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Natalie Dessay : Nougaro fut l’un des grands poètes de la chanson française.

Natalie Dessay : Nougaro fut l’un des grands poètes de la chanson française.

25 March 2020 | PAR Paul Fourier

Avertissement : cette interview a été réalisée en février 2020, avant l’épidémie de coronavirus, et la parution en a été retardée. Le sujet n’y est donc pas abordé. Comme pour d’autres artistes, certains projets de Natalie seront affectés dans la période à venir ; cet avertissement vise donc aussi à clarifier le contexte.

Natalie Dessay est aujourd’hui une artiste de théâtre et de récitals. Elle a chanté Michel Legrand et, après la sortie de son album, s’apprête à faire une tournée de chansons de Claude Nougaro. Elle nous parle de ses passions, de ses exigences, de ses rencontres et revient (tout de même) un petit peu sur sa carrière lyrique.

Bonjour Natalie Dessay, même si aujourd’hui, vous vous êtes dirigée vers d’autres formes d’art, il est difficile de commencer une interview sans parler de la marque si importante que vous avez imprimée dans le monde lyrique.

Au départ, il faut préciser que je ne me destinais pas du tout à l’opéra, mais au théâtre. C’est par le biais du théâtre, que j’ai découvert que « j’avais une voix » et que je me suis dit alors, que si je voulais jouer, ce serait probablement plus avec le chant que je pourrais le faire.

Vous entrez donc sur les planches par le don qui est le vôtre…

C’est ça, je me suis finalement dit que jouer en chantant, ou jouer en parlant ce n’est pas si différent. Finalement,… je me suis aperçue que, si, c’est très différent !

Quels sont les meilleurs souvenirs de la Natalie Dessay actrice et chanteuse lyrique?

Ce sont les rencontres avec les metteurs en scène. Avec Laurent Pelly, avec Robert Carsen, avec Andrei Serban. Puis, plus tard, avec Jean-François Sivadier. Ces quatre metteurs en scène ont été très essentiels pour moi.

Ils ont, eux-mêmes, un pied dans le théâtre…

Oui absolument.

Alors que nous réalisons cette interview, à l’Opéra Bastille, il y a une reprise, des Contes d’Hoffman de Robert Carsen. Et, encore aujourd’hui, lorsque l’on voit la poupée, on ne peut pas ne pas penser à vous.

Forcément ! C’est moi qui ai créé ce rôle ! Et j’y ai aussi apporté beaucoup de mes propres idées. Tout le parcours physique, je l’ai inventé avec Philippe Giraudeau, le chorégraphe. C’est rigolo de penser que 20 ans plus tard, notre travail est encore bien vivant.

Et aujourd’hui, Laurent Naouri, votre mari est présent dans la production…

Oui, et c’est l’un des rôles de sa vie ! C’est extrêmement plaisant de savoir qu’il continue et prend du plaisir à le faire. C’est vraiment une très belle mise en scène, une très belle dramaturgie. Je me souviens du grand plaisir que j’ai eu à travailler avec Robert, et ce, à plusieurs reprises d’ailleurs.

Un souvenir me reste de la première fois que j’ai vu ces Contes : c’était lors de l’une des premières représentations quand le public, en plein milieu, avait interrompu l’air d’Olympia pour vous applaudir. Il y avait bien sûr là, une performance vocale…

Oui, mais il y a surtout que c’était drôle ! J’aime bien me dire que, même à l’opéra, l’on peut faire rire.

Quels sont les personnages d’opéra qui, pour vous, se sont le mieux prêtés à l’art du théâtre ?

Il y a déjà la poupée… d’ailleurs, j’ai participé à huit productions des Contes ! Je ne pouvais jamais me lasser puisque, à chaque fois, c’était un numéro de music-hall différent du précédent. Il y eut la Barbie mariée, celle de Carsen ; il y eut Shirley Temple dans celle de Jérôme Savary ; il y eut Elizabeth Taylor, dans celle d’Alfredo Arias – où là, en l’occurrence,… j’étais enceinte. Il y a eu la poupée de porcelaine dans celle de Serban ; il y a eu la poupée Frankenstein dans celle de David Mc Vicar. Un autre rôle marquant a été celui de La fille du régiment avec Laurent Pelly… et Eurydice également. Tous ces rôles sont des rôles comiques, donc c’est surement la raison pour laquelle ils m’ont le plus marquée. Et puis il y a eu La Traviata de Sivadier.

