Classique
Gustavo Dudamel offre, à l’Opéra Garnier, une bien belle carte blanche

Gustavo Dudamel offre, à l’Opéra Garnier, une bien belle carte blanche

27 January 2023 | PAR Paul Fourier

Le chef, accompagné de musiciens de l’orchestre de l’Opéra et des membres de l’Académie, a présenté aux spectateurs un programme de son cru, dans lequel des compositeurs espagnols et sud-américains voisinaient avec Leonard Bernstein et Kurt Weill. Ce fut l’une de ces soirées splendides où l’excellence de l’interprétation se combine avec la découverte de la musique.

En envisageant le programme de cette soirée, l’on peut s’imaginer que le Directeur musical de l’Opéra de Paris a voulu montrer que sa présence dans la capitale ne se limitera pas qu’à tenir la baguette pour les grands compositeurs européens, tels Wagner et Puccini.
Des pays comme l’Espagne, l’Argentine, le Brésil, des émigrés comme Kurt Weill ou des compositeurs américains qui ont porté haut une certaine culture populaire – tel que Bernstein -, ont contribué à la riche histoire de la musique et les formes qu’ils ont pratiquées ne se sont pas limitées à l’opéra. Ces mélodies inspirées de la nature brésilienne, ces tangos, ces zarzuelas, ces comédies musicales… toutes ces formes musicales méritent d’être mises en valeur ailleurs que dans les pays où ils sont populaires.

En entrée, la superbe voix de Martina Russomanno nous a justement rappelé, avec la cantilène en la mineur et son ensorcelante vocalise émise avec grâce, puis avec la dança – Martelo (tous deux issus des Bachianas brasileiras), qu’Heitor Villa-Lobos n’est pas, sans raison, le compositeur le plus fameux d’un pays, le Brésil, qui, s’il n’a pas une grande tradition d’opéra essaye, toutefois, de le faire perdurer. Ce fut aussi l’occasion de montrer qu’une formation de violoncellistes d’exception peut apporter de telles nuances.

Peu de temps après, l’on descendit un peu les côtes de l’Amérique du Sud pour continuer ce voyage musical qui se nourrit aussi aux sources du tango avec, d’une part, l’incontournable Astor Piazzola et un magnifique Oblivion interprété (on ne sait trop pourquoi, avec un micro) par Alejandro Baliñas Vieites puis avec Horacio Salgán et son prodigieux A fuego lento. La culture populaire d’Argentine fut aussi mise à l’honneur par Margarita Polonskaya, dans un air La Rosa y el Sauce de Carlos Guastavino.

Une traversée de l’Atlantique et un petit tour en Méditerranée nous faisaient ensuite accoster les rives de la Catalogne, puis, plus généralement, de l’Espagne. Ce fut, d’abord, par deux merveilleux extraits des Goyescas d’Enrique Granados où la douceur de l’exécution de Dudamel et des cordes de l’orchestre, ont ensuite dialogué avec la sensibilité de Martina Russomanno. La soprano se saisira ensuite, d’un extrait des Canciones clásicas españolas puis Alejandro Baliñas Vieites chantera, avec passion, une ode à sa barque dans La Galotea de Salvador Codina.

Ce sont à Kurt Weill et à « Lenny » Bernstein qu’ont échu les deux plages véritablement comiques de la soirée : pour l’un, ce fut une parenthèse gustative estivale, une déclaration d’amour à l’« ice-cream », dans un extrait de Street scene, mettant en scène les habitants hystériques d’un immeuble en période de canicule (avec, en plus des solistes de l’Académie déjà cités, Thomas Ricart et Andres Cascante) ; pour l’autre, l’on eut droit à une critique acerbe d’un mauvais film dans Trouble in Tahiti (une œuvre qui fait écho à A quiet place qu’Alexandre Neef avait placée, dans sa première saison, entre Massenet et Berg…), une critique énoncée, en technicolor, avec une vulgarité tranchante pour ces tempi si typiquement « Bernsteinien », par la Dinah de Marine Chagnon.

Bernstein comique, Bernstein tragique, la plage la plus émouvante de la soirée – qui ne fut pas loin de nous mettre la larme à l’œil – fut un magnifique extrait de West Side Story interprété par Marine Chagnon et Margarita Polonskaya, cette Anita usant de ses beaux graves et cette Maria enflammée par l’amour ; Bernstein encore et toujours, était aussi présent, avec toute sa finesse, pour son divertimento pour orchestre et avec un extrait de On the town, où l’on se serait attendu à voir, tout naturellement, surgir Fred Astaire dansant sur Times Square.

À cela, il faut ajouter l’extraordinaire Canción de Paloma (du Barberillo de Lavapiés de Franscisco Asenjo Barbieri) menée de concert par la castagnette et la voix voluptueuse d’une Margarita Polonskaya que l’on imagina, un moment, plutôt née dans le quartier de Madrid qu’à Moscou…

Quel plaisir ce fut donc, en cette soirée, d’entendre la formation de l’Opéra de Paris porteuse d’une telle précision et d’une telle clarté, dans un répertoire qui ne lui est pas familier.
Quel plaisir aussi, ce fut de voir les artistes de l’Académie assurer un spectacle avec tout leur talent, en se plongeant ainsi dans un voyage aussi latin qu’américain, pour nous en faire apprécier les subtilités.
Quel plaisir, ce fut enfin !, de voir, Gustavo Dudamel, ce chef, si modeste, offrir à l’Opéra de Paris l’essence même de son talent multi-national !

En sortant de la belle salle du Palais Garnier, nous pouvions nous dire que, maintenant que « le pli est pris », il ne reste plus à l’Opéra de Paris que d’oser – au moins ! – nous programmer, pour bientôt, une belle Zarzuela !

Visuels : © Elisa Haberer / Opéra national de Paris, Paul Fourier.

Salle des fêtes : un microcosme tout aussi intime qu’explosif
L’Oceano nox de Koki Nakano à la Maison de la culture du Japon à Paris
Paul Fourier

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration