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[Interview] Thomas Quillardet, sur son spectacle “Ton Père” : “J’adore que, les soirs de représentation, il y ait deux-cents personnes qui font société pour entendre ce texte.”

[Interview] Thomas Quillardet, sur son spectacle “Ton Père” : “J’adore que, les soirs de représentation, il y ait deux-cents personnes qui font société pour entendre ce texte.”

14 June 2021 | PAR Julia Wahl

Une actualité chargée pour Thomas Quillardet : ses spectacles Où les cœurs s’éprennent et L’Arbre, le maire et la médiathèque, tous deux adaptés de films de Rohmer, sont joués au Théâtre de la Tempête jusqu’au 20 juin ; de son côté, Ton père, adapté d’un récit de Christophe Honoré, sera joué au Monfort du 17 au 28 juin. Nous lui avons donc posé quelques questions sur cette folie adaptatrice.

J’aurais tout d’abord aimé savoir d’où vous vient cet amour pour Rohmer ? Qu’est-ce qui vous a poussé à adapter ses films [la pièce Où les cœurs s’éprennent, créée en 2016, est adaptée des films Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert ; L’Arbre, le maire et la médiathèque, créé cette année, est adapté d’un film du même titre] à plusieurs années d’intervalle ?

J’avais vu quand j’étais adolescent Conte d’été. Pour de mauvaises raisons, c’est que je trouvais que le jeune homme sur l’affiche était très beau. [rires] Et puis, le film se passe en Bretagne et j’ai des origines bretonnes : je trouvais qu’on sentait vraiment l’ambiance de la Bretagne et c’était assez étonnant pour moi. Après, je n’ai plus trop retouché aux films de Rohmer. C’était un cinéaste que je connaissais, en plus il habitait dans ma rue, mais je l’ai un peu mis sous le tapis. Et puis, un été, un peu comme Delphine [le personnage principal du Rayon vert], je n’avais pas grand-chose à faire et j’ai commencé à voir Le genou de Claire, Le Rayon vert, Les Nuits de la pleine lune… En voyant ces films, je me suis dit : « C’est étonnant, j’ai l’impression qu’il y a une structure théâtrale possible et que ça pourrait être intéressant de les faire jouer par des acteurs maintenant. » J’ai cherché les textes et c’est en les voyant écrits (ils sont d’ailleurs écrits comme des pièces de théâtre) que mon intuition a été confirmée. J’ai réuni une bande d’acteurs, qui est à peu près celle qui est sur le plateau, et je leur ai dit : « J’ai l’impression que ça peut être intéressant, mais je ne suis pas sûr de monter ce texte. Faisons un petit labo. » Au bout d’une demi-heure une heure de lecture, je me suis dit : « C’est passionnant, j’ai l’impression que c’est concret pour les acteurs ». Et, du coup, on est parti là-dessus.

En effet, ce qui est impressionnant, c’est que vous traitez les films comme des pièces de théâtre. C’est-à-dire que vous faites des coupes dans le texte, mais, globalement, c’est le même texte et c’est dans le travail scénographique ou dans la direction d’acteurs, qui parfois s’éloignent vraiment du film, que se trouve votre part de création…

Oui. En plus, j’avais demandé aux acteurs de ne pas regarder les films. C’est important pour plusieurs raisons, notamment une, qui est l’imitation : ce sont [dans les films] des acteurs emblématiques, que ce soit Pascale Ogier pour Les Nuits de la pleine lune, Marie Rivière pour Le Rayon vert… Pour L’Arbre, le maire et la médiathèque, c’est Ariel Dombasle et Luchini, qui sont très typés dans leur phrasé. L’idée, c’était vraiment de partir de l’idée que ce sont des personnages de théâtre. C’est comme ça qu’on a construit les adaptations de ces trois films : c’est en s’éloignant de Rohmer cinéaste et en se rapprochant de Rohmer auteur. C’est un super auteur : il arrive à créer des personnages paradoxaux, complexes, qui développent des pensées, qui en même temps sont marrants, un peu agaçants, un peu des teignes… On adore ces personnages parce qu’on adore les détester. Ça, c’est la marque d’un grand auteur : la complexité de ses personnages.

À ce propos, ce qui est intéressant dans votre direction d’acteurs, c’est que vous mettez énormément en valeur la dimension comique du texte de Rohmer.

Oui, mais ça, c’est un peu la surprise. C’est-à-dire que je n’ai pas cherché à souligner le comique : il est venu un peu de lui-même. Ça, c’est peut-être le théâtre, qui met en avant les situations avec beaucoup plus de force, de manière beaucoup plus exacerbée [que le cinéma]. Donc, les personnages sont un peu plus poussés. D’ailleurs, pour Le Rayon vert et Les Nuits de la pleine lune, ça fait partie d’un cycle qui s’appelle Comédies et proverbes : on est dans la comédie de mœurs et, quand on analyse les sentiments, il y a toujours un côté ridicule. C’est ce qui donne le comique et la tendresse. En fait, pour moi, c’est la tendresse qui donne le comique.

C’est-à-dire que c’est un comique qui n’est pas trop moqueur ?

Oui, c’est ça : on se reconnaît. C’est ça qui nous fait rire.

