Pop / Rock
Still Corners à la Maroquinerie : retour en images sur un moment suspendu

Still Corners à la Maroquinerie : retour en images sur un moment suspendu

08 April 2022 | PAR Chloe Boyer

La rue Boyer a vu du beau monde en ce début de semaine : le duo de dream-pop Still Corners s’est produit à la Maroquinerie. Trois ans après leur dernier séjour parisien, ils sont revenus faire planer la France. Toute la Culture a assisté à ce concert très intimiste et tout en rêveries.

De passage à Lille la veille et attendus en Belgique le lendemain, le duo formé par les londoniens Tessa Wenders et Greg Hugues est passé par la scène de la Maroquinerie dans le 20ème arrondissement le mardi 5 avril. « Paris, tu m’as manqué », débute-t-elle dans un Français très british. A nous aussi, ça nous avait manqué de planer à leurs côtés. 

La dream-pop remonte sur scène

Après une première partie assurée par les talentueux Papercuts, groupe californien d’indie pop mené par le compositeur Jason Robert Quever, la salle comble de la Maroquinerie a accueilli le duo londonien. Se définissant comme un projet musical à mi-chemin entre la dream pop, sous-genre du rock alternatif caractérisé par le recours aux textures sonores et aux chants murmurés, et la nu-disco, style incarné en Europe par Metronomy ou Purple Disco Machine et reconnaissable par un mix de synthé et de disco, Still Corners s’est peu à peu imposé sur la scène européenne. Calmes et confiants, les acolytes sont entrés sur scène, annoncés par un fond vidéoprojeté peignant sur le mur une longue route déserte, la fameuse autoroute américaine devenue le symbole de leur esthétique. Portrait flouté ou pellicule abîmée, Californie ou Arizona, voiture d’époque ou bicyclette rouillée, le décor était posé. 

Tessa, la chanteuse, la tête haute et le sourire assuré, entonne son premier morceau, «White sands», figurant sur leur dernier album, The Last Exit. Paru en 2021, ses lyrics sont empreints de réflexions sur les mirages de la conscience face à l’horizon, une thématique chère à ces deux adeptes du surréalisme. Néons multicolores et lumière tamisée aidant, Greg l’a rejointe à la guitare. L’air détendu, il gratte, agile et précis, sans toutefois lever les yeux vers la scène. Mais l’on n’en n’attendait pas moins d’un représentant de le shoegaze, sous-genre du rock alternatif très proche de la dream-pop et nommé après les membres des groupes qui jouent sur scène de manière introspective, laissant penser qu’ils contemplent leurs chaussures. Sans sourciller donc, il recherche l’effet «mur de bruit» produit par les guitares saturées. Tandis que des néons en arc-en-ciel passent, morcelés, sur la scène, le batteur, 3ème élément du tableau, débute sa performance. La tonalité est constante, avec les percussions calquées sur le rythme des solos de guitare, tandis que le synthé de Tessa, discret, accompagne les morceaux plus doux. Les envolées de l’instru retombent tranquillement pour laisser la place à la voix soprane de Tessa, à l’aise avec les sonorités aigues autant qu’avec les murmures plus suaves. 

Fusion de vies et fusion sur scène 

Sans un regard, ils se comprennent et produisent, chaque fois, la même harmonie, celle d’une rencontre hasardeuse mais heureuse dans des temps suspendus. Ça tombe bien, c’est précisément ainsi qu’ils se sont connus : au détour d’un quai de gare dans la banlieue londonienne en 2007. D’origine texane et expatrié, Greg Hugues est alors un musicien plein d’expérience ; il tombe sur Tessa Murray, londonienne à la voix pure et experte du clavier. Pour continuer dans le registre filmique, c’est le coup de foudre, et le début d’une aventure musicale très prometteuse. Leurs premiers essais ont lieu en 2008, sous l’égide du label britannique The Great Pop Supplement. Déjà, leur musique s’axe sur le rêve et les visions imaginaires, avec les longs solos de Greg qui dictent la cadence, tandis que Tessa s’approprie une vocalité caressante. Il faudra cependant attendre 2011 pour la sortie de leur premier album, Creatures of an Hour, à l’occasion duquel ils signent chez le label Sub Pop. Le succès leur sourit aussitôt, mais, chez Still Corners, on y va par étape. Ce n’est ainsi qu’à l’automne 2012 qu’ils sortent le single «Fireflies», nommé «Best New Track» par le Pitchwork et annonciateur de leur 2ème album, Strange Pleasures. Paru en mai 2013, il est porté par le single «Berlin Lovers», largement plébiscité par la presse européenne. 

Si le 3ème album, Dead Blue (2016), a pu décevoir, avec des morceaux qui s’éloignaient de l’esprit du groupe et d’autres qui semblent inachevés (mention spéciale toutefois pour le génial «Crooked Fingers»), le 4ème, Slow Air (2018), est celui de la consécration. On pense notamment à « In the Middle of Nowhere » qui catalyse leurs influences en piochant dans les créations de groupe comme Mazzy Star et Beach House ou Baby Grandmothers, groupe suédois pionnier du psychédélique des années 1970. Certainement leur album le plus abouti, Slow Air est un projet qui va au-delà de la dream-pop en les plaçant à la frontière entre le country et la folk noir. Du romantisme à la Chris Isaak à la mélancolie rythmée de Cocteau Twins, il contient les merveilleux “Black Lagoon”, “The Message” et “Sad Movies”, véritable ôde à la délicatesse. Toujours dans cette volonté de mûrir leurs projets sans se précipiter, le duo a attendu 2021 pour sortir son 5ème album, The Last Exit. Moins mélancolique que les précédents, il conserve toutefois cette langueur, ces textures sonores et ce penchant folk à la guitare qui font la particularité de Still Corners.

Errance et mélancolie au pays des images

Sur scène, le concert se poursuit, de plus en plus aérien. Les images se succèdent et l’on est hypnotisé, mais aussi un peu frustré de ne pas saisir toutes les références cinématographiques. De Wes Anderson à David Lynch en passant par Wim Wenders, la récolte est fructueuse, avec certains clips qui s’inspirent de passages précis de films, à l’instar de «The Last Exist» qui reprend le film australien Pique-Nique à Hanging Rock de Peter Weir. Tourné en 1975, il raconte la disparition de jeunes filles dans un lieu de culte aborigène, sur le thème de la fugue, voire de la fuite en avant pour échapper aux tourments de la vie, comme le faisait remarquer Mag Chinaski dans son article pour Addict-Culture. L’impression d’être à l’avant-première d’un film d’auteur est prégnante, notamment lorsque Greg joue le très instrumental «Till We Meet Again» et que les images à la «Virgin Suicides» de Sofia Coppola viennent illuminer la scène. 

La route est longue, interminable, elle ne semble mener nulle part. Et pourtant, la symbolique est bien réelle, comme l’expliquait Greg dans son interview pour Soundofviolence, à l’occasion de leur concert au Point Ephémère à Paris en 2019. Il parlait de ce voyage comme d’une errance à travers l’immensité d’une Amérique où l’on «prend l’avion pour un rien». A la question de la direction qu’il souhaitait emprunter, il répondait qu’il avait simplement le «désir interrogatif de partir sans but». Tessa aussi s’est exprimée sur ce flou volontaire entre l’espace, le temps et les frontières. « Nous pensons qu’il y a quelque chose de plus mystérieux à l’horizon, quelque chose d’éternel qu’on retrouve autant dans ces grands paysages que dans notre psyché », expliquait-t-elle lors de la sortie de The Last Exit. Parce qu’il faut bien s’arrêter un jour, « The Trip » est choisi pour clôturer en beauté ce moment suspendu. Dans le public, on ferme les yeux, soucieux de ne pas manquer une note de ce délice sonore. Puis, les lumières se rallument, emportant avec elles les visions de la soirée. Mais, lorsqu’on quitte ses fans, on ne va jamais bien loin : le public en redemande, et c’est reparti quelques instants de trip.

 Still Corners, c’est déjà 10 ans de carrière. Le duo s’est forgé une image, celle de deux amoureux, pudiques mais touchants, qui s’élancent dans un road-trip au soleil couchant, dans un paysage usé, jauni, mais captivant. A l’arrière-plan, la caméra poursuit son avancée éternelle sur la route, nous emportant dans un voyage hypnotique sur le sable et la poussière. Un western hippie, en somme.

 

Visuels : © Chloé Boyer

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Chloe Boyer

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