La relecture éblouissante de Cendrillon à l’Opéra de Paris
L’Opéra de Bastille représente jusqu’au 28 avril l’adaptation lyrique de Jules Massenet du conte de fée par excellence, Cendrillon, créée en 1899. Loin de raconter sobrement une ‘histoire de filles’ cet Opéra-comique aux colorations musicales singulières mis en scène par Mariame Clément, invite à ausculter les clichés éculés de nos sociétés dans un univers féerique plus sensible et peut-être plus introspectif.
L’entrée électrisante de Cendrillon au répertoire de l’Opéra National
Après avoir fait renaître Barkouf ou un chien au pouvoir, l’opéra tombé dans l’oubli d’Offenbach, Mariame Clément nous raconte cette fois-ci une histoire que tout le monde connait, celle de Cendrillon. En optant pour l’adaptation du livret d’Henri Quin qui, à l’instar de la composition de Massenet s’écarte sans scrupules des matériaux originaux pour créer des personnages profondément Humains, la metteuse en scène compose avec la polysémie du conte et embrasse la subjectivité de ses personnages. Cendrillon, renommée Lucette dans cet opéra diffère alors sensiblement des versions de Perrault (très occidentale), celle de Grimm (très cruelle) ou encore celle de Disney (très, trop fleur-bleu). Et dès la première scène, nous oublions le traditionnel « il était une fois » pour être en prise directe avec le « ici et maintenant » des personnages.
En exergue de chaque acte, un court film muet situe la pièce, comme on pouvait en voir au tournant du XXème siècle, puis le rideau se lève. S’érige sur scène une imposante machine à vapeurs, avec lâchers de fumée et étincelles, qui plonge le public dans le bouillonnement de la Belle Epoque, à laquelle apparue la “fée électricité”. Cet engin à fabriquer des princesses duquel sortent les deux demi-sœurs de Lucette pleines de mimiques, sert de dispositif pour amorcer le propos de Mariame Clément. Car, plus qu’une soirée de réenchantement pour adultes, c’est un spectacle qui ne manque de faire réfléchir. Le public se trouve confronté à ce nouveau monde dans lequel les révolutions techniques progressent de manière fulgurantes au détriment de la mécanique des clivages sociaux.
Une adaptation libérée du prisme essentiellement masculin
Jules Massenet, considéré comme un “compositeur de femmes”, insuffle à son orchestration un sentiment d’égalité entre les genres appuyé très justement dans l’adaptation de Mariam Clément. Bien que Cendrillon chante toujours ses malheurs et balaie scrupuleusement les recoins de la scène, elle n’hésite pas non plus à fuguer lorsqu’elle voit ses rêves brisés ou rejeter tout l’attirail pompeux exigé lors du bal. Massenet développe dans ses partitions un désir féminin autonome et c’est une Lucetteen chemine baskets, chantée par la voix tendre et coloré de Tara Erraught, qui charme le prince rebelle, jouée par Anna Stephany. Une symétrie vocale entre le couple d’amants, qui chante parfois à l’unisson, laisse infuser la douce mélodie d’un amour partagé, d’égal à égal, sans domination ni hiérarchie. Les deux sœurs elles aussi sont des sujets complexes, bien plus que de simples objets dont le but ultime serait le beau mariage. Charlotte Bonnet et Marion Lebègue leur prêtent un jeu amusant et attendrissant loin des harpies auxquels nous pourrions nous attendre.
Madame de la Haltière, interprétée brillamment par Daniela Barcellona, véritable tourbillon sonore, pousse à l’extrême son rôle de marchande de chair fraiche pour qui les fiançailles ne sont pas une question de bonheur mais bien de stratégie. Nous la détestons autant qu’elle nous passionne en réalité, car finalement, ne répondrait-elle bravement aux attentes de la société ? Elle illustre un archétype qui parcourt la littérature, souvent décrit avec l’hypocrisie des regards niant la charge mentale et la nécessité pour ces femmes de bien marier leurs filles. Tandis que Pandolfe, le père de Cendrillon chanté par le baryton Lionel Lhote, ne s’inflige aucune violence pour la sienne.
Une oeuvre tout en nuances
Les variations narratives qui laissent se développer toute la complexité des personnages sont permises notamment grâce à la variété de l’invention mélodique des compositions de Massenet. C’est un véritable tissage de traditions, du modèle de l’opéra bouffe de Rossini au romantisme de Wagner, qui fait naitre un langage musical singulier mais aussi d’infinies possibilités d’échapper aux clichés du contes de fées et aux automatismes de jeu. Et la metteuse en scène Mariame Clément a su s’en emparer parfaitement. Les décors et costumes crées par Julia Hansen, tout aussi splendides que malins, viennent renforcer le parfait équilibre maintenu entre le monde irréel de l’enchantement et la réalité d’une société pas tout à fait raisonnable. La splendide verrière du deuxième acte, qui rappelle la Dame de fer marque à la fois le lieu merveilleux de la rencontre mais aussi comme la cage cloisonnant les constructions sociales. La fée de Kathleen Kim, aux aigus prestiges presque magiques, émerveille autant qu’elle déçoit lorsque l’on réalise qu’elle reproduit les mêmes pratiques matrimoniales que Madame de la Haltière avec l’orpheline Cendrillon.
Les libertés que prend Massenet avec le conte original et les ellipses narratives, offrent un matériau d’autant plus intriguant à travailler pour Mariame Clément et laissent place à une multitude d’interprétations pour son public. Accompagnée par le Choeur de l’Opéra de Paris dirigée par Ching-Lien Wu, la distribution de cette pièce offrent une palette vocale sensationnelle ainsi qu’une performance théâtrale mesurée, à la fois drôle et touchante. L’Orchestre de l’Opéra de Paris, dirigé par le chef d’orchestre Carlo Rizzi, fait honneur à la musique pleine de charme de Massenet et offre une bouffée d’air frais et de souvenirs d’enfance qui enchante tout en faisant réfléchir.
A l’Opéra de Paris, Bastille, jusqu’au 28 avril à 19h30
La production fait l’objet d’une captation vidéo et d’une diffusion en direct le 7 avril 2022 dans les cinémas UGC partenaires, dans le cadre de la programmation Viva l’Opéra!
Visuel : © Cendrillon, 2022, Opéra national de Paris / Monika Rittershaus