En ce qui concerne Où les cœurs s’éprennent, vous avez relié deux films différents : pourquoi ce choix, plutôt que de se concentrer sur l’un des deux films ou de faire deux pièces différentes ?

J’avais l’intuition que Delphine prenait le relais de Louise et que l’échec de Louise, dans la recherche de son idéal, était poursuivi par Delphine. Je voulais vraiment qu’il n’y ait pas de césure entre les scénarios, qu’il n’y ait pas d’entracte et qu’on voie ces deux flots de parcours féminins en parallèle. On a deux parcours féminins qui se complètent sur la question de la solitude : il y en a une qui cherche un peu de solitude et l’autre qui la combat.

A propos de L’Arbre, le maire et la médiathèque, j’aurais aimé savoir comment vous travaillez la mise en scène en extérieur.

On est encore en train un peu d’affiner, notamment sur le jeu d’acteurs. Parce que j’aime bien diriger les acteurs, essayer de les amener vers le personnage et, là, on est un peu contraint par des données techniques, notamment parce qu’il faut porter la voix. Pour moi, c’est nouveau. On essaie de voir comment garder les enjeux, travailler l’écoute, garder le concret du phrasé, être au plus près de la sensibilité du texte tout en se faisant comprendre par la personne qui est assise à l’autre bout. Des fois, le vendredi, il fait très beau, donc il n’y a pas de problème, et le samedi, il y a du vent… Tout cela est assez compliqué et crée une instabilité chez l’acteur, qui l’oblige constamment à être au présent. Il peut y avoir un rayon de soleil, un coup de vent, un enfant qui passe… Il faut tout le temps se réinventer, élaborer des stratégies pour se faire entendre et écouter son partenaire. Les acteurs sont aux aguets en permanence. C’est passionnant, mais extrêmement fatiguant et déstabilisant.

Peut-être pourrait-on à présent parler de Ton Père. J’aurais aimé savoir ce qui vous avait intéressé dans ce texte de Christophe Honoré.

C’est une question très intime. J’ai deux enfants, deux petites filles, tout en étant marié avec un garçon. J’ai découvert le livre il y a deux-trois ans, quand on était en train de se dire, avec mon mari, qu’on voulait avoir des enfants. Ça m’a énormément touché. C’est une histoire vraie, qui est arrivée à Christophe Honoré : un papa gay qui est agressé par les mots d’un de ses voisins, qui remettent en cause sa paternité en raison de son orientation sexuelle. C’est donc un livre qui m’avait touché personnellement, parce que j’étais dans ces thématiques-là. Je me suis dit que ce serait bien de faire entendre cette question-là au théâtre, de l’amener à des spectateurs qui ne soient plus forcément dans l’intimité du livre. Du coup, j’ai décidé de faire une scénographie quadri frontale pour mettre cette parole au centre. J’adore que, les soirs de représentation, il y ait deux-cents personnes qui font société pour entendre ce texte.

Il y a également une réflexion sur une forme de naïveté dont il aurait fait preuve avant ces événements-là [le harcèlement homophobe dont le narrateur de Ton Père est l’objet]…

Oui, il le dit texto : il se sentait à l’abri et puis, quelquefois, le danger arrive. C’est ça aussi qui est troublant. C’est-à-dire que, moi aussi, je me sens assez à l’abri, mais le danger est toujours un peu là et c’est toujours très étonnant d’être confronté à ça. Qu’est-ce que ça veut dire, d’être remis en cause dans quelque chose qui est évident ? Le narrateur a un enfant de douze ans et ça n’a jamais posé de problème pendant douze ans. Et là, tout à coup, quelque chose qui n’a plus de questionnement est remis en cause par quelqu’un d’extérieur.

Indépendamment du dispositif quadri frontal, pouvez-vous nous dire à quoi on peut s’attendre pour cette pièce ?

C’est, là encore, une pièce très centrée sur le jeu des acteurs. C’est beaucoup plus simple que Où ces cœurs s’éprennent : c’est très épuré, il n’y a pas beaucoup d’accessoires, il y a un décor assez minimaliste. Donc, c’est vraiment la parole qui est mise en avant. C’est un spectacle un peu plus âpre, un peu plus fermé, qui met au centre, de manière légère j’espère, une question de société très peu traitée au théâtre. Et c’est surtout un spectacle sur la paternité. Qu’on soit homosexuel ou hétérosexuel, quel père on peut être ?

Sauf erreur de ma part, vous avez un autre projet, qui s’appelle Une Télévision française ; vous pouvez nous en parler rapidement ?

Je suis en train d’écrire le texte. C’est créé en octobre à la Comédie de Reims. C’est une saga sur le journalisme. Il y a dix acteurs qui incarnent dix journalistes de la rédaction de TF1 dans les années quatre-vingt et qui vivent le changement d’époque entre TF1 service public et TF1 privé. On observe les changements managériaux, les changements de contenu éditorial du journal… Comment TF1 est devenu TF1, avec de grandes figures comme Claire Chazal, PPDA ou Jean-Pierre Pernaut, qui ont marqué trente années de journalisme audiovisuel. En parallèle, on traverse tous les événements qui ont marqué une décennie, de 85 à 95 : Tchernobyl, la guerre du Golfe, l’élection de Jacques Chirac en 95… Comment TF1 a traité ça et comment l’information, en général, en a été chamboulée.

Photo : Mélina Vernant

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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