Lorsque l’on voit le film réalisé sur la production de Sivadier à Aix-en-Provence, l’on suit le cheminement de toute l’équipe. Et on se pose la question : « Comment les chanteurs arrivent-ils à travailler avec un temps suffisant sur une telle production… ?

Le temps n’est jamais suffisant.

Mais pourtant, dans ce cas, il avait l’air assez long ?

Non, ce n’était pas très long, quatre ou cinq semaines au mieux ; ce n’était pas énorme. Moi, je trouve que ce n’est pas assez ! Bien sûr, il faut que ce soit circonscrit dans le temps, mais on ne se donne jamais assez le temps de vraiment explorer ; et d’ailleurs, je suis assez déçue, car il me semble que, désormais, c’est pareil au théâtre. Là où il y avait huit semaines, comme ça coûte trop cher, il n’y a plus que cinq ou six semaines et parfois même à peine quatre. Cela me paraît extrêmement court pour se poser toutes les questions qu’on peut se poser sur une pièce. Bien sûr, du travail peut être fait en amont. Mais ça ne remplace pas le travail d’expérimentation ; et le travail d’expérimentation, ce n’est pas productif immédiatement. Pourtant c’est cela qui me plaît, de ne pas être productive immédiatement, de chercher…

Est-ce que l’on continue à chercher une fois que les représentations ont commencé.

Oui, mais alors, on est très contraint. On ne peut plus remettre autant les choses en jeu, quoique… Michel Bouquet joue tous les soirs de façon différente, car chaque soir il cherche comment faire sonner son texte autrement.

Peut-être, y a-t-il des déclics qui se font une fois que l’on est en scène…

Oui, mais ce sont de toutes petites choses. Ce n’est pas ça que j’appelle chercher. Chercher, ce serait faire des improvisations, voir ce qui en sort, éliminer, garder, refaire. C’est ça le travail du théâtre !

Finalement, quelle est la scène qui a votre préférence pour faire ce travail ?

Le théâtre ! Car au théâtre, on est maître du temps et ça, c’est complètement différent de l’opéra. À l’opéra, ce n’est pas nous qui décidons ; c’est la musique ! Il y a beaucoup moins de marges de manœuvre, beaucoup moins de marges de créativité pour l’interprète.
Mais c’est aussi pour ça, qu’à mon avis, le théâtre est beaucoup plus difficile. Le chant est un geste technique qui est extrêmement difficile aussi. Mais, à force de travail, on peut l’acquérir.
Le théâtre, c’est beaucoup plus intangible. On dispose d’outils, bien sûr, il faut aussi une technique d’acteur, mais on travaille également sur le présent et sur les émotions.

En même temps, à l’opéra, l’alchimie entre le chant et le jeu, c’est souvent cela qui fait une grande interprétation.

Oui, mais je dirais que le « geste » du chant va à l’encontre du geste du théâtre. Le geste du chant est orienté vers l’extérieur et il est très projeté ; il pourrait presque être indépendant de ce que nos partenaires sur scène peuvent nous renvoyer. Le geste du théâtre, c’est presque l’inverse. C’est savoir ce que je reçois pour pouvoir éventuellement y réagir.

Donc nous avons cité un rôle dramatique (Violetta) ; y en a-t-il d’autres que l’on peut citer ? Lucia ?

Oui, il y a Lucia. Mais l’histoire est un peu schématique quand même.

Oui, mais le destin de cette femme…

Ce sont toujours des destins très XIXe siècle, très « les femmes de cette époque-là vues par les hommes ». C’est quand même très cliché, très caricatural et, au bout d’un moment, c’est un peu frustrant. Cela étant, j’ai adoré le faire ; j’ai adoré chanter cette musique, étudier le bel canto, étudier la musique baroque. Chanter Haendel, c’est un plaisir immense, de musicien plus que d’acteur. Donc je ne boude pas du tout le plaisir musical que j’ai pu avoir ! Un rôle comme Zerbinette, c’ est également un rôle très marrant à jouer ; et aussi très joli à interpréter parce que c’est plus profond qu’il n’y paraît, et que le texte est vraiment très beau là, pour le coup ! C’est Hofmannsthal, un très grand poète qui a écrit le livret. Lorsque l’on a affaire à Hofmannsthal, à Pouchkine, ou à da Ponte, on côtoie les poètes ! Et Maeterlinck ! … Pelléas, j’ai adoré ! Théâtralement, le rôle est un peu étrange, mais la musique est tellement magnifique !

