Deleuze/ Hendrix, Preljocaj revoit ses classiques à Montpellier Danse
En clôture de Montpellier Danse, Angelin Preljocaj tente un dialogue entre les mots de Deleuze et les riffs d’Hendrix, dans une proposition finalement trop classique.
“Nous expérimentons, nous sentons et nous expérimentons, que nous sommes éternels” (Spinoza)
Dans les années 1980, Gilles Deleuze enseigne à l’université Paris VIII à Vincennes. Angelin Preljocaj lui est chorégraphe. Il a tout fait ces trente dernières années, y compris retourner la Cour d’honneur avec son délirant Personne n’épouse les méduses, ou fait danser des danseurs en gorilles dans le génialissime Paysage après la bataille. Son écriture est jazz à 100 %, les cambrures sont reines, les bras omniprésents. Mais ce qui le rend incontournable ce sont ses portés insensés et ses pas de deux encastrés. À ces deux noms s’ajoute Hendrix. Hendrix qui meurt en 1970, avant que “Prejlo” ne chorégraphie, avant que Deleuze ne donne ce cours.
Dans ce cours, il est question du corps, de ce qui reste, de ce qui passe. Et Angelin dans son écriture très classique vient flirter avec les notions d’éternité, en tout cas, il essaie. Il a également deux grandes casquettes, celle d’un artiste populaire, qui a fait de grandes fresques grand public (Le lac des cygnes, Roméo et Juliette…) et une plus radicale (MC 14/22, Empty moves…). Et avouons-le, le public de l’un n’est pas celui de l’autre.
Deux en un
Pour Hendrix/Deleuze, nous pensions le retrouver dans la deuxième catégorie. Croyant même qu’en choisissant Deleuze, il continuerait le travail commencé, justement avec Empty Moves en 2004, qui mettait en corps les paroles et phonèmes lus en public par John Cage.
Voilà, une fois qu’on vous a dit tout cela chères lectrices et chers lecteurs, vous avez peut-être envie de parler un peu de danse non ? Nous y arrivons.
Le plateau est vide, au fond trois panneaux noirs, l’un sur lequel est écrit “Chien”, un autre sur lequel est écrit “Moi” et au centre un qui est retourné. Le spectacle commence en chef-d’oeuvre. Un danseur sort des cadres de ce panneau comme un gymnaste ou une araignée, choisissez, tout en puissance et en dextérité. C’est très alléchant.
Puis surgissent quatre danseuses (dont une très enceinte, c’est chouette !), et puis quatre danseurs. La danse est parfaite mais elle manque de modernité. Les fentes, les traversées, les bras utilisés à l’excès sont très très bien exécutés, mais offrent une danse peu innovante. Ce qui est le plus regrettable dans cette pièce c’est le lien factice entre Deleuze et Hendrix. Les mots de l’un sur un corps extensible, c’est-à-dire débordant de sa matérialité, et la guitare qui transperce les âmes de l’autre, sont le fil conducteur. Mais ce fil est rendu artificiel par l’installation de scènes, de tableaux. Une danse sur Deleuze, puis une sur Hendrix, et ainsi de suite, ou presque.
Tout de même
Mais, tout de même, il le seul à faire ça, à savoir faire bouger des danseurs à la fois en classique et en jazz. Et lui seul sait faire des images d’encastrement superbes. On verra des corps enchevêtrés, qui s’enlacent et se supportent (dans tous les sens du terme). On verra sur “Foxy Lady”, un danseur en majesté être “porté” par tous les autres. On verra, et c’est le meilleur moment de Deleuze/Hendrix, les danseurs devenir leur propre orchestre, en se tapant le corps pour poser le rythme. Deleuze/Hendrix s’avère plus facile pour le regard que prévu. On aurait aimé être autant bousculé par le geste que par les mots et la musique.
Deleuze/Hendrix était présenté à Montpellier danse du 5 au 8 juillet 2021
Visuel : © JC Carbonne