
Boris Charmatz et Olivier Dubois séduisent le Festival de Marseille
En ce dernier weekend du Festival de Marseille, le public était une nouvelle fois au rendez-vous et ravi d’avoir assisté à deux propositions diamétralement opposées : l’élégance moderne de Somnole au Théâtre de la Joliette et la reprise de l’ancien tube Tragédie à la Criée.
18H- Somnole réveille les foules.
Boris Charmatz siffle inlassablement depuis plus d’un an maintenant. La pièce a énormément tourné depuis sa création à Lille, son passage remarqué à Saint Eustache lors du Festival d’Automne, puis aux Hivernales à Avignon cet hiver. Nous le retrouvons une nouvelle fois et comme à chaque fois, ce solo somptueux et sensible change d’intention dès qu’il change de lieu.
Le théâtre de la Joliette est un petit théâtre de quelques centaines de places. Le rapport entre la salle et la scène est égal. Il y a une forme d’intimité immédiate qui s’installe quand le chorégraphe et danseur arrive dans la pénombre verte pensée par Yves Godin, les bras excessivement étirés. Nous le découvrons plus fragile que d’habitude, vraiment cueilli au réveil.
Le nouveau directeur du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch siffle doucement pour se chauffer, chaque muscle y passe, jusqu’à la tête qu’il fait se pencher de chaque côté. Dans ce lieu, contrairement à l’espace immense de La FabricA (une salle de répétition et de spectacle à Avignon aux dimensions de la Cour d’Honneur, soit près de 800 m2), il n’est pas abandonné, il est au contraire soutenu.
La pièce très écrite est l’occasion pour le danseur de dresser un autoportrait très original. Il saute très haut sans trampoline et il court vite comme dans Partita 2. Il tombe comme dans Levée des conflits. Il questionne, comme il le faisait avec Anne Teresa de Keersmaeker, le lien entre le son et le geste, la musique et le rythme.
Avec Somnole, il choisit d’être sa propre bande son, annulant toute possibilité d’écrasement de la musique sur les pas ou l’inverse. Cela nous offre un portrait qui s’écoute autant qu’il se regarde, à bout de souffle parfois, les lèvres serrées ailleurs. Il joue aussi des cordes vocales et quelques fois en sort un son. Sa technique se mélange avec les danses pop, comme le slow qui ici devient un crève-cœur d’une beauté rare. Il ne s’économise jamais, offre des cassures très justes dans cette pièce jamais littérale.
21h – Tragédie, new edit
Nous sommes en 2012. Le nom d’Olivier Dubois est encore inconnu. Le chorégraphe et danseur est au début de sa carrière. Cloître des Carmes, plein air, bestiaires de gargouilles flippantes. 22h ce 29 juillet. C’est la déflagration. Tragédie est vue comme le choc de cette édition.
Dix ans après, rien n’a changé. Ce qui était une révolution apparaît, dix ans après, dans une décennie qui a connu Meetoo, qui a démonté le patriarcat, qui a redéfini le genre, comme une pièce dans l’air du temps, mais plus d’avant-garde.
Le “New edit” est à trouver dans la distribution qui n’est plus exactement la même et dans l’insertion de moments plus doux. Car Tragédie, au commencement, n’a rien, justement, de doux.
La pièce se compose toujours de trois temps : une « parade », « des épisodes » et « une catharsis ». En lignes, verticales ou horizontales, les 18 danseurs, 9 filles et 9 garçons, de tous les âges, toujours de couleurs et de corps différents, dans une nudité sublimée par une lumière plastique et variable, parfois agressive, ne se mélangent jamais tout en se croisant tout le temps. La maîtrise des changements de direction est étouffante de précision. Les attitudes des visages ne bronchent pas, l’ignorance des uns et des autres est totale.
Cela n’a pas bougé et reste un monument d’écriture chorégraphique. La pièce est une montée en puissance, aidée par la musique techno et rock de François Caffene. Les marches deviennent accidentées, les flux changent de direction, et dans la Tragédie, new edit, il y a un peu d’espoir. Les humains peuvent se rencontrer, enfin. Il n’empêche, les garçons et les filles constituent deux armées bien séparées, même en 2022.
Il est important de voir Tragédie comme une pièce de répertoire, et de toujours la situer dans l’avant-garde du début des années 2010.
Visuel ©François Stemmer