Elle est difficile cette musique ?

Oui !

Par rapport, par exemple, au bel canto qui semble couler plus naturellement…

Le bel canto ne coule pas naturellement. Le bel canto, c’est très, très, très compliqué. Ce n’est pas compliqué à apprendre ; c’est compliqué à faire ! C’est presque l’inverse avec Debussy, ce n’est pas très compliqué à chanter ; en revanche, c’est compliqué à apprendre.

Quelque chose encore vous relie à l’art lyrique, ce sont les récitals…

Il n’y en a plus beaucoup ; Quelques uns, la saison prochaine, avec Philippe Cassard, en France et au Japon. Ça s’appellera « paroles de femmes » et, au programme, il y aura Clara Schumann, Fanny Mendelssohn, Francis Poulenc, sur des poèmes de Louise de Vilmorin ; il y aura probablement aussi la dame de Monte-Carlo, œuvre que je n’ai jamais chantée ; c’est Cocteau et Poulenc, mais c’est d’une femme dont il est question. Je me disais que c’était dans l’air du temps de faire parler des poétesses et des compositrices.
Dans ces récitals, nous serons dans le registre de la soirée poésie. Mais plus dans la performance ni théâtrale, ni même vocale. C’est ça que j’aime, c’est comme de la chanson sans micro.

Venons-en donc au théâtre. En 2013, vous annoncez votre retrait de l’opéra. Vous « basculez » sur le théâtre combien de temps après ?

Environ deux ans, je pense.

Le temps de poser des projets ou y avait-il des choses déjà en préparation ? Est-ce que Und (lire notre critique) était déjà dans les tuyaux lorsque vous avez décidé d’arrêter ?

En fait, je me rappelle m’être lancée dans le vide. Je n’avais pas de projets précis à ce moment-là. Je savais que j’allais continuer à chanter avec Philippe Cassard et que je n’allais pas quitter la musique de sitôt. Et puis, je chantais également avec Michel Legrand. La musique était toujours présente dans ma vie. Puis nous avons mis un an à préparer Und.

Donc, lorsque vous vous lancez dans cette aventure de Und, un seul en scène avec une scénographie puissante, vous rappelez-vous quel sentiment vous avez éprouvé lorsque ça a commencé et que vous vous êtes retrouvée sur la scène du théâtre ?

Oui, je me souviens de l’immense bonheur ressenti alors ! Je me suis dit : mais quelle chance extraordinaire, tu as ! Autant de dire un texte d’une telle beauté, d’une telle puissance, que d’être accompagnée par ces gens – ceux qui m’ont portée, et qui m’ont fait connaître ce texte – c’est-à-dire Jacques Vincey et son dramaturge Vanasay Khamphommala, sans oublier Alexandre Meyer pour la partie sonore et musicale du spectacle.
Jacques est un metteur en scène dont j’aimais déjà beaucoup de travail. J’étais notamment allée voir « Les bonnes » de Jean Genet que j’avais adoré ; ainsi que « La vie est un songe » de Calderon.

Comment s’est établi le contact entre vous deux ?

En fait, j’étais allée voir « Les bonnes » avec Marilu Marini. Et, c’est elle qui a fait le lien. Elle me l’a présenté et je lui ai simplement dit que j’aimais beaucoup ce qu’il faisait et que si, un jour, il y a un texte qui lui passe par les mains et qui pourrait me convenir, je serais vraiment ravie de travailler avec lui. J’ai lancé cela comme ça sans trop y croire. Et… un an plus tard, Il m’a contactée et m’a demandé de venir de voir « La vie est un songe » au Théâtre du Nord à Lille puis, à l’issue du spectacle il m’a dit qu’il avait trouvé un texte qui pourrait m’intéresser.

Pourquoi ce texte ?

Ce seul en scène et cette figure un peu hiératique, ça lui faisait penser à une chanteuse. Et, quelque part, à la solitude d’une cantatrice. Et ça n’est pas faux ! C’est un texte qui peut paraître très abscons au premier abord. Je me rappelle la première fois que je l’ai lu, je me suis dit : « je n’y comprends rien, mais j’adore » ! (rires). C’est comme Mallarmé ou René Char : on ne comprend rien, mais on sait que c’est puissant. En fait, il ne s’agit pas de comprendre ; il suffit de se laisser pénétrer par les images. Et de voir ce qu’elles évoquent. Und, c’est un cheminement presque sensoriel. Avec les grands poètes, c’est l’inconscient qui parle.
En ce moment, par exemple, je viens de faire un stage sur Jean Genet et Ivan Viripaev, et c’est pareil, en ce qui concerne Genet du moins, ce sont des images poétiques d’une très grande puissance. Il faut se laisser pénétrer par cette beauté.

