Opéra
Queen(s) au bord de la crise de nerfs à Bruxelles

Queen(s) au bord de la crise de nerfs à Bruxelles

17 April 2023 | PAR Paul Fourier

Olivier Fredj et Francesco Lanzillotta ont conçu un spectacle hybride, à partir des 4 opéras de Donizetti, opéras qui ont Elizabeth 1ère d’Angleterre comme personnage principal. Selon l’approche que l’on peut en avoir, le résultat peut s’avérer déconcertant ou se suivre, à l’instar de celui d’une mini-série dans l’air du temps.

Donizetti, on le sait, fut un compositeur prolixe. Il avait, semble-t-il, une fascination pour la période des Tudor, puisqu’il a décidé d’avoir recours à l’histoire d’Anne Boleyn, épouse d’Henry VIII, le « Barbe-bleue » de la famille, et d’Elizabeth, la Grande Reine, celle qui affermit la puissance de l’Angleterre et dont le règne, à bien des égards, correspondit à un âge d’or. Une autre de ses héroïne fut Marie Stuart… Autre Reine, autre religion, rivale politique dont l’exécution restera à jamais la tâche indélébile qui marquera le règne de la Reine d’Angleterre.
À partir de ces protagonistes, Donizetti a composé 4 œuvres formant, a posteriori, une quasi tétralogie (Elisabetta al Castello di Kenilworth (1829), Anna Bolena (1830), Maria Stuarda (1834), Roberto Devereux (1837)).
Voilà pour Donizetti et sa vision romantique de la Reine !

Et… il existe le personnage réel, celui d’une femme dont la vie s’étend de 1533 à 1603 ; une vie qui inclue 44 années de règne, dont il serait trop long, ici, de résumer les principaux épisodes. Le spectacle présenté à La Monnaie de Bruxelles tente de le faire, à sa façon.

La réalité est-elle soluble dans l’Opéra (ou l’inverse) ?

Olivier Fredj et Francesco Lanzillotta se sont lancés dans une aventure méritante et risquée, aboutissant à un résultat mixte, aventure visant à raconter la vie de la Reine, en l’illustrant de la musique de Donizetti.
Ils ont choisi de s’extraire des seuls faits historiques pour s’arroger, en quelque sorte, le rôle de psychologues d’Elizabeth, allant rechercher les possibles traumatismes de la reine, liés à la mise à mort de sa mère par son père, comparant les rivalités féminines qui ont ponctué sa vie, cherchant à expliquer les raisons de sa réputation de « Reine vierge », reine incapable de procréer et donc de faire perdurer la dynastie.

Ce faisant, mariant l’intervention de trois « conteurs », dédoublant Elizabeth aussi interprétée par un jeune fille (qui exprime ses sentiments intimes), ajoutant des morceaux choisis des opéras (sans en respecter la chronologie), Fredj et Lanzillotta n’ont pas su élaguer, ont complexifié leur entreprise… et, de ce fait, ont rendu l’ensemble assez indigeste.
L’usage omniprésent de la vidéo, tout comme la chorégraphie absurde des figurants-danseurs n’est pas, de plus, de nature à alléger le propos.

Si le résultat n’est pas convaincant, tout cela correspond à « l’air du temps » ; la nouvelle «œuvre » ainsi créée, adopte la forme d’un biopic historique, une forme très à la mode qui fait écho aux différentes séries ayant traité des Tudor jusqu’à celle célébrissime « The Crown ».
S’arrogeant un rôle qui va parfois à l’encontre des convenances théâtrales, Olivier Fredj a, par ailleurs, voulu jouer avec les spectateurs en leur faisant, comme dans un conte (…« Once upon a time… ») traverser le temps et devenir les « sujets » d’Élizabeth. Cette « optique » est, certes, distrayante, mais le metteur en scène aurait pu, cependant, éviter certaines facilités, notamment celle d’appeler le public à se lever, à deux reprises. En effet, l’usage veut que lorsqu’un public d’opéra se lève, c’est, soit pour une « standing ovation », soit… pour partir. L’on paraîtra peut-être conservateur en disant cela, mais un public qui se lève, cela se mérite ; on ne l’impose pas.

Par ailleurs, le mixage réalisé par le chef, Francesco Lanzillotta, est parfois assez peu respectueux des partitions de Donizetti. Parfois, et c’est heureux, on laisse de longues scènes se développer, retournant, de fait, dans la forme opéra ; souvent, et ça l’est moins, l’on charcute des airs, laissant ainsi les amateurs sur leur faim.

Une distribution à demi convaincante

En raison de l’exercice réalisé qui fait cohabiter tous les personnages des quatre opéras, la distribution est, en conséquence, devenue pléthorique.

Elle réserve de bonnes surprises, notamment les deux mezzo-sopranos, les formidables Raffaella Lupinacci (Giovanna Seymour et Sara), déjà entendue, à Bruxelles, dans Norma, et Valentina Mastrangelo (Amy Robsart), Luca Tittolo, qui s’avère tout à fait pertinent dans le rôle d’Enrico, tout comme Sergey Romanovsky dont la voix, cependant, est un peu sombre pour le personnage de Roberto Devereux.

Enfin, si le contre-ténor David Hansen est passablement hors sujet dans le rôle de Smeton, ses deux collègues « conteurs d’Histoire », Gavan Ring et, surtout, Bruno Taddia, sont de magnifiques Cecil et Nottingham. Dans le rôle d’Anna Bolena, Salome Jicia tire dignement son épingle du jeu.

En revanche, les deux interprètes successives d’Elizabeth, Myrto Papatanasiu et Francesca Sassu, ont, l’une et l’autre, un timbre assez ingrat et le fait qu’elles soient très sollicitées ne facilitent pas l’écoute. On peut en dire de même pour la Maria Stuarda de Lenneke Ruiten, à la voix bien peu belcantiste pour s’adapter à la reine d’Écosse.
Enfin, était-ce un mauvais jour pour Enea Scala dont la voix s’avère très sollicitée dans le rôle de Leicester et les aigus très tendus, même si la partition d’Elisabetta al Castello di Kenilworth semble bien mieux lui convenir en raison de son écriture plus rossinienne ?

Finalement, on a eu l’impression d’assister à un spectacle visant deux publics dont la cohabitation n’est pas forcément évidente. Si les amateurs, de séries, de biopics auront sûrement été satisfaits, les amoureux de Donizetti eux, auront moins eu de raisons de se réjouir.

Visuels : © Simon van Rompay

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