Opéra
Nixon in China et Adams in Paris : pari réussi

Nixon in China et Adams in Paris : pari réussi

29 March 2023 | PAR Thomas Cepitelli

Dans les couloirs et le grand escalier de marbre de l’Opéra Bastille, c’est à un concert de louanges (méritées) auquel on pouvait assister en sortant de la salle. 

Un livre d’images musicales

Le livret de la pièce relate la visite historique du couple Nixon en Chine en 1972. Cette visite marquera un tournant dans les relations entre les deux pays. C’est la suite de ce que l’on a nommé la diplomatie du ping-pong en référence à l’invitation d’une équipe de pongistes américains par les autorités chinoises. Les tables de ce jeu de balles, leur terrain, seront au centre dramaturgique et scénographique du spectacle… (nous tairons ici la stupéfiante beauté et intelligence du premier tableau pour vous laisser la surprise). 

La distribution vocale est de haute volée. Certes, on a connu Thomas Hampson peut-être plus à son aise aussi bien techniquement que dans l’interprétation. Mais, Renée Fleming qui nous avait annoncé sa retraite, il y a quelques années, s’est dédite et c’est tant mieux. Elle est une Pat Nixon bouleversante. Dans l’acte où elle visite la Chine, comme dans celui où elle assiste à du théâtre lyrique et poétique chinois, elle émeut aux larmes par son engagement corporel et vocal. De son timbre si singulier, elle arrive à dresser les dragons chinois, ce qui n’est pas une mince affaire. 

Kathleen Kim, quant à elle, offre une Chiang-Ch’ing exceptionnelle. Lorsqu’elle appelle à la Révolution (alors que l’on en connait les dérives, les massacres), elle soulève aussi bien l’émotion du chœur au plateau que la nôtre. À ce propos, et une nouvelle fois, le Chœur de l’Opéra de Paris éblouit par son engagement aussi bien physique que vocal. Kathleen Kim, donc, semble s’approprier la Bastille en son entier. Sa voix se déploie dans toute sa palette, vindicative et sensible, technique et émotive. 

Depuis son pupitre, Gustavo Duhamel signe, comme il en a l’habitude une lecture très personnelle de l’œuvre. On se souviendra longtemps de la place particulière des deux pianos et de leur ligne mélodique continue, répétitive, mais jamais tout à fait identique. Dudamel fait la fois entendre, et avec le même respect, les parties qui ne sont pas sans évoquées Philip Glass, mais aussi les grandes envolées lyriques (dans toutes les acceptions du terme) de l’œuvre. 

Une mise en scène en tout point historique 

Valentina Carrasco, qui vient de la Fura dels Baus, signe une mise en scène didactique. Par exemple, dans le premier acte par exemple, la scène se soulève pour laisser apparaître des entrailles de feu où les ouvriers de la révolution brûle les livres, torturent les artistes, jettent les violons au feu… alors qu’à l’étage les hommes de pouvoir parlent politiques.

Un extrait du documentaire  Issac Stern in China : from Mao to Mozart ouvre la dernière partie du spectacle. On y voit l’ancien directeur du Conservatoire de Shanghai témoigner des atrocités commises lors de la Révolution Culturelle et orchestrée par Mao : privations de sommeil, enfermement dans un réduit pendant quatorze mois, passages à tabac. Tout était fait pour détruire ceux et celles qui avaient joué de la musique occidentale. En projetant, tout comme elle le fait avec des images terribles de punition publique de dissident-e-s, celles, par exemple, de la place Tien’anmen, Valentina Carrasco replace l’œuvre d’Adams dans une dimension politique. Les maisons lyriques, si prestigieuses qu’elles soient, ne sont pas exemptes de penser notre temps. 

Nixon in China vient donc d’entrer au répertoire de l’Opéra de Paris et c’est une excellente nouvelle. Tout d’abord, parce que si l’œuvre a quarante ans, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle permet de faire entrer de la musique contemporaine (on pourrait discuter de la pertinence du singulier… mais une autre fois) dans ce temple laïc qu’est la Bastille. Mais aussi parce qu’elle fait réfléchir aux grandes questions esthétiques et politiques de notre temps. Un spectacle qui entre dans l’Histoire. 

Visuels : © Christophe Pele / Opera national de Paris

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