Il s’agit de quels textes ?

En l’occurrence, nous avons travaillé sur Les bonnes, Le balcon, Les paravents, Haute surveillance. Quant à Ivan Viripaev, c’est un théâtre qui peut paraître très logorrhéique et répétitif, mais qui évoque des situations toujours très quotidiennes et qui ouvre sur le fantastique et la misère de la condition humaine.

En tout cas, ce ne sont pas des auteurs classiques, tranquilles…

Il n’y a pas de grands auteurs tranquilles ! Ça n’existe pas ! Les grands auteurs interrogent et bousculent. Que ce soit Molière, Racine, Tchekhov, Beckett, Shakespeare…

Y a-t-il donc des projets théâtraux en route ?

Oui absolument ; nous attendons déjà une réponse du Festival d’Avignon. Il y a un projet autour des Métamorphoses d’Ovide. Sur la figure d’Écho. Il y a aussi Elizabeth Chailloux qui m’a présenté un très beau texte de Maria N’Diaye, intitulé Hilda. Il y est question d’une femme qui se définit elle-même comme une bourgeoise de gauche, mais dont on va constater qu’elle réduit sa domestique à l’état d’esclavage. Et ce… en tout bien tout honneur !

Le décalage entre les convictions politiques affichées et les faits…

C’est ça ! Les bonnes intentions !

Il y a évidemment la tournée Nougaro qui s’annonce. C’est très important et elle va m’occuper une grande partie de l’année. Il y a aussi quelques récitals avec Philippe et, également, une participation, en tant que chanteuse, à un texte d’Amos Gitai sur l’assassinat d’Yitzhak Rabin au Théâtre de la Ville, à l’espace Cardin, en octobre.

Parmi les nouvelles expériences, il y a eu la radio aussi.

C’était il y a 5 ans. Pendant un an, j’ai fait une quotidienne. Plus jamais ! Il ne faudrait faire que ça ! Je ne dormais plus ! Si je devais refaire de la radio, ce ne serait pas une quotidienne. Heureusement, j’avais Philippe Cassard avec moi. C’était néanmoins une très belle expérience, car j’adore « causer dans le poste » et j’ai aussi beaucoup appris. Mais je n’avais pas tout à fait mesuré le temps de préparation.

Alors, on ne peut pas ne pas parler de Michel Legrand ! Parce que, d’une part, à la fin, il a partagé une partie de sa carrière avec vous, et que d’autre part, c’est un univers qui avait l’air de tellement vous convenir !

Ah oui, Michel est, pour moi, une rencontre capitale ! C’est lui qui m’a donné, sans le savoir, le courage de quitter ma vie d’avant. C’était un homme suprêmement libre. C’est extrêmement rare, et très inspirant, de rencontrer des gens aussi libres.

Il avait l’air d’avoir une énergie invraisemblable.

Oui, mais au-delà de l’énergie, c’est quelqu’un qui ne se laissait enfermer nulle part.

Dans son travail avec Jacques Demy, il y avait une légèreté…

C’était deux frères jumeaux qui se complétaient à merveille ! La vingtaine de chansons qu’il a faites avec Nougaro, c’est magnifique aussi. Quant à « Yentl », c’est probablement son grand chef-d’œuvre ; ainsi que « Between Yesterday and Tomorrow » qu’il a écrit pour Barbara Streisand et que j’ai interprété ; et pour ces deux œuvres majeures il avait un couple de poètes fabuleux, Alan et Marilyn Bergman comme paroliers.

Quelle complicité y avait-il entre vous avec cette différence de génération ?

Il y avait beaucoup de tendresse ; et de ma part, évidemment, une immense admiration. Je pense qu’il était très touché que quelqu’un venant du classique aime tellement sa musique. Parce que, autant les jazzmen adorent la musique de Michel Legrand, autant les classiques ne se rendent pas compte toujours de son génie. Je pense qu’il souffrait de ne pas avoir été reconnu vraiment par les classiques. Toute l’école Boulez ne pouvait pas accueillir Michel Legrand comme un grand compositeur. Il n’est pas le seul, mais, à partir du moment où Boulez avait pris tant de pouvoir, il n’y avait plus de place pour les gens comme Michel.

C’est vraiment quelqu’un qui marque durablement l’histoire de la musique.

Il a été prolifique jusqu’au bout, jusqu’à écrire un concerto pour piano à la fin de sa vie ; et même Liliom, un ballet classique pour John Neumeier. C’était une source intarissable. Ce que disait Nougaro, c’est que Michel était une fontaine à mélodies ; ça ruisselait de lui tout le temps. Il se mettait au piano et inventait des mélodies… tout le temps.

La dernière vue fois que je l’ai vu, c’était au Trianon, et on sentait sa joie d’être là.

Michel, à partir du moment où on le mettait devant un piano, si possible avec un orchestre, il était parfaitement heureux !

Et il y a Nougaro, un disque, et bientôt, une tournée. L’avez-vous connu ?

Je l’ai connu à la fin de sa vie. J’ai participé à son album posthume « La note bleue ». C’était déjà Ivan Cassar qui avait fait un très bel arrangement – et m’avait écrit une belle vocalise – de « autour de minuit ». Dans cette chanson, je chantais avec ma voix lyrique.
J’ai, par ailleurs, connu Claude qui était venu m’écouter à l’opéra, notamment parce que son père était chanteur d’opéra. Et son père m’avait même remis un prix de chant, dans un concours dans les années 80.

Nougaro, ce sont des textes et une façon de les dire.

Nougaro, c’est, en effet, la force des textes, la force de la poésie. C’était aussi un personnage, une bête de scène et cela a pu occulter la force de sa poésie. Ceci étant, moi, je ne chante pas ses textes comme lui.
Nougaro, c’était la beauté de ses textes et aussi sa curiosité musicale, son grand amour du jazz, de la musique africaine, de la musique brésilienne. Il est allé chercher des thèmes de jazz et y a mis des textes français ; il a fait swinguer la langue française !

Il y a donc un disque…

Avec des très beaux arrangements d’Ivan Cassar ! Je prends un peu le contre-pied de ce que faisait Claude ; c’est-à-dire, que je me mets vraiment derrière le texte que je veux vraiment faire redécouvrir et entendre ; comme un poème ; avec une voix très douce et aucun effet. Ce n’est pas du tout spectaculaire. Par exemple, je chante Toulouse comme un souvenir nostalgique, pas du tout comme une explosion.

Lorsque l’on écoute Nougaro, il y a, comment dirais je…

…Cette verve, cet accent, cette façon de mordre dans les mots (Natalie Dessay prend, à ce moment, les accents de Nougaro). Moi, je ne fais pas du tout ça.

Vous vous rapprochez donc un petit peu de la mélodie que vous chantez par ailleurs.

Oui, probablement, mais surtout, j’explore aussi, pour ce qui me concerne, une voix assez grave, assez douce ; donc l’inverse de ce que j’ai pu faire pendant 30 ans.

Qu’est-ce qui aujourd’hui vous parle ou parle au public dans les textes de Nougaro ?

Moi ce qui me parle, c’est la beauté de sa poésie. Quand il dit :

« J’appartiens aux inguérissables
Aux affamés d’un abreuvoir
Où parmi les dunes de sable,
On boit l’étoile jusqu’à plus soif
Le noir ça va bien aux étoiles
Les araignées de l’éternel
Y en a qui voient la vie en rose
Moi c’est en noir au septième ciel »

Qu’est-ce que l’on ajoute à cela ?

Nougaro s’inscrit dans la veine des grands chanteurs-poètes français.

Évidemment ! Les Brel, les Ferré les Barbara. Mais, avec plus de force encore. Je le rapproche plus de Brassens du point de vue de la beauté formelle et du maniement de la langue.

Est-ce que l’on peut encore lier Nougaro à la ville de Toulouse ?

Oui et non ! Parce que pour moi, sa chanson Toulouse, c’est presque devenu un hymne français. C’est-à-dire, que tout le monde connaît cette chanson, tout le monde aime cette chanson, tout le monde a une connexion avec cette chanson, parce qu’en fait c’est une chanson qui parle de là où l’on vient. Peu importe que ce soit Toulouse. Claude part toujours du particulier pour ouvrir sur l’universel. C’est ça la force des grands poètes ! Cette chanson nous parle de notre enfance à tous. On vient d’une ville, d’un endroit, qui nous a marqué en bien ou en mal.
D’ailleurs, c’est drôle, parce que, au départ, il avait écrit une tout autre chanson ; une chanson extrêmement dure. Il n’avait pas été très heureux, en tant qu’enfant, dans cette ville. Et sa femme de l’époque lui a dit : « Non tu ne peux pas faire ça, tu ne peux pas écrire une chanson aussi dure sur ta ville d’enfance ! Donc tu vas m’emmener et tu vas revoir ta copie ». Ce qu’il a fait…

Alors, vous allez partir en tournée. Comment ça se passe ?

Je ne sais pas vraiment, quoique je l’ai déjà fait pour le théâtre. Nous avons tourné, pendant assez longtemps, avec La légende d’une vie de Stefan Zweig. Nous l’avons joué 158 fois. Mais la tournée d’un concert de chansons, je ne sais pas ce que c’est. Cela étant, il n’y aura que 20 ou 30 dates.

Il y a eu la période, pour votre couple, où les enfants étaient encore très jeunes. Et c’était plus difficile de partir.

Aujourd’hui, ils ont leur vie, ils ne sont plus chez nous ; ils chantent, ils jouent, ils font de la musique. Et nous sommes désormais entièrement libres. C’est très bien ; nous n’avons plus à nous préoccuper de savoir si l’on part ou pas.

Pour finir, une petite question sur la comédie musicale. C’est un peu le pendant anglo-saxon de l’opéra.

Oui et j’aimerais bien que cela prenne plus de place en France, y compris, dans les maisons d’opéra. Ma fille a fait, récemment, ses débuts à l’opéra de Strasbourg, dans la version française de « Un violon sur le Toit ». C’était très bien traduit, magnifiquement mis en scène par Barrie Kosky. Tout cela avec les moyens de l’opéra, avec un vrai orchestre, des chœurs, un magnifique décor.
Il y a tout un répertoire qui est possible à faire en français. Pas tout ! Sondheim, par exemple, ça paraît compliqué de le faire en français parce que la musique est très induite par le texte et vice versa. Mais par exemple, Hello Dolly, en français, ça serait super et cela a d’ailleurs déjà été fait. Nicole Croisille, Annie Cordy l’ont chanté. On peut également penser à Gypsy ou à Kiss me Kate. Ou même à My Fair Lady.

Dès que l’on traverse la Manche ou l’Atlantique, on est plongé dans cet univers. Pourquoi n’est-ce pas le cas en France ?

Ce n’est pas notre culture. Il faudrait déjà faire connaître. C’est ce qu’a tenté de faire Jean-Luc Choplin, avec beaucoup de succès d’ailleurs, au Théâtre du Châtelet. Et maintenant, il continue à Marigny. Mais, quand même, il faut beaucoup de moyens pour ça. C’est pléthorique en termes de distribution.
Il y a, aujourd’hui, des jeunes chanteurs français qui savent faire ça ; ils sont très bien préparés vocalement ; ils ont baigné dans plein de sortes de musique et avec un accès à la musique beaucoup plus facile que le nôtre. C’est très encourageant et j’espère que ça va se développer.

Donc, peut-être un projet de comédie musicale pour vous ?

J’aimerais beaucoup. J’aimerais bien jouer Hello Dolly, par exemple. Et pourquoi pas un Sondheim, même en anglais. J’avais déjà chanté « Passion ». Avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail, il n’y a rien d’impossible. Car même si je parle anglais, je ne suis pas native. Donc ce travail nécessite des mois et des mois de préparation. C’est compliqué l’anglais pour ceux qui ne sont pas bilingues de naissance. Je travaille beaucoup sur l’accent, je travaille beaucoup sur comment chanter en anglais, sans trop d’accent. Et ensuite, il faut encore jouer. J’ai appris l’anglais à 28 ans. C’est tard. Mais autant je me débrouille très bien pour le parler, autant jouer est plus difficile.
Mais Hello Dolly, en français, ça pourrait se monter facilement ! Pourquoi pas ?

Donc avis aux directeurs de théâtres !
Merci beaucoup Natalie et à très bientôt.

Photo de couverture © Simon Fowler ; Und © Christophe Raynaud de Lage ; Dessay / Legrand © Warner Classics  ; Dessay / Cassar © Bernard Martinez.

La tournée Natalie Dessay chante Nougaro devait commencer le vendredi 27 mars 2020. Le calendrier est régulièrement mis à jour sur le site de la production.

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