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Laurent Naouri : “la vie c’est l’art des rencontres (*)”.

Laurent Naouri : “la vie c’est l’art des rencontres (*)”.

18 February 2020 | PAR Paul Fourier

Nous avons rencontré Laurent Naouri lors des représentations des Contes d’Hoffmann à l’Opéra Bastille. Il nous a parlé très librement, de sa « carrière », de l’Opéra bien sûr, du jazz, de Natalie Dessay évidemment, mais aussi de « Retour à Lemberg », de « Bridges », des Contes d’Hoffmann et de la salle Cortot.

Bonjour Laurent Naouri,
Si l’on doit résumer votre carrière en quelques dates, quelles sont les rencontres déterminantes que vous avez faites depuis le début des années 90 ?

La première belle rencontre, pour moi, c’est celle avec Pierre Constant en 90. Je faisais un stage semi-professionnel autour de Cosi fan tutte et c’était la première fois que je chantais avec orchestre. L’équipe d’encadrement était de très haut niveau ; il y avait donc Pierre Constant, mais également Jeanine Reiss, Richard Miller et le chef d’orchestre Jonathan Darlington.
Parmi ces personnes extrêmement qualifiées, j’ai été très marqué par la rencontre avec cet homme-là qui m’a, je pense, révélé ce dont je pouvais être capable sur scène et avec qui, après toutes ces années, je suis encore très lié. Il associe comme peu d’artistes, poésie et mouvement. Je n’ai malheureusement pas pu créer la trilogie Mozart – Da Ponte avec lui, en 1995, mais j’ai pu tout de même, par la suite, faire deux des volets en 2010. Cela m’avait fait très plaisir de retravailler avec lui 20 années pile après que l’on s’était  rencontrés.

C’est donc une rencontre importante qui lance votre carrière…

Je n’arrive pas à penser en termes de carrière, car ma carrière c’est un peu n’importe quoi (rires). Il m’arrive de chanter parfois très bien, parfois moins. C’est très irrégulier. Ça va au fil de ce que mon inspiration et ma santé me font produire. Mais je dois dire que ça a été gentiment linéaire. Il n’y a pas eu de grands boost soudains ; on peut dire qu’il y a eu de grands épisodes, grosso modo régulièrement ascendants.

Avez-vous interprété beaucoup de rôles ?

