Danse
“Dream”, la sublime déambulation mélancolique d’Alessandro Sciarroni au Festival d’Automne

“Dream”, la sublime déambulation mélancolique d’Alessandro Sciarroni au Festival d’Automne

30 November 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Au Festival d’Automne et soutenu par Dance Reflections, le chorégraphe italien s’empare des sous-sol froids du Centquatre pour une boucle infinie autour d’un piano sensible. Une ode à la disparition à couper le souffle.

Pour rappel, avant d’être un lieu culturel, le Centquatre était le bâtiment des pompes funèbres de Paris, inauguré en 1874, dans un grand mouvement d’hygiénisation et de modernité. Pour Dream, Sciarroni laisse l’espace vide. Et cet espace est assourdissant d’ampleur. Quatre pièces se succèdent en enfilade, toutes identiques. Elles sont rectangulaires, soutenues de quatre poteaux fins. L’ensemble est bordé par une baie vitrée qui occupe toute la longueur de la structure. A l’extérieur, la lumière dingue de Valeria Foti offre de grands soleils comme des lunes noires en se foutant bien de la réalité.

Dream c’est un morceau de piano de John Cage, une boucle triste et légère. Dream c’est également un roman d’Alessandro Sciarroni qui se dévore en quelques heures. La performance, qui est plus une installation en mouvement, est la bande sonore et visuelle de ce livre que vous aurez entre les mains à la fin.

Ce choix de nous donner une clé de lecture après est essentiel. Dream n’est fait que de sensations personnelles, d’émotions propres à chacun. Le récit vient apporter une ouverture sur la pensée d’Alessandro mais il ne doit en aucun cas être révélé avant. Ressentez d’abord, comprenez ensuite, en résumé.

Ils et elles sont six : Marta Ciappina, Matteo Ramponi, Elena Giannotti, Valerio Sirna, Edoardo Mozzanega, Pere Jou et au piano, Davide Finotti.

Le pianiste est le plus souvent seul; planté derrière son piano droit bien au centre de cet espace sans courbes. Il joue. Cage bien sûr, mais aussi Schumann, Satie, Beethoven… Il avance sans chronologie dans un répertoire allant du XVIIIe au XXe siècle. Les danseurs et danseuses vont par deux, seul.e.s ou en groupe ( rarement). Ils et elles, dans des pulls et des bottes en caoutchouc noirs, et des shorts taillés dans des pantalons en flanelle grise, vont évoluer en faisant des gestes lents, empruntés parfois au quotidien, à l’infime. Il s’agit de s’étirer, chercher un objet, et parfois de se recroqueviller.

Le public est libre d’aller et venir comme dans un musée. Nous avons le droit d’approcher ces âmes qui ne nous regardent jamais. Nous pouvons, quand nous le voulons, nous asseoir par terre pour les regarder avec intensité ou bien déambuler. Et puis à un moment, l’image de ces corps en perdition, comme coincés dans eux-mêmes, dans une impossibilité de se déployer, cela devient trop dur à supporter. L’émotion nous envahit, et quand nous regardons autour nous voyons, ici et là, des hommes et des femmes effondré.e.s en larmes, en gros sanglots.

Pourtant il ne se passe “rien”. Ce que montre Sciarroni avec Dream c’est que nous avons perdu et qu’il n’y a plus rien à récupérer. Au-dehors, des arbres rachitiques prennent l’allure d’une forêt luxuriante, mais ce n’est que de la fiction. Dream vient redonner vie à tous les corps passés par le Centquatre, comme ça, d’un coup très maîtrisé, avec un pianiste à la beauté sortie d’un Caravage qui joue sans relâche (ou presque) et des corps empêchés (ou presque).

Alessandro nous avait habitués à des écritures obsessionnelles où un mouvement était répété (Le rire, une danse tyrolienne, des quilles de jonglage…). Dream n’est pas différent dans l’idée, c’est une boucle qui est ouverte pendant cinq heures et dans laquelle vous pouvez sortir et entrer à votre convenance, à votre désir. Nous sommes ici aussi dans une forme de répétition, même si les mouvements ne sont pas identiques les uns aux autres.

Dream est une expérience sensible, fine et triste dont la beauté plastique subjugue. C’est une œuvre totale en matière de son, de lumière et de corps. À voir ( et à lire donc) absolument. Comme le dit la “Mère de A. ” dans le livre que vous lirez en sortant : “Maintenant je vais tourner la clef, je vais me laver les mains et je vais revenir dans la salle, sans que personne ne s’aperçoive que je viens de pleurer.”

Mar. 29 novembre au dim. 4 décembre. Mar. et mer. de 19h à minuit, sam. et dim. de 15h à 20h.

Visuel :© Alessandro Sciarroni

« La Passion du mal » de Jean-Luc Ployé avec Mathieu Livoreil : Regarder Fourniret dans les yeux
Paramount arrive avec son service de vidéo à la demande en France
Avatar photo
Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration