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Mikhaël Hers : “J’avais certainement envie de visiter une autre époque”

Mikhaël Hers : “J’avais certainement envie de visiter une autre époque”

03 May 2022 | PAR Yohan Haddad

Son nouveau film Les Passagers de la Nuit est une ode au monde des années 1980, explorant amours adolescents et déambulations nocturnes tout en se penchant sur les mondes du cinéma et de la radio. Rencontre avec Mikhaël Hers, cinéaste hybride et non-conformiste.

Pour lire notre critique du film, c’est par ici.

Pourquoi avoir situé ce film dans les années 1980, après le réalisme formel post-attentats de votre précédent film Amanda ?

On fait souvent un film par rapport au précédent. Amanda était très ancré dans le Paris contemporain, et j’avais certainement envie de visiter une autre époque. Pour le coup, la nécessité première vient vraiment des années 1980. Je n’aurais pas pu raconter cette histoire à une autre époque. Il y a plein de choses que j’avais envie de traiter, comme le portrait d’une femme de 50 ans quittée par son mari, le milieu de la radio de nuit, le quartier de Beaugrenelle, mais aussi faire un récit qui s’étale sur une période plus longue… Tout ça a trouvé une nécessité impérieuse parce que ce sont les années de mon enfance. Il y a cette phrase que je répète à chaque fois parce qu’elle est très parlante : “On est de son enfance comme on est d’un pays”. Pour moi, c’était l’idée de se replonger dans ces années sans regard nostalgique, mais pas dans l’idée d’un paradis perdu, plutôt parce que je suis constitué par ces sensations et ces images ancrées en moi.

Était-ce compliqué de recréer cette époque dans le film ?

C’est compliqué pour les extérieurs. Très peu de rues ont été préservées aujourd’hui, que ce soit le mobilier urbain, les éclairages et les voitures. Tout a changé, c’était compliqué de trouver quelques îlots préservés relativement intemporels. C’était un vrai défi. Pour ce qui est de l’appartement, on a travaillé en studio, ce qui était nouveau pour moi. On ne pouvait pas tourner dans les vraies tours de Beaugrenelle parce qu’il n’y a pas de balcon, et on ne peut pas poser de projecteurs pour faire une continuité dans la lumière. On a donc construit un appartement qu’on a totalement meublé et accessoirisé. C’est un gros travail qui a été réalisé par la décoratrice et par l’accessoiriste. C’est un processus enthousiasmant qui fait partie des choses agréables à faire sur un tournage.

L’image du film contient un certain grain. Dans quel format a-il été tourné ?

Il a majoritairement été tourné en numérique, avec un peu de 35mm pour quelques scènes d’extérieur. Il y a aussi pas mal de scènes tournés avec une caméra Bolex, qui est une caméra 16mm mécanique, que j’ai utilisé pour les scènes qui ressemblent à des images de Super 8. Il y a un mélange de formats en permanence. Le film contient également des images d’archives et des images amateurs. La conjonction de tous ces formats me donnait l’intuition qu’ils arriveraient à donner un meilleur sentiment de l’époque qu’une simple reconstitution glacée. C’était aussi le pari du film.

Les Passagers de la Nuit est un film s’intéressant aux destins de plusieurs femmes, de tout âge et de tout milieu. Estimez-vous avoir fait un film féministe ?

Féministe, je ne sais pas, mais en tout cas définitivement féminin. Ce sont des portraits de femmes, c’est certain. C’est sûrement un film féministe, mais je ne veux pas transmettre des messages quand je fais des films. C’est plus des films sensoriels où j’essaie de traiter les personnages avec le plus d’amour possible.

Le film est traversé par de nombreuses références cinématographiques, notamment à Éric Rohmer. Quel est votre rapport d’influence à lui et à sa thématique souvent abordée des amours adolescents, qui apparaît ici dans votre film ? 

Pour ce film-là, Rohmer ne m’a pas tant inspiré que ça. Cette idée passe surtout par la figure de Pascale Ogier, qui est cette actrice que l’on voit dans le film et qui crée un lien avec le personnage de Talulah (jouée par Noée Abita). Après oui, Rohmer est un cinéaste qui compte énormément pour moi. Il y a énormément de choses dans son cinéma qui me parle, et notamment son rapport aux lieux. On a l’impression de les habiter, ce ne sont pas juste des décors. Dans La Femme de l’Aviateur, on a l’impression d’être aux Buttes-Chaumont, dans Le Genou de Claire à Annecy…

Son rapport à la psychologie des personnages est également important pour moi. Quand on dit cinéma psychologique, on est sur un terme presque péjoratif. Rohmer montrait qu’on pouvait faire de la grande psychologie. Il disait par ailleurs que « le problème n’est pas le cinéma psychologique, c’est celui avec de la mauvaise psychologie ». Il avait une façon de mettre en scène ses personnages et leurs états d’âmes avec une grande justesse et une grande générosité. Il est aussi une source d’influence car il a toujours réussi à faire des films avec très peu de moyens et une très petite équipe, tout en rencontrant un succès public assez incroyable. C’est pour cela qu’Éric Rohmer est définitivement un modèle.

Ces dernières années, on est sur une résurgence des années 1980. Le prochain film de Valeria Bruni Tedeschi, Les Amandiers, se passe lui aussi à cette période. Est-ce qu’on est aujourd’hui sur une nostalgie liée à cette époque ?

Je n’ai pas fait mon film dans cette perspective, mais peut-être qu’il y a tous ces films-là car on a un besoin de se reconnecter. Ils répondent à quelque chose, peut-être à un manque. Ce n’est certainement pas un hasard s’ils arrivent tous en même temps. Peut-être que notre époque est tellement âpre et particulière qu’on a un besoin de se replonger dans les sensations de ce moment-là.

Le film comprend toute une thématique autour des déambulations nocturnes. Il y avait déjà ça dans l’un de vos précédents films, Montparnasse. Que vous inspire cette thématique  ?

Je pense que ce sont des films où la parole se libère différemment. La nuit est un temps plus propice à l’intimité, au partage et aux échanges. Par ailleurs, on est moins confrontés aux contingences de la vie matérielle, celle de tous les jours. C’est un espace préservé où l’on peut travailler sur l’intimité et sur le rapport sans être pollué par tout un tas de choses. C’est un espace un peu à part.

Le monde de la radio est très présent dans le film. Avez-vous justement grandi en l’écoutant ?

Oui, complètement. Il y avait beaucoup d’émissions qui passaient à l’époque. Il y avait une animatrice très connue qui s’appelait Macha Béranger, mais ce n’est pas vraiment elle que j’ai écouté. L’émission que l’on voit dans le film est partiellement inspirée par la sienne et par quelque chose de composite qui vient de plein d’endroits. Elle me fascinait enfant car on avait accès à des récits de vies comme à des choses parfois un peu violente, surtout quand on est un enfant. Ce sont des souvenirs très marquants, je trouvais ça fou en passant d’une station à une autre de tomber sur ces différents témoignages. Les sensations que ça m’inspirait étaient très particulières, elles dégageaient un imaginaire fort.

Aujourd’hui, le monde de la radio vous inspire-il toujours autant par rapport à celui des années 1980 ?

Les lieux m’inspirent toujours autant. En faisant un peu de promo, j’y vais souvent et je trouve les histoires de studio toujours fascinantes. Ce qui est profondément différent aujourd’hui, c’est l’usage qu’en font les gens. À l’époque, si tu ratais une émission, tu ne pouvais pas la rattraper. Aujourd’hui, tout est enregistré sur cassette magnétique. On peut écouter une émission à toute heure, ce qui a atomisé la consommation de la radio. Il y avait quelque chose de très fédérateur avant qui fait qu’on pouvait tous écouter et partager au même moment une émission qui était diffusée. Cette idée est toujours présente mais de manière plus éclatée. La radio se décline aujourd’hui en podcast, et elle est également filmée, ce qui peut paraître absurde. La radio reste néanmoins un endroit passionnant. 

Visuel : © Emile Dubuisson, Nord-Ouest Films.

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Yohan Haddad

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