Féerie romantique pour tous à Saint-Etienne
Deux mois après Dante de Godard, l’Opéra de Saint-Etienne fait revivre une autre rareté du répertoire romantique français, Cendrillon d’Isouard, en coproduction avec le Palazetto Bru Zane.
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Partenaire incontournable de la résurrection du patrimoine musical oublié du Romantisme français, le Palazetto Bru Zane ne se contente pas de s’associer avec l’Opéra de Saint-Etienne pour faire revivre sur scène la Cendrillon d’Isouard, deux ans après un concert parisien. La présente production initie un programme d’académie d’orchestre original et ambitieux avec les conservatoires de Saint-Etienne et du Puy-en-Velay. Ce sont ainsi vingt-trois élèves en troisième cycle des deux CRR qui se mêlent ainsi dans la fosse aux effectifs de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, après avoir été accompagnés et encadrés tout au long des répétitions par des musiciens de l’orchestre, dans une sorte de tutorat qui leur offre ainsi l’opportunité d’une première expérience de production lyrique en grandeur nature, et un premier pas dans leur insertion professionnelle. Sous la houlette de Julien Chauvin – qui avec son ensemble La Loge, s’attache à restituer les couleurs authentiques de la musique de Siècle des Lumières et des décennies postérieures connexes – cette immersion pédagogique au cœur de la réalité du spectacle vivant se double aussi d’une mise en pratique, sur instruments modernes, des exigences d’interprétation de ce répertoire.
Adaptant le conte de Perrault, le livret d’Etienne substitue la précepteur du prince à la fée, comme quelques années plus tard chez Rossini. A la différence de La Cerenentola, le souverain n’a aucune complicité avec le valet qui prend sa place – c’est Alidor qui tire toutes les ficelles de l’intrigue, jusqu’à, peut-être, la rencontre entre les deux amants, sous couvert de la magie du songe. Les menus réglages accentuent la morale de l’histoire, opposant la simplicité rousseauiste des sentiments véritables et les artifices courtisans, sans oublier cependant de souligner la volonté d’émancipation de l’héroïne. Conçu par Emmanuel Clolus et rehaussé par les lumières oniriques de Dominique Bruguière, le décor unique rotatif, adossant la demeure du baron Montefiascone et le château royal de part et d’autre d’une haie de carton-pâte en guise de forêt, assume la fantaisie merveilleuse du conte et la dimension satirique de la fable, appuyées par les costumes très colorés de Claire Risterucci et une direction d’acteurs peu équivoque. Il faut sans doute comprendre les excès des effets comiques par la destination familiale du spectacle réglé par Marc Paquien. Confiés à deux comédiens, le Dandini de Christophe Vandevelde et le Baron de Montesfiascone de Jean-Paul Muel rivalisent de ressources pour mettre en valeur le ridicule de leurs personnages respectifs, confondant noblesse et courbettes intéressées dans une redondance aux confins de l’indigestion.
Si les deux méchantes sœurs ne s’avèrent pas moins flagorneuses, l’interprétation musicale leur donne une consistance qui les fait contraster dans leur rivalité sous-jacente. La Clorinde de Jeanne Crousaud fait rayonner un soprano piquant aux côtés de la Tisbé au medium plus rond de Mercedes Arcuri – deux portraits complémentaires de l’avidité et de la bêtise. En Ramiro, Riccardo Romeo se distingue par un timbre léger et une jeunesse lumineuse et lyrique qui compense certaines intonations moins à l’aise avec la diction française que ses partenaires – tous sans reproche quant à la clarté du texte, au point de rendre superflus les surtitres. Maniant avec virtuosité les registres successifs imposés par ses déguisements, Jérôme Boutillier, salué dans le Dante de Godard en mars, compose un Alidor de belle allure, explicitant la solidité et l’étendue expressive de ses moyens vocaux. Quant au rôle-titre, il revient à la sensibilité d’Anaïs Constans, dont le babil soyeux fait palpiter les sentiments de la jeune fille, faisant croître sous son apparente résignation une détermination à accéder à son bonheur. Celui du spectateur est relayé par la direction avisée de Julien Chauvin, qui rend accessoires les coupures imposées – entre autres les choeurs – par les dimensions d’un spectacle également programmé en matinée scolaire, qui, comme cela est la coutume à Saint-Etienne, met en valeur le travail des ateliers de la maison.
Gilles Charlassier
Cendrillon, Isouard, mise en scène : Marc Paquien, Opéra de Saint-Etienne, 3 au 5 mai 2019
Visuel : © Cyrille Cauvet