Performance
La Meringue du souterrain ou un cadavre exquis de performances

La Meringue du souterrain ou un cadavre exquis de performances

27 June 2022 | PAR Jane Sebbar

Du 23 au 26 juin, la Compagnie de Zerep présentait sa nouvelle création, La Meringue du souterrain, à la Grande Halle de la Villette. Un théâtre brut et impossible, sans solution, qui développe une esthétique du laid et plonge dans les méandres surréalistes de l’inconscient … 

Une fois passé le pas de la porte battante de la salle Boris Vian, à la Grande Halle de la Villette, vous entrez dans un autre monde, celui des fantasmes et des névroses enfouis au plus profond de l’être. Une petite salle. Une atmosphère intimiste. Dans le public, des têtes de monstres en forme de clitoris. De grosses bestioles à fourrure. Des gousses d’ail qui tombent d’un visage empalé sur une pique. Un vampire au teint cadavérique. Sans oublier la pièce maîtresse, une grande installation qui trône au milieu du plateau : une bouche cauchemardesque, grande ouverte, qui laisse entrevoir une glotte toute rose, des dents gigantesques, ni vraiment alignées, ni vraiment tordues, surplombées d’un nez dégoûtant, duquel dégouline une morve gluante qui rappelle la montre élastique de Salvador Dali … 

L’esthétique du laid et du vrai faux-semblant … 

Sophie Lenoir annonce d’emblée la couleur : le moche est sans nul doute plus intéressant que le beau. Parce que le moche, c’est ce qui fait peur et ce qui fascine en même temps. En fin de compte, le moche, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau. Une femme qui reprend tous les codes de la féminité fait son apparition sur la scène. Elle se pavane, d’un air assuré, devant un public hilare. Cette femme, en jupe courte et en mocassins à talon, transpire la sensualité et le dégoût. Elle porte un masque sur le visage : un nez épaté, un menton de 3 mètres de long, une moue renfrognée. Elle jette des regards méprisants à l’attention du public, instaurant une sorte de complicité face à l’absurdité de cette sensualité révulsante. On le sait bien pourtant, qu’elle porte un masque, mais on l’oublie. Son profil grossier dissimule les démarcations du simulacre et fige son expression dans le temps. Une sorte de visage cauchemardesque qui fixe l’humain dans une absurdité éternelle. Le beau et le laid s’entortillent, ce qui contribue à bousculer les codes de l’esthétique et du non-esthétique. De même que la réalité et l’illusion se fonde dans un seul et même visage, exposant les mécanismes du vrai faux-semblant. 

Le théâtre zéro 

Plus encore, ce “théâtre brut” expose les mécanismes de l’art scénique lui-même. Dans leur duo de choc, Sophie Lenoir et Stéphane Roger dissèquent de manière désordonnée le simulacre du spectacle de performances. Les interprètes s’habillent et se déshabillent sur scène, intervertissent leurs masques, aussi nombreux qu’extravagants. Le quatrième mur est brisé sans aucun scrupule. On s’adresse au public, on le hue même. L’irrésistible Stéphane Roger commente ses déplacements chorégraphiques avec humour, explique les règles absurdes de la scénographie. Une sorte de déroulé de costumes, de farandole de masques, d’arc-en-ciel de couleurs qui ne sont d’ailleurs pas forcément toujours bien exploités. Cette grande bouche dégoutante qui trône au milieu du plateau, les interprètes ne s’y réfèrent jamais. Sophie Lenoir passent d’un accessoire à un autre sans qu’on est eu le temps d’identifier l’objet ou sans qu’elle ait pu créer un lien avec celui-ci. Entre théâtre, danse et performance, le spectacle s’affranchit de la moindre hiérarchie. Plusieurs manières d’être sur scène, plusieurs sources d’inspiration se croisent et se décroisent. Le “théâtre brut” n’est pas un mouvement déterminé, plutôt une protestation qui devient l’expression d’un état imaginaire, voire onirique, une manière de penser le théâtre, de bouleverser les valeurs voire de les inverser. Et pourtant, cette écriture sauvage n’apporte aucune solution, elle est faite pour tout le monde, et pour personne … 

Les vices de la conjugalité ou le duo de l’absurde 

Le couple d’interprètes, la sublime Sophie Lenoir et le clownesque Stéphane Roger invente une revue de détail pour dénoncer les vices de la conjugalité. Le fantasme du bonheur de la vie à deux est disséqué par des déclarations d’amour implicites et absurdes. “Quand je faisais l’amour avec cet homme (…), je pensais à toi” se rappelle Sophie avec mélancolie et nonchalance. “Mais tu aurais du m’appeler” s’enorgueillit Stéphane. “Quand je me promenais avec mon sac visage, je pensais à toi. – Mais pourquoi tu ne m’as pas appelé ?”. Un dialogue de sourds, où les personnages se parlent à eux-mêmes plutôt qu’à leur interlocuteur. C’est de l’intérieur de soi qu’il est question dans cette Meringue du souterrain. Un homme qui fait des « têtes intérieures » que Sophie est la seule à pouvoir déchiffrer. Une femme qui fait, quant à elle, des « dialogues intérieurs » que Stéphane écoute d’une oreille distraite. Une façon juvénile d’être ensemble, de se retrouver l’un avec l’autre de la façon la plus brute et la plus libre possible. Maladroit et spontané.  Une opportunité pour Sophie Perez de démembrer nos romances à la manière d’un cadavre exquis. 

Un cadavre exquis de performances … 

Ce cabaret burlesque rappelle l’imaginaire surréaliste de Fellini, sa grande galaxie onirique dans Satyricon, plongée dans l’obscurité de l’Antiquité, au milieu d’éclats flottants parvenus jusqu’à nous. Entre les introspections psychiques, le quizz théâtre, les balades existentielles ou encore le set électronique, la Compagnie Zerep s’essaie au jeu du cadavre exquis, non pas avec les mots mais avec les performances. Les scènes-performances se succèdent, sans logique mais instinctivement, par strates d’actions, d’images, de références littéraires et artistiques, dans une rébellion effervescente. Un théâtre délibérément affranchi de la moindre hiérarchie. Les acteurs, les objets, le texte ne constituent qu’un tout protéiforme. Les performances s’amorcent mais ne finissent pas toujours, certaines demeurent inachevées. 

C’est cette exploration de l’inconscient, cette recherche de l’automatisme psychique à l’état pur qui fait de ce spectacle inclassable un avatar du surréalisme. L’imaginaire effervescent de la Compagnie Zerep renvoient dos-à-dos bordels populaires et raffinements avant-gardistes. Comme disait Fellini dans un interview à propos de Satyricon, « le monde antique, n’a jamais existé mais indubitablement nous l’avons rêvé ». Et cette pièce, si brute, si décousue, si fausse et si vraie en même temps, ne l’avons-nous pas rêvée ? 

du 5 au 7 octobre, dans le cadre du festival Actoral, La Criée, Marseille

du 19 au 22 janvie 2023, Arsenic-Centre d’art scénique contemporain, Lausanne (Suisse) 

Visuel : © dossier de presse 

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Jane Sebbar

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