Essais
« La Passion du mal » de Jean-Luc Ployé avec Mathieu Livoreil : Regarder Fourniret dans les yeux

« La Passion du mal » de Jean-Luc Ployé avec Mathieu Livoreil : Regarder Fourniret dans les yeux

30 November 2022 | PAR Julien Coquet

Expert psychologue agréé par la Cour de cassation, Jean-Luc Ployé revient sur son métier, sa vie personnelle et certaines affaires qui l’ont particulièrement marqué.

Si le rôle des profilers est devenu célèbre, notamment grâce à la série Mindhunter, celui des experts psychologues l’est un peu moins. Dès les premières pages de La Passion du mal, Jean-Luc Ployé, qui exerce ce métier depuis quarante ans, revient sur les tâches qui lui sont confiées, avec pour principale mission l’écoute. Car Jean-Luc Ployé se situe des deux côtés de la barrière : l’expert psychologue est mandaté pour écouter et parler avec les criminels (Michel Fourniret et son épouse Monique Olivier, Francis Heaulme, Nordahl Lelandais…) mais également recueillir la parole des victimes afin de juger la véracité de celle-ci.

Accompagné par les grands tubes de la chanson française, Jean-Luc Ployé parcourt toute la France en voiture, se rendant de commissariat en prison, de tribunal aux lieux des crimes. Son quotidien se révèle marqué par les viols, les meurtres, les violences conjugales, et on sort horrifié d’une telle lecture, prenant conscience que ce sont toujours les deux mêmes catégories « qui trinquent » : les femmes et les enfants.

La Passion du mal est plus généralement une réflexion sur le travail, et sur l’emprise qu’il peut avoir sur nos vies. Bien des fois, Jean-Luc Ployé revient sur son enfance et ce qui l’a conduit à prendre le sacerdoce d’expert-psychologue (« arrêter l’expertise, c’est impossible. Mon activité la plus éprouvante est aussi la seule addictive, à la différence des autres, seulement épanouissantes. »). Il est également plus loquace sur ses enfants qu’il n’a pas vus grandir, trop pris par le travail. Une correspondance s’engage avec eux, les enfants cherchent à comprendre, invectivent le père, ce dernier cherche le pardon et donne des clefs de compréhension.

Le témoignage revient également par touches sur certaines affaires marquantes pour l’expert-psychologue. Ployé ne nous livre pas d’éléments scabreux, mais suffisamment de détails pour que l’on puisse comprendre l’affaire en quelques lignes. Il insiste toujours sur le caractère humain des meurtriers, même si c’est la part la plus sombre qui ressort. « Au cours de mes expertises, j’ai été révulsé, bouleversé. Mais jamais je n’ai éprouvé de haine à l’égard d’un criminel, non seulement parce que ma pratique l’interdit, à l’instar du serment des jurés d’assises, certainement l’un des plus beaux textes écrits par la justice de ce pays, mais aussi parce que j’ai toujours perçu cette émotion comme une perte de temps. » Le livre se conclut sur l’affaire d’un jeune homme tué par deux de ses camarades lycéens, et la difficile résilience de la famille du garçon assassiné.

« Les pires d’entre nous, ceux qui voient le meurtre comme une solution, le viol comme une option, commettent des actes monstrueux certes mais les qualifier de monstres ne sert, je crois, qu’à nous rassurer – eux sont pires que nous. Aux autres, ceux qui croient aux vertus de la peine de mort, j’ai toujours renvoyé à Albert Camus : “Le crime impuni, selon les Grecs, infectait la cité. Mais l’innocence condamnée et le crime trop puni, à la longue, ne la souillent pas moins. “»

La Passion du mal, Jean-Luc PLOYE avec Mathieu LIVOREIL, Grasset, 256 pages, 20,90 €

Visuel : Couverture du livre

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