Opéra
Un Barbier de Séville moderne et désopilant à l’Opéra de Paris

Un Barbier de Séville moderne et désopilant à l’Opéra de Paris

31 May 2022 | PAR Yohan Haddad

Le célèbre opéra de Gioacchino Rossini, librement adapté de Beaumarchais, revient sur la scène de l’Opéra Bastille dans une mise en scène réjouissante, dominé par un décor grandiose et une troupe d’acteurs fabuleuse.

Verve néo-réaliste

À l’ouverture du rideau de l’Opéra Bastille, difficile de contester l’idée d’un opéra anti-classicisme : sur la scène, un décor somptueux composé d’un immeuble typiquement latin rappelant l’architecture des années 1970. Des acteurs et chanteurs d’opéra habillés dans le plus simple appareil : shorts et chemises à manches courtes, chapeaux d’osiers vissés sur la tête, et pour certains, lunettes de soleil posés sur le haut de la tête. Damiano Michieletto, metteur en scène de cette version 2.0 du Barbier de Séville, n’en est pas à son coup d’essai dans la refonte des plus grands opéras classiques. Il avait déjà apporté une verve moderne aux œuvres de Verdi et Berlioz, applaudis aux quatre coins du monde.

La particularité de ce Barbier de Séville tient grandement de son approche néo-réaliste, rappelant les grandes heures de ce genre cinématographique majeur qui marqua un tournant dans l’histoire du cinéma Européen. Bien que l’action de l’opéra, et de la pièce originale de Beaumarchais, se déroule dans la ville Espagnole, comme le titre le laisse deviner, il est difficile de ne pas y voir les influences italiennes de l’ensemble, fidèle à l’esprit du metteur en scène et de Rossini, lui-même Italien. À travers cet appartement pittoresque et ses habitants volontairement stéréotypés, difficile de ne pas y voir l’esprit d’un Luchino Visconti, metteur en scène de cinéma mais aussi de théâtre et d’opéra, qui réalisa une adaptation de La Traviata avec la grande Maria Callas. L’immeuble du Barbier rappelle également le cinéma d’un maître Espagnol, Pedro Almodovar, et particulièrement de son chef d’œuvre Volver, où les habitants d’un immeuble typique abrite riches bourgeois et habitants de la classe prolétaire.

Michieletto restitue avec une grande maestria cet état d’esprit, plongeant le spectateur au cœur d’un décor absolument grandiose tournant sur lui-même, révélant tour à tour le devant et l’intérieur de l’immeuble. Escaliers en colimaçons, cinquantenaires aux bigoudis et robes de chambres, ainsi que balcons magnifiques surplombent l’ensemble et donne l’impression de ne pas être dans un pur opéra, mais dans quelque chose proche d’un croisement entre comedia dell’arte et opéra classique, pour le plus grand plaisir des yeux et des oreilles.

Un Opéra pour tout le monde

Amateur d’opéra ou novice en la matière, ce Barbier de Séville propose un croisement idéal pour tous. La simplicité comique de l’histoire écrite par Beaumarchais et le charme de la mise en scène ouvertement théâtrale de Michieletto a pour ambition de parler à tout le monde, à tous ceux pour qui l’opéra pourrait être quelque chose de factuellement ennuyeux et trop guindé. Pendant près de 2h45, aucun moment de répit n’est laissé au spectateur, permettant de savourer cette sublime mise en scène de fond en comble sans aucun soupçon d’ennui.

Cette possibilité est permise grâce à une troupe d’acteurs et chanteurs facétieuse, tout en mouvements comiques parfois proches du burlesque. Au centre, le ténor René Barbera dans le rôle du célèbre Comte d’Almaviva, amoureux transit de la jeune Rosina, prise au piège d’un tuteur qui la force au mariage avec sa propre personne. Barbera est absolument hilarant dans le rôle d’Almaviva, changeant de costume comme d’expression avec une certaine facilité. Par ailleurs, il ne fait qu’un bouchée de la partition et confirme qu’il est l’un des meilleurs ténors belcantistes actuels. S’attaquant à l’air (souvent coupé) et virtuose “Cessa di piu resistere”, il récoltera une ovation dans la toute dernière scène du spectacle.

Aigul Akhmetshina, qui remplace Marianne Crebassa dans le rôle de Rosina est la surprise de la soirée. La mezzo-soprano russe a un timbre de toute beauté s’appuyant sur des graves somptueux et des aigus sonores. La projection est fabuleuse et la technique rossinienne impeccable. Elle est, de surcroit, forte d’un jeu de scène idoine pour la mise en scène de Michieletto. Le public parisien l’a découverte avec ce remplacement et l’on ne doute pas qu’il a hâte de la revoir aussi vite que possible.

Le délicieux Figaro, figure historique de l’œuvre de Beaumarchais, est interprété ici par le baryton polonais Andrzej Filonczyk, est absolument hilarant dans ce rôle de touche-à-tout manipulateur de génie, empruntant des expressions et une attitude de jeu rappelant par moments le théâtre de Molière. Commençant par un air “Largo al factotum” interprété avec tout le mordant et la virtuosité requis, il brille ensuite vocalement tout au long de la représentation.

Renato Girolami incarne, lui, Bartolo, le tuteur sadique et libidineux de Rosina. Il est également parfait, tant pour sa vocalité riche et puissante que par un jeu de scène débridé proche de la comedia dell’arte. Alex Esposito est excellent dans le rôle du facétieux Basilio et son air de la calomnie sur fond de pluie de “feuille de choux” est un véritable moment de plaisir. Enfin, sollicitée pour un air (et pas des moindres), Katherine Broderick se taille un franc succès auprès du public.

La réussite du spectacle repose également sur l’excellence du chœur de l’Opéra de Paris (direction : Alessandro Di Stefano) qui se moule parfaitement dans la mise en scène et dans les facéties qu’ils ont à exécuter. Quant à Roberto Abbado, il dirige l’orchestre de l’Opéra de Paris avec une élégance rare, rappelant que Le Barbier n’est pas seulement un grosse farce mais également l’une des partitions les plus  brillantes de Rossini.

Ce Barbier de Séville est donc un véritable tour de force, un enchantement comique capable de plaire à tout le monde tant son inventivité folle repousse les limites de l’opéra classique.

Le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini à l’Opéra national de Paris (Opéra Bastille) les 2, 4, 7, 10, 14, 17 et 19 juin 2022

Visuels : © Guernana Damianova / OnP

 

 

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