Opéra
Le directeur du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, Peter de Caluwe, nous parle de sa saison 2022-2023.

Le directeur du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, Peter de Caluwe, nous parle de sa saison 2022-2023.

07 July 2022 | PAR Paul Fourier

Une fois de plus, la Covid a fait des siennes pour un spectacle lyrique, perturbant la première des Huguenots de Meyerbeer qui a dû être repoussée au 15 juin. Quoi qu’il en soit, le passage à Bruxelles nous a permis de rencontrer le directeur de la Monnaie pour parler de la saison prochaine.

Bonjour Peter, la saison à venir est riche, mais peut-on dire qu’il y a un fil directeur ?

Non ! Et ce pour une raison importante : c’est la saison où les productions qui ont été réalisées pendant la période Covid se rencontrent. Il faut savoir que, malgré le virus et tout ce que cela a engendré, la Monnaie n’a jamais arrêté de travailler. Nous avons notamment toujours continué à construire des décors. La dame de Pique, le Rosenkavalier, Bastarda, Henri VIII, ces œuvres, qui forment le nœud de la saison à venir, étaient programmés en 2020, ont dû être reportées, car nous avions décidé de ne pas perdre les investissements réalisés.
Les distributions ont pu être sauvegardées à 95%. Finalement donc, cette saison 22-23 est extrêmement dense et ne suit pas les modulations normales entre grandes productions et plus petites, etc. Maintenant, on peut dire tout est « grand » !

La période qui précède a été éprouvante.

Tout le monde est très fatigué dans la maison ! Nous sortons d’une période où l’on nous a dit que nous n’étions pas « prioritaires », que l’on pouvait nous fermer à loisir, que nous étions les derniers de la liste dans l’échelle des priorités… Il y a beaucoup de post-Covid émotionnel dans le secteur, il y a beaucoup de burn-out, beaucoup de personnes qui se posent des questions quant à leurs métiers, pourquoi le faisons-nous ?…

Cette saison est donc vraiment particulière…

C’est un vrai challenge, parce qu’elle est beaucoup plus intense que d’habitude. Et, pendant ce temps, nous commençons à construire les décors à venir, notamment pour Le Ring qui sera donné en début de saison suivante…
Pour la saison 2022-2023, si l’on doit trouver un point commun entre quelques œuvres, c’est leur côté absurde, Le nez voisinant avec On purge bébé, l’œuvre posthume de Philippe Boesmans. Feydeau comme Gogol représentent quelque chose de totalement différent de la norme du drame à l’opéra. Il y a aussi cette coïncidence d’avoir deux Pouchkine, avec, d’un côté, l’aspect dramatique de La dame de pique et, de l’autre, les scènes lyriques et poétiques d’Onéguine. La covid a, en quelque sorte, généré des rencontres non prévues.

Mais pourquoi cette forte coloration russe ?

Le fait qu’il y ait une programmation avec trois opéras russes est une coïncidence ! Lorsque l’on regarde la composition de mes saisons, il n’y a jamais trois opéras d’un même « genre » dans une saison. Mais il se trouve qu’en plus de La dame de pique dont je viens de parler, Eugène Onéguine et Le nez (de Shostakovich) étaient déjà prévus.
Bien évidemment, cette programmation n’est pas du tout à mettre en rapport avec la guerre actuelle. Je profite de l’occasion pour dire, qu’heureusement, nous avons dépassé cette idée de devoir « punir » l’Histoire Russe en raison des horreurs du régime actuel. Je suis désolé mais on ne peut pas tuer Heine parce qu’il y a eu Hitler !

Il y a aussi Bastarda ! Déjà, je dois rappeler qu’il y a une très belle distribution : on y retrouve Enea Scala, Lenneke Ruiten, Vittorio Prato (que l’on vient d’entendre, tous les trois, dans Les huguenots), Sergey Romanovsky, Myrto Papatanasiu, Salome Jicia et Raffaella Lupinacci que j’avais adoré dans Norma… D’où est venue l’idée de faire un « mix » du travail de Donizetti sur Élisabeth 1ère ?

Lorsque j’ai réfléchi à mon dernier mandat à la Monnaie, pour ces six dernières années, j’ai décidé d’en finir avec le principe de programmation thématique, pour m’orienter vers une architecture de saison. Il était nécessaire d’identifier des moments creux et des moments plus denses dans la saison. Il fallait éviter – comme ce qui arrive pour la saison prochaine – que tout soit « grand ».
A donc surgi l’idée d’avoir, chaque saison, deux créations et une trilogie.
Nous avons commencé avec le Mozart / Da Ponte (en 2020), puis arrivait Donizetti. Enfin, nous aborderons Verdi et « ses années de galère » avec l’idée de travailler sur la « révolte » qui existe au début de l’âge adulte puis, à l’âge de la sagesse, avec l’apparition d’un côté plus conservateur visant à sauvegarder ce que l’on a obtenu avec la révolte. Dans tous ces cas, l’idée est de travailler sur plusieurs œuvres, lors de deux ou trois soirées.
Je précise aussi que Puccini a été traité avec son Trittico. Avec Wagner, il y aura le Ring, et ensuite, Monteverdi.

Il est inédit de faire un montage à partir de quatre pièces comme dans ce Bastarda…

L’idée est de faire un « biopic » à partir de la vie d’Elizabeth. Et je précise que cette idée existait avant The Crown (rire).
Lorsque l’on regarde la vie de la Reine, l’on y voit la petite fille, la jeune Elizabeth, puis la femme qui voit sa mère mourir du fait de son père, mais également, la femme qui reproduit le schéma et découvre que, pour posséder l’homme, elle doit tuer. Quand il y a une rivale dans le pouvoir, on la tue (Maria Stuarda) et l’on fait de même lorsqu’il y a un rival en amour. Pour la petite histoire, rappelons-nous que la première femme de Leicester, est tombée dans l’escalier alors qu’elle était seule chez elle…
Voilà… j’ai trouvé que cela représentait un beau matériel pour reconstruire quelque chose de différent… Je n’ai aucun doute sur le concept, mais il y a un pari sur la musique. Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux, ce sont des œuvres qui existent d’elles-mêmes.

Est-ce qu’on ne court pas le risque de casser la dramaturgie ?

C’est vrai ! Mais là, j’ose questionner la dramaturgie de Donizetti. Je l’oserais beaucoup moins avec Mozart et avec Verdi. Évidemment, il y a les airs, les duos, etc. mais, avec les personnes avec qui j’ai travaillé sur ce projet, nous nous sommes dit qu’il n’y a pas là matière à sacrilège. Je suis néanmoins conscient du fait que ce choix va être critiqué.

Il se trouve que pour ces trois œuvres, il existe une tradition qui est parfois de ne reprendre que leurs scènes finales en récital, comme l’a encore fait Sondra Radvanovsky dernièrement, et d’autres avant elle. Il n’y a pas d’équivalent chez Verdi ou Mozart. Donc, chez Donizetti, déjà, l’on s’autorise des choses. Votre démarche se rapproche un peu de cela…

C’est juste ! Mais il est certain qu’il y aura des coupures, donc des airs que l’on aurait aimé entendre. Ainsi, pour ce qui me concerne, je vais être frustré par l’absence de certains airs ou duos, d’autres le seront sur d’autres manques, … La presse va forcément s’étonner et dire : “Pourquoi cet air n’est-il pas là ?”, etc. Nous avons dû faire des choix et, pour le détail de ces choix, je délègue ; je ne peux pas avoir une opinion trop tranchée.
Avec Verdi, nous aurons la même problématique. Nous allons pêcher des éléments dans les dix opéras des années de galère…

Dix ! Il va y avoir du travail !

C’est qu’il y a là du beau « matériel » ! Mais l’on n’a pas forcément envie de voir La battaglia di Legnano en entier, mais l’œuvre comporte de très beaux airs. On peut également citer la magnifique ouverture d’Alzira. Il est beaucoup plus difficile de couper dans Luisa Miller, dans Giovanna d’Arco ou dans Macbeth

Dans la continuité d’Elizabeth, vous présentez aussi Henri VIII de Camille Saint-Saëns en mai 2023.

Nous présentons cet opéra dans une mise en scène d’Olivier Py. Bizarrement, je constate que, malgré le bicentenaire de sa mort, finalement, il n’y a pas eu tellement d’œuvres de Saint-Saëns à l’affiche en 2021-2022. Même si, en ce moment, il y a un Samson et Dalila à Londres.

Oui, mais Samson est une œuvre déjà bien donnée.

Absolument ! Je trouve dommage que pour Henri VIII, nous n’ayons pas pu réaliser une coproduction.

Profitons-en pour faire un petit tour des metteurs en scène qui seront à l’affiche.

David Marton, qui va mettre en scène La Dame de Pique, a déjà réalisé Capriccio chez nous (une coproduction Bruxelles-Lyon). C’est quelqu’un qui a de nouvelles idées dans un grand respect de l’opéra, de la partition. Il me rappelle Peter Stein… avec un esprit plus ouvert. Il a également produit un Didon et Énée à Lyon. C’est quelqu’un qui a environ deux projets par an, et qui s’y plonge complètement.

Ensuite, l’on retrouve Damiano Michieletto pour le Rosenkavalier.

Pour cet opéra, comme je l’ai dit, les décors avaient déjà été réalisés. Ce Rosenkavalier était prévu à Bruxelles, puis à Bologne, Moscou, Vilnius… C’est finalement Vilnius qui l’a créé en septembre. Ensuite, ce sera nous, puis Bologne…
J’ai vu le spectacle ; il est très onirique, basé sur le passage du temps, avec l’histoire de cette femme, la Maréchale. Comme la Comtesse dans Les Noces de Figaro, dans son couple l’amour a disparu. La mise en scène ne présente pas quelque chose de réaliste ; il y a beaucoup de poésie. Vienne sera dans la musique, pas dans la mise en scène. Certes, nous avons tous quelque chose en tête lorsque l’on pense au Rosenkavalier, mais, vous le verrez, ce n’est pas du tout viennois…

Et l’on retrouve Sally Matthews dans le rôle de la Maréchale. Je l’avais adorée dans Norma.

Lorsque Susan Chilcott est décédée, je me suis dit qu’il fallait que je trouve une chanteuse de cette école anglo-saxonne, une école tellement complète !… Et j’ai trouvé Sally. Elle a été magnifique dans The turn of the screw et dans Norma, elle nous a tous surpris ! C’est vraiment la soprano qui m’accompagne. Après le Rosenkavalier, elle sera Tatiana puis Sieglinde (dans Walküre) pour la saison d’après.

Après le Rosenkavalier, il y a On purge bébé ! D’où est venue cette idée ?

C’est une idée de Philippe (Boesmans) ! Après Pinocchio, il voulait adapter une comédie. Il a rencontré Richard Brunel à Aix ; nous nous sommes vus à trois et il a proposé cette pièce (il y a d’ailleurs un très bel entretien sur le site de la Monnaie, entretien enregistré très peu de temps avant sa mort).
Philippe et Richard m’ont fait cette proposition et je l’ai acceptée tout de suite. Je précise qu’il n’y a jamais eu d’opéra tiré d’une pièce Feydeau. C’était, au départ, prévu avec Patrick Davin qui nous a quitté. Ce sera, assurément, une soirée bien pleine d’émotion.

Ensuite, il y aura Eugène Onéguine, avec Laurent Pelly à la mise en scène.

Laurent avait toujours refusé de s’attaquer à l’opéra russe, car il ne comprenait pas la langue.
Finalement, il a réalisé Le coq d’or chez nous et, comme il a vraiment apprécié la musique, il m’a proposé Sadko. Comme nous venions de réaliser Le Tsar Saltan, cela faisait trop de Rimski-Korsakov, le projet est donc passé à Onéguine.

C’est Alain Altinoglu qui dirige.

Alain dirige toujours trois opéras par saison. Cette année, ce sera Rosenkavalier, Onéguine et Henri VIII.

Ensuite, il y a Le nez de Shostakovich, dirigé par Alex Ollé.

La production vient d’être créée à Copenhague. Ils « prennent » notre Onéguine et nous, nous prenons leur Nez !

Venons-en aux concerts…

Pour les concerts, nous continuons avec les 250 ans de l’Orchestre de La monnaie, avec la présence de grands chefs, Alain Altinoglu bien sûr, Kazushi Ono et Antonio Pappano. La deuxième partie de la saison est complètement russe avec même la troisième symphonie de Reinhold Glière qui n’est jamais jouée, car il faut 130 musiciens ! Je suis tellement content de voir le développement de notre orchestre. Il fallait entendre leur Parsifal, en version concert en mai dernier ! J’y ai assisté trois fois de suite !

Il y a aussi les récitals où l’on retrouve des noms connus… (Stéphane Degout, Sandrine Piau, Olga Peretyatko, Stéphanie d’Oustrac).
Cher Peter, il se trouve que nous réalisons cet entretien le soir de la première (déplacée) des Huguenots puisque, normalement, elle devait avoir lieu le samedi 11 juin.

En effet, nous venions de « tomber les masques » lorsque la contamination a redémarré, d’abord avec deux choristes, puis cinq. Brusquement, nous n’avions presque plus d’alto. Puis l’orchestre a été touché. Puis, le backstage (perruques, maquillages, habilleuses). Nous avons remis les masques, mais finalement les solistes ont été contaminés (Lenneke Luitten, Enea, Alexander Vinogradov…). Nous n’avons donc eu ni pré-Générale, ni Générale et ce soir, cela va être un exercice périlleux pour tout le monde…

Périlleux, mais on ne doute pas que ce sera néanmoins une belle soirée (lire la critique ici). C’est tellement remarquable d’avoir repris cette production, qui est vraiment une production emblématique de la Monnaie ! Merci Peter !

Crédit photo © Mireille Roobaert

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