Ah oui ! Il y en a eu, je pense, plus d’une cinquantaine. Je pense même avoir été le seul baryton à  avoir chanté dans la même saison, Eugene Oneguine et Bottom du Midsummer night’s dream, par exemple. J’ai chanté, avec ma voix, cette sorte de voix élastique bizarre, deux rôles dans Benvenuto Cellini (Balducci et Fieramosca) et j’ai d’ailleurs enregistré les deux. Je ne sais même pas moi-même trop qui je suis.
Quoi qu’il en soit c’est, pour moi, une grande source de joie que d’avoir réalisé autant de choses variées. Et il y a eu, bien évidemment des rôles clés, comme dans Les Contes d’Hoffmann et Pelléas et Mélisande, que j’ai traînés un peu partout.
Ensuite, il y a eu la rencontre avec Marc Minkowski. C’est lui qui a lancé mon expérience baroque, si je puis dire. Je ne connaissais rien à ce répertoire lorsque je l’ai rencontré. Et ma rencontre avec Marc a entraîné toutes les rencontres que j’ai pu faire ensuite dans le monde du baroque. Il a été déterminant. J’ai bien sûr, ensuite, eu un très grand plaisir à travailler avec William Christie, avec Emmanuelle Haïm. Avec Emmanuelle, je garde le souvenir d’avoir enregistré l’une des choses dont je suis le plus fier ; ce fut, en 2002, le Aci Galatea e Polifemo… et cet air si particulier « Fra l’ombre e gl’orrori » que je crois avoir, modestement, fait assez bien avec elle qui m’en a donné la chance.
Il y a eu une belle rencontre aussi, dans les années 90, avec Christian Gangneron, avec qui j’ai fait la trilogie da Ponte. Outre le fait de travailler ensemble qui m’a beaucoup plu, il m’a fait cadeau d’une phrase de René Char  qui l’a – et m’a – libéré du trac. Elle dit : « l’Oracle ne me vassalise plus, j’entre, j’éprouve ou non la grâce ». Le thème du poème n’est pas du tout celui-là (thème tellement beau et tellement magnifiquement analysé par Georges Mounin dans le très bel ouvrage « Avez-vous lu Char »), mais ce n’est pas grave, car ça s’applique très bien au trac.
Ensuite, dans les années 90, il y a ma rencontre avec Martial Solal qui fut, pour moi, très importante, car musicalement, c’est vraiment du jazz que je viens. Je dois d’ailleurs être l’un des rares chanteurs à avoir chanté avec lui et probablement le seul chanteur d’opéra (rires).
À ce propos, ce qui est très intéressant, c’est que le XXe siècle est le siècle qui a dissocié, dans la voix, la fonction amplificatrice que l’on a pu utiliser ailleurs, à savoir dans un micro. Cela a produit d’autres façons d’émettre et de communiquer. C’est d’ailleurs le thème d’un projet que j’ai entrepris et qui va sortir à l’automne prochain. On en reparlera plus tard.
Et donc, quand j’ai eu envie de faire quelque chose dans le jazz, Martial m’a adressé à Manuel Rocheman, un remarquable pianiste français avec qui j’ai fait un album autour de Bill Evans, il y a une quinzaine d’années. C’est ainsi grâce à lui que j’ai commencé à fréquenter beaucoup de musiciens de jazz. Ça a amorcé ce que je peux appeler ma carrière parallèle… et clandestine (rires).
Je dois également citer Peter Stein et notre Falstaff en 2004 qui a été, pour moi, un évènement très important ; cette rencontre et avec le personnage et avec le metteur en scène.

Pourquoi ce personnage ?

Parce que, pour moi, c’est le personnage le plus noir, le plus désespéré de tout le théâtre. On pourrait dire « On sait que c’est foutu alors autant continuer à rire ». Un jour alors que je faisais Iago juste après Falstaff, un journaliste m’avait dit « Alors après le plus léger des opéras, le plus noir ? » et je me rappelle lui avoir répondu : « Détrompez-vous c’est presque dans l’autre sens ».
Une autre rencontre, évidemment déterminante, a été celle avec Laurent Pelly. À partir de Orphée aux enfers. Je crois, d’ailleurs, que je dois être le recordman des productions de Laurent. Et l’on se retrouvera pour Falstaff à Bordeaux, l’année prochaine.
Dans les années 2000, il y eut des rencontres musicales qui m’ont beaucoup marqué. Celle avec Bernard Haitink notamment. Pour moi, c’est le seul chef non francophone qui sache diriger Pelléas. Je pensais vraiment qu’il fallait parler français couramment pour arriver à diriger cet opéra. Cet homme étrange et poétique m’a détrompé. À propos de Pelléas, j’en ai fait tellement de différents, c’est fascinant ! Sylvain Cambreling, Louis Langrée, Stéphane Denève, John Eliot Gardiner… chacun a le sien. J’ai vraiment eu grand plaisir à le faire avec tous, vraiment ! Avec Esa-Pekka Salonen, il fallait parfois tempérer un peu ses élans, mais nous avons fait ensemble le plus beau Pelléas que j’aie jamais fait ; celui avec Katie Mitchell à Aix-en-Provence en 2016. Et quelle distribution ! Le type qui a eu la chance de tuer Stéphane Degout, je peux vous dire qu’il ne s’en remet pas (rires).

À ce propos, dans la liste des rencontres, vous ne citez pas de chanteurs ?

Non, car si mes partenaires ont été importants, cela n’a pas été déterminant sur ce que j’aurais fait, moi.
Bien évidemment, j’ai énormément d’admiration pour des chanteurs avec qui j’ai travaillé. En particulier, une avec qui j’ai la chance de partager la vie. (rires)
Je dois dire que la rencontre avec Natalie (Dessay), il y a 30 ans, avant même que je ne commence ma carrière, a été déterminante dans le fait que je me sois dit que j’étais peut-être capable de faire ce métier-là. Nous nous sommes rencontrés en 1989, elle a débuté en 1990. Ce qui est drôle c’est que l’opéra n’est naturel ni pour l’un ni pour l’autre et je pense que c’est ce qui nous rapproche. Nous ne sommes pas des chanteurs d’opéra d’instinct !
Il y a bien sûr des chanteurs dont j’admire le savoir-faire, la ligne de chant, le talent. Pour Hoffmann, par exemple, écouter chanter Matthew Polenzani est pour moi une leçon de chant à chaque fois. Il a ce que je n’ai pas !

C’est-à-dire ?

J’ai un talent de diseur, je suis certainement un bon acteur, j’ai une voix puissante, mais je ne pense pas posséder cette conduite que j’admire toujours et que je recherche avec les moyens qui sont les miens. Cela fait toujours beaucoup de bien de chanter avec des gens qui chantent comme ça. Chanter La Traviata avec lui, cela m’inspirait constamment. Dans ces moments-là, je suis un petit peu comme le ver de terre amoureux d’une étoile (rires).

Il y a chez vous, cela est flagrant dans cet Hoffmann à Bastille, un sens du mot incroyable !

Oui, je dois avouer que c’est un rôle que je ne fais pas mal, et effectivement j’ai toujours grand plaisir à mordre dans les mots si pleins d’esprit de ce livret !
Pour revenir aux chanteurs, à chaque fois que j’écoute Anna Netrebko – et je regrette de ne jamais avoir chanté avec elle – j’en reste « baba ».

C’est un phénomène et quelle évolution de la voix !

C’est simplement incroyable.
C’est sûr que certains grands chanteurs comme ça sont des grands poètes. Ils sont pour moi comme des choses vers lesquelles il est utile de tendre avec les moyens dont je dispose. Mais, comme je le disais, ils n’ont pas été déterminants.

Une autre date importante a été la rencontre avec le pianiste Guillaume de Chassy en 2013 ; et ceci pour deux raisons. D’abord, parce qu’il m’a contacté en 2013 pour un projet que j’aime beaucoup ; il m’a mis en contact avec son trio « Silences » avec Thomas Savy à la clarinette et Arnault Cuisinier à la contrebasse et nous avons fait un disque que j’aime beaucoup qui s’appelle « Bridges » sur lequel nous avons un peu retravaillé des mélodies du Hollywood song-book de Hans Eisler et des thèmes de Prokofiev sur lequel nous avons mis des poèmes russes de Tsvetaieva, Tchoulkov, Lermontov, Pouchkine et Essénine. J’ai tellement eu de plaisir à travailler avec ces musiciens et à mettre un petit pied dans quelque chose qui n’est pas du jazz. Ce projet-là est acoustique ; je chante en voix projetée. Il se trouve que demain (le 31 janvier 2020), nous le faisons au Bal Blomet et nous y avons ajouté des chansons de Kurt Weill. Je prendrai, ce que j’aime beaucoup faire, le micro pour changer d’émission en cours de route.

Retour à Lemberg

Au même moment, après que Guillaume de Chassy m’a contacté en 2013, il se trouve que Philippe Sands, un ami d’enfance, avocat international, m’a appelé pour me parler d’un projet à propos de recherches qu’il faisait sur le procès de Nuremberg. Il était en train de préparer un livre – sorti il y a deux ans – qui s’intitule « Retour à Lemberg ». Il me raconte alors cette histoire de deux juristes juifs qui ont donc étudié à Lemberg, en Ukraine, pratiquement dans les mêmes années. L’un émigra en Angleterre, l’autre aux États-Unis et quand le procès de Nuremberg se préparait, il se trouve qu’ils ont été, séparément, sélectionnés comme conseils juridiques. L’un, Raphaël Lemkin, a produit le concept de « génocide », et l’autre, Hersch Lauterpacht, celui de « crime contre l’Humanité ».
Tous deux étaient très mélomanes. Et ils avaient face à eux, parmi les accusés Hans Frank, que l’on appelait le boucher de Varsovie (il est notamment cité dans Kaputt de Malaparte). Lui aussi était un grand mélomane et un grand ami de Richard Strauss. Celui-ci a d’ailleurs écrit pour lui à l’occasion de son anniversaire, en 1943, une chanson dont on a les paroles. Et il se trouve qu’un épisode a frappé mon ami. Hans Frank comme Lauterpacht, l’un des deux avocats, dans leur douleur ou dans la solitude, écoutait, pendant le procès, La Passion selon Saint-Mathieu, et ça les aidait à tenir. Puis beaucoup de musiques sont venues dans la narration de cette histoire ; dont certaines musiques que mon ami, lui-même, a rencontrées pendant sa recherche. Finalement, il m’a présenté une espèce de narratif avec pas mal de musiques différentes ; il y avait du Rachmaninov, du Beethoven, du Bach évidemment, mais aussi du Paul Misraki et du Leonard Cohen. Il me fallait donc un pianiste capable de m’accompagner, en même temps, dans « Erbarme dich, mein Gott » (de la Passion) et qui soit capable d’improviser sur du Paul Misraki ou jouer du folk, du Leonard Cohen, etc.
Ainsi, nous avons monté un spectacle qui a une importance énorme pour moi ; nous l’avons fait sur France Culture au Théâtre de la Colline ; cela s’appelait « Retour à Lemberg », mais désormais, on l’appelle partout dans le monde « Song of Good and Evil ». Nous le faisons avec deux narrateurs, Katja Riemann, une actrice allemande et mon ami avocat, le pianiste et moi en tant que chanteur. Nous l’avons fait notamment dans la salle du procès à Nuremberg pour l’anniversaire de son ouverture. Pour l’anecdote, j’y ai rencontré le fils de Hans Franck, le fils du nazi, qui a 80 ans et avec qui nous nous sommes liés d’amitié et qui est un homme extraordinaire. Ce n’est pas facile de vous rappeler que vous êtes le petit Prince de la Pologne occupée.
Un jour, nous étions, à Berlin pour ce spectacle et le lendemain nous partions pour l’Australie. Comme c’était en Allemagne, il est venu nous voir et je lui ai dit « Tu te rends compte, on a commencé cette série de spectacles dans un obscur petit festival du Pays de Galles et maintenant, on nous fait voyager en business en Australie pour aller le présenter ! » et il me répond « Je me souviens ; lorsque j’ai écrit le livre sur mon père dans les années 80, on m’avait également fait voyager en business pour le présenter. C’est l’avantage d’être le fils d’un meurtrier de masse, on te fait voyager en business partout pour en parler ». Si ça c’est pas de l’humour juif ! (Rires).
Ce livre (« Retour à Lemberg »), vraiment je le recommande, c’est un ouvrage phénoménal.

Une petite question sur votre couple avec Natalie, question qui vient naturellement à l’esprit lorsque deux artistes ont des carrières parallèles et sont amenés à voyager chacun de leur côté. Comment gère-t-on ça,  notamment quand on a des enfants en bas âge ?

On peut dire qu’on a vécu à moitié ensemble et à moitié pas ensemble. Nous avons eu la chance de pouvoir alterner pas mal avec les enfants. Et nous avons eu deux couples de grands-parents extrêmement fonctionnels, je dois dire ; plus les moyens d’avoir quelqu’un qui s’en occupait aussi. Malgré tout, on était très rarement plus de dix jours sans qu’il y ait l’un de nous deux à la maison. Il n’y a vraiment pas de recette ; quand c’est comme ça, vous improvisez…

Vous avez beaucoup chanté ensemble ?

Peu ! Ensemble, nous avons fait Orphée aux enfers, Pelléas et Mélisande à Vienne, La Traviata à Santa-Fé puis à Tokyo, ainsi que Les parapluies de Cherbourg, Le songe d’une nuit d’été en 1998 à Lyon et quelques concerts avec Maciej Pikulski. Tiens, ma rencontre avec Maciej Pikulski a été aussi très importante pour moi, car je fais beaucoup de récitals avec lui et j’ai toujours énormément de plaisir à chanter avec cette « pâte d’homme ».
Et puis soyons clair, avec Natalie, nous ne boxions pas dans la même catégorie donc, de temps en temps, pouvoir la rejoindre, c’était un privilège. Et nous nous sommes toujours refusé à jouer le côté « Natalie et Laurent, c’est un package ». Nous n’avons jamais pratiqué cela, et y avons mis un point d’honneur.

Venons-en à ces Contes d’Hoffmann que vous chantez, en ce moment, à Bastille. Il y a d’abord cette mise en scène incroyable de Robert Carsen…

C’est vrai que cette mise en scène est incroyable. Je l’ai faite, la première fois, en 2002 puis refaite, en 2012, à la Scala ; je dois dire que, aujourd’hui, j’ai juste une frustration dont je ne peux, d’ailleurs, pas tenir rigueur à Robert. L’état actuel des recherches musicologiques fait que l’on pourrait tout de même construire un acte de Giulietta plus sensé. La question n’est pas celle de l’authenticité musicale ; j’adore le sextet et ça ne me dérange pas de le faire ; mais il y a tout de même une logique qui fait que Schlemil ne meurt pas à la fin ; il meurt au début et c’est pour cela que Hoffmann et Nicklausse doivent partir, que des sbires vont venir, etc. Cela se termine même par la mort de Giulietta et c’est beaucoup plus intéressant. Je pense que l’on peut construire, avec ce que l’on a comme musique, une histoire plus forte et plus convaincante, tout en redisant que je n’en ai rien à faire des puristes…

C’est vrai que cet acte est complètement sacrifié.

Moi je ne comprends rien à cet acte !
Par ailleurs, je dois dire que sur d’autres parties, je n’aurais pas forcément fait les mêmes choix éditoriaux. Par exemple dans l’acte d’Olympia, je préfère le trio des yeux ; je le trouve plus riche musicalement.
Mais il faut souligner, pour cette mise en scène, une intelligence, une cohérence, comme toujours avec Robert d’ailleurs. Il a toujours de superbes idées et je crois que c’est l’une des personnes les plus intelligentes que j’ai rencontrées de ma vie.

Une mise en scène de cet opéra n’est pas évidente, car il y a trois actes différents et trois ambiances.

Oui, mais là, le théâtre les unit, la salle opératique les unit et le vide les unit aussi. Et ça fonctionne remarquablement bien. Pour les Contes, il y a d’autres mises en scène que j’ai beaucoup aimé faire, celle de Laurent Pelly par exemple, ainsi que celle que j’ai faite avec David McVicar à Anvers. Elle était remarquable. La figure de la muse était un petit peu comme la figure de Marie Shelley par rapport à Percy Shelley, c’est-à-dire qu’elle a son œuvre, mais elle s’occupe de tout et elle le suit partout et dans cet opéra quand elle chante « entends-tu l’archet frémissant », c’est comme si elle disait « pourquoi est-ce que tu vas voir ailleurs alors que tu m’as moi » ; on pouvait penser qu’il irait vers elle et puis finalement Antonia arrivait. C’était très surréaliste et c’était une très belle chose.

Évidemment, lorsque l’on revoit cette production de Bastille, on repense immanquablement à Natalie qui l’a créée. Souvenons nous que le public avait, chose rarissime, interrompu l’air d’Olympia par ses applaudissements.

Oui j’étais vaguement là (rires). En effet, cette production porte l’empreinte de Natalie. On peut dire que c’est Natalie qui l’avait faite pour Natalie ! C’est comme si on lui avait donné un joujou et qu’on lui avait dit « allez, vas-y » !

Ça fonctionne bien d’ailleurs avec Jodie Devos, car elle a ce tempérament comique.

Oui absolument et ça a bien fonctionné aussi avec Désirée Rancatore.

Alors, il se trouve que ces Contes d’Hoffmann ont été donnés dans des conditions un peu particulières avec le conflit sur les retraites. La première représentation qui a pu avoir lieu, après un mois et demi d’interruption, a été précisément avec Les Contes. Évidemment, tout le monde s’est posé la question de savoir comment les artistes qui travaillaient sur ces productions avaient eu à gérer cela. On a notamment des artistes qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux pour dire leur tristesse de ne pas pouvoir chanter.

Je ne suis pas du tout inconfortable sur cette question et même très clair parce que je ne suis pas très content. Je considère que l’on peut manifester autant que l’on veut ; que l’on peut supprimer autant de représentations que l’on veut si on estime que c’est un mode d’action valable. C’est triste, c’est regrettable, mais pourquoi pas ! En revanche, supprimer des répétitions, je ne le tolère pas. Je trouve ça absolument insupportable ; insupportable, car notre devoir c’est d’être prêt au moment où l’on va devoir jouer. Car, en plus la visibilité d’une institution comme celle-ci se fait, évidemment, sur les représentations. Et donc, je peux le dire, je trouve ça méprisable. Supprimer des générales, supprimer de la machinerie pendant des scènes et orchestre, non seulement c’est irresponsable, c’est aussi dangereux, c’est inconséquent et injustifiable.

On a vu, par ailleurs, lors de la reprise des Contes d’Hoffmann, des réactions du public assez violentes.

Bien évidemment, je ne pense pas que les gens aient annulé pour le plaisir non plus ; donc la réaction du public est une réaction que je trouve aussi un peu stupide, mais pour le coup, elle n’est pas méprisable.

Pour revenir à ces Contes,  je dois avouer que je suis toujours ébloui par ce que vous faites dans le rôle des méchants.

Merci. Mais, il faut dire que le jour où vous l’avez vu, je n’étais pas bien. J’ai été pris par des crises de reflux massif ; j’avais des nausées et un moment je ne pouvais même presque plus chanter ; ceci étant, c’était intéressant, parce que, techniquement, il fallait aller puiser dans les bonnes ressources.

Peut-être, évidemment ai-je pu ressentir ça dans le « Scintille diamant ». Mais pour le reste, ce souci du mot, ces accents…

Eh bien, je peux vous dire que je me débrouillais comme je pouvais. Pour autant, je n’allais évidemment pas faire faire une annonce sur ce sujet, il y avait déjà assez d’annonces relatives à la grève.

Parlons des projets.

Ah oui ! D’autant qu’il y en a un qui me tient énormément à cœur.
D’abord, je suis très content de faire Yvonne de Bourgogne (de Philippe Boesmans) parce que je trouve que le spectacle qu’a réalisé Luc Bondy est remarquable. Je l’avais vu à la création et cela m’a fait plaisir qu’on me le propose. Et puis j’adore travailler avec Susanna Mälkki ; elle a tellement rendu les choses possibles quand on a fait Trompe-la-mort ; c’est une espèce de bouddha serein imperturbable et musical ! (rires)
Ensuite arrive une Dame de pique qui me tient beaucoup à cœur, car j’ai beaucoup d’affection pour le metteur en scène, David Marton ; je l’avais rencontré à Lyon pour une Damnation de Faust. C’est quelqu’un qui m’est très cher et qui est complètement cinglé, tout aussi cinglé qu’il est gentil. Ça sera à la Monnaie de Bruxelles avec plein d’interprètes qui m’intéresse. D’abord avec l’une de nos meilleures chefs, Nathalie Stutzmann, avec Stéphane Degout et Anne Sofie Von Otter qui m’est très chère aussi.

Puis ce Falstaff à l’Opéra de Bordeaux avec Laurent Pelly !

Absolument. Il y aura également une reprise de Iphigénie en Tauride, ici à l’opéra de Paris, un Roméo et Juliette au MET avec Yannick Nezet-Seguin à la baguette. J’avais déjà fait cette production, il y a deux ans, avec Vittorio (Grigolo) et Diana (Damrau). Cette fois ci ce sera avec Nadine Sierra et Stephen Costello.

Et enfin, il y a un projet discographique, très important pour moi, chez Alpha Classics que j’ai appelé « En sourdine ». Je l’ai fait avec un guitariste de jazz, qui s’appelle Frédéric Loiseau.
Quand j’ai rencontré Frédéric, il m’a parlé de son amour pour Fauré. Et j’ai toujours été concerné par cette façon de se servir de la voix quand on n’a pas d’amplificateur intégré. J’avais toujours dans la tête que, notamment dans les poèmes de l’intime, même quand vous êtes dans une toute petite salle et que vous chantez classique, même devant 30 personnes, vous projetez la voix ; même pianississimo, vous projetez la voix. Vous n’êtes pas en train de murmurer à l’oreille, ce que permet le micro. Et pour des poèmes comme le jet d’eau de Baudelaire (« Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! / Reste longtemps, sans les rouvrir, / Dans cette pose nonchalante / Où t’a surprise le plaisir. »), je voulais expérimenter ce que ça donnait de pouvoir précisément les susurrer, de ne pas les projeter du tout ; ainsi, on a pris comme ça quelques mélodies de Fauré, de Debussy, de Poulenc et on les a un peu désossés et adaptés à l’instrument de Frédéric. Les accompagnements n’ont rien à voir ; on a gardé, le plus souvent, une trame harmonique qu’on a parfois simplifiée ; on a parfois changé certains enchaînements. On a privilégié la ligne mélodique. Et en gros, je dirais qu’on a fait quinze chansons à partir de quinze mélodies.
Et, de plus, on va le donner – je suis assez content de ça – avec mes amis du Centre de Musique de Chambre de Paris – dirigé par Jérôme Pernoo – à la salle Cortot qui est un endroit que j’affectionne particulièrement. Il se trouve que l’on m’avait proposé de reprendre un spectacle que j’avais fait avec eux qui s’appelait « Parlez pas de Malher ! ». C’était un super spectacle dans lequel je chantais une œuvre que Jérôme Ducros avait écrite pour moi sur La Mort du Poète, de Lamartine, ainsi que Les Chants d’un compagnon errant de Mahler (dans un arrangement d’Arnold Schönberg) et plusieurs autres pièces instrumentales.
Dans les concerts du centre de musique de chambre, il y a toujours le concert de 21 heures et ce qu’on appelle le single de 19h30 à 20h15. Et donc, dans ce créneau, je vais présenter neuf fois ce projet. Il faut y aller ! Il faut aller voir ce qu’ils font au CMCP ! Pour moi la salle Cortot est vraiment un endroit où la musique de chambre trouve du renouvellement et une façon nouvelle de s’exprimer. Quand vous voyez des musiciens apprendre par cœur La Grande fugue, apprendre par cœur Les métamorphoses de Strauss ou La nuit transfigurée, puis les jouer sur scène en bougeant les uns par rapport aux autres, c’est une expérience incroyable. Il y a Debargue qui fait son ‘serpent à sonates’ où il joue tous les Scarlatti. Et, un dimanche par mois, il y a le Bach and breakfast. Vous arrivez le matin ; vous prenez votre petit déjeuner ; le public apprend le choeur final ; puis l’orchestre joue la cantate et le public finit avec le choeur. Vraiment, cet endroit, c’est absolument génial !

Voilà donc un bien beau programme à venir. Merci Laurent Naouri de nous avoir accordé ce moment ; il y a là matière à aller vous écouter, prochainement, dans l’un ou l’autre de vos répertoires. À très bientôt.

(*) reprise d’une phrase de Vinícius de Moraes

Pour voir (et entendre) Laurent Naouri :

La reprise de Yvonne, princesse de Bourgogne de Philippe Boesmans au Palais Garnier du 26 février au 08 mars 2020

La Dame de Pique de Pyotr Il’yich Tchaikovsky au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles du 21 avril au 9 mai 2020

… et prochainement, « En sourdine », avec Frédéric Loiseau au Centre de Musique de Chambre de Paris

Visuels : © Bernard Martinez © Guergana Damianova / ONP

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