Danse
Les transcendantes “Mythologies” d’Angelin Preljocaj et Thomas Bangalter au Théâtre du Châtelet

Les transcendantes “Mythologies” d’Angelin Preljocaj et Thomas Bangalter au Théâtre du Châtelet

31 October 2022 | PAR Yohan Haddad

Le chorégraphe Angelin Preljocaj s’associe avec l’ex-Daft Punk Thomas Bangalter pour Mythologies, spectacle de danse somptueux autour de différentes histoires inspirées de mythologies antiques et modernes, entre symbolisme poétique et féerie sensationnelle.

Regards et écoutes fantasmagoriques

Un oeil immense balaie l’écran en arrière-plan au moment où s’ouvre le rideau. Un oeil qui, au premier abord, paraît nous observer nous, spectateurs, qui attendons l’entrée de la troupe de danseurs. Quand celle-ci fait son apparition sur la scène, le regard change de direction : ce sont désormais les danseurs qui sont suivis du regard. En observant les créations qui tournent en ce moment même partout en France, il est difficile de ne pas constater la présence importante de «l’écran», qui sert à la fois à augmenter numériquement une création scénique, et parfois même à multiplier les regards vis-à-vis de ce qu’il se passe sur la scène. Ce procédé cher aux années 2000 se retrouve très fréquemment encore dans le théâtre classique. Nous pouvons citer le travail de Thomas Ostermeier, et de son Roi Lear présenté actuellement à la Comédie-Française.

Pourtant, l’écran est ici utilisé de manière complètement originale. Durant les 90 minutes qui composent Mythologies, l’écran sert à la fois de décor et d’augmentation scénique, s’offrant même par moments des mouvements, des fragmentations de son dispositif à travers les différents tableaux présentés. En montant ce ballet hybride, Angelin Preljocaj nous offre un spectacle haut en couleur, passionnant, réellement à la hauteur de la grande scène du Théâtre de Châtelet. En construisant ses décors à l’aide de cette technologie, il parvient à allier brillamment regard de premier et de second plan, traduisant l’ambition du metteur en scène à s’inscrire dans un mouvement classique en y apportant une belle touche de modernité.

Pour ce faire, il nous propose une alliance inattendue : celle de former un duo avec Thomas Bangalter, rock-star au visage inconnu, ex co-égérie du groupe Daft Punk, qui s’est désormais séparé il y a un peu plus d’un an, pour composer la musique. Le talent composite de Bangalter explose ici au grand jour à travers une musique relativement simple, classique, mais non prise de fulgurances énergiques, pas forcément électroniques, mais propre à l’époque à laquelle on vit, appuyant encore une fois cette idée d’hybridité, entre classicisme et modernité. En résulte un rythme assez intense pour un ballet, sortant des sentiers battus du spectacle pouvant apparaître ennuyeux, comme la danse peut provoquer chez certains. Mythologies est donc un spectacle à mettre sous les yeux et les oreilles de tout le monde, montrant que la danse et la musique dite “classique” ne résulte pas d’une tendance dépassée, bien au contraire. Elle montre ici tout son potentiel avec cette idée qu’elle s’adresse à tout le monde, surtout quand elle tente des prises de risques fulgurantes comme celle-ci.

“Rituels contemporains et mythes fondateurs”

C’est cette formule qui est utilisée par le Théâtre du Châtelet pour présenter le spectacle. Mythologies s’inscrit en effet dans une narration marquée par ces histoires qui façonnent nos esprits depuis des millénaires. Parmi ces mythes présentés sur la scène, il est plus facile d’en reconnaître certains que d’autres : celui du Minotaure, par exemple, qui est ici le plus reconnaissable, est transfiguré par un danseur habillé d’un costume plus proche de l’ours que celui du taureau, mais réussissant le pari de danser avec un accoutrement paraissant bien trop lourd pour lui. Tout du long, le spectacle s’approche donc plus d’une succession de tableaux que d’un ballet aux ambitions narratives linéaires, permettant aux créateurs de jouer avec les décors et la musique.

Les 90 minutes défilent donc à une vitesse délirante, trop rapide, tant le rythme convient parfaitement à un ballet de cette ampleur : les mythologies, et notamment celles de Roland Barthes, dont Preljocaj dit s’être inspiré, sont souvent inconnues tant elles sont nombreuses. En choisissant de ne montrer à chaque fois qu’une partie infime de chacune, il propose une vision  kaléidoscopique de ces histoires, qui, peu importe si elles sont reconnaissables, propose une idée de ce que la danse peut créer avec des mythes de toute époque.

En témoigne un final absolument saisissant, où tous les danseurs sont réunis sur la scène dans une chorégraphie aux allures presque monstrueuses, réunis en deux groupes effectuant un mouvement mécanique avec leurs bras, tout en étant dos à la scène, tandis qu’un éclair lumineux semble apparaître au beau milieu, telle une apparition céleste : un ange déploie ses ailes et monte très haut dans le ciel, brouillant définitivement la piste entre numérique et physique, pour enfin quitter la scène par la grande porte. S’ensuivent dès lors une fermeture de rideau, et l’apparition de visages inconnus sur grand écran, qui nous regardent durant de longues minutes en très gros plans, nous observant comme on a pu observer les danseurs, avant un épilogue mystérieux, création exceptionnelle où tous les danseurs sont une nouvelle fois réunis sur la scène dans un mouvement unique. Mythologies apparaît donc comme un spectacle de danse ébouriffant à tout instant, empli d’un univers fascinant qui en fait l’un des ballets les plus originaux de ces dernières années, et qui aura le mérite de plaire à tout le monde, amateurs comme non-amateurs de danse.

Visuel : © Jean-Claude Carbonne

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