Musique
L’invité classique de la semaine : Pascal Amoyel « Nous arrivons à faire vibrer les gens parce que nous vibrons nous-mêmes »

L’invité classique de la semaine : Pascal Amoyel « Nous arrivons à faire vibrer les gens parce que nous vibrons nous-mêmes »

17 October 2019 | PAR Yaël Hirsch

Actuellement à l’affiche du Théâtre du Ranelagh dans le spectacle « Looking for Beethoven