madrid ou Chicago, elle devait reprendre cet automne son rôle phare de Carmen à l’Opéra Bastille et glisser, entre deux de ces représentations, cet instant lyrique à l’Eléphant Paname.
Le contexte terrible que nous connaissons a, bien évidemment, conduit à l’annulation de cette reprise, mais Margaine est au rendez-vous de ce récital qui pourrait bien être l’un des derniers parisiens programmés à 20 h avant longtemps.
Est-ce donc précisément un logique glissement de la cigarière de Bizet ou ses origines catalanes (françaises) qui jouèrent dans le choix des mélodies chantées ce soir ? Car elle nous sert un programme intelligent et fortement réjouissant, uniquement tourné vers le monde espagnol au sens large, qui semble autant refléter une culture qui lui est chère que l’âme de l’artiste.
Ainsi, l’exercice auquel se prête ce soir la mezzo-soprano est idoine pour l’apprécier probablement, même mieux que nous ne pourrions le faire lors d’une n-ième Carmen, rôle dans lequel la concurrence est – et a toujours été – rude.
Ce qui frappe, avec les cinq pièces poétiques qui ouvrent la soirée, portées en musique par le catalan Xavier Montsalvatge, c’est cet amour manifeste pour ce répertoire. L’interprétation est vraie, vécue, distillée savamment. Le visage et le corps – élégant dans sa robe mauve – ondulent ou se raidissent sous le poids des mots et des notes. Et il y a la voix riche, souple et capiteuse.
Margaine trouve tout aussi bien le ton plus exubérant et dramatique de La maja dolorosa de Granados. Puis l’on plonge dans l’exotisme de ces deux compositeurs français amoureux de l’univers hispanisant que sont Massenet (Nuit d’Espagne) et Bizet et ses arabisants Adieux de l’hôtesse arabe, dans lequel Margaine joue admirablement, jusque dans les nuances les plus enivrantes, de toute sa palette vocale.
Ils seront rejoints plus tard par Saint-Saëns puis Ravel (et sa Chanson espagnole).
Invitée du jour dans le cadre de l’excellente initiative Momentum de la cheffe Barbara Hannigan, la jeune mezzo Cyrielle Ndjiki Nya interprète un délicat air El barquirello de Ruperto Chapi. Si le chant est plus brut que celui de Margaine, l’artiste est une très belle découverte, à la voix affirmée. Collant parfaitement à l’engagement de son aînée, ses interprétations sont à la fois sensibles et bien caractérisées.
Toujours avec le même talent, Margaine déroule, ensuite, le cycle des Siete canciones populares espanolas de Manuel de Falla.
La chanson espagnole à deux voix, El desdichado de Maurice Ravel, interprétée par les deux mezzos comme un jeu tout en variations, est un véritable plaisir auquel succède le très doux morceau en catalan Damunt de tu només les flors de Federico Mompou que Margaine interprète avec une grande sensibilité.
Par un grand écart reliant les continents et la langue, suit un détour par l’Argentine – sans oublier de citer Toulouse, ville de naissance du compositeur – pour colorer ce beau récital d’un tango de Carlos Gardel (El dia que me quieras) même si une approche insuffisamment scandée ne le rend précisément pas suffisamment « tango ».
C’est par un HENAURME et génial clin d’œil que Margaine, accompagnée par Ndjiki Nya, termine le récital. L’air de Candide I am easily assimilated… non seulement désopilant s’avère aussi être un jeu d’équilibre entre beau chant et grotesque des accents et pitreries nécessaires.
En fin de récital, parmi les bis, l’air de Carmen apparaît finalement comme superflu tant les artistes, par cette promenade, nous ont envoûtés dans ce répertoire moins connu, moins interprété, mais bien agréable.
Sœur et complice, Sarah Margaine accompagne brillamment Clémentine et sa duettiste du jour, avec l’art de varier les ambiances et, sans ostentation, mais avec grande justesse, coller aux univers tragiques ou drôles qui nous sont proposés.
© Olivia Kahler / Instant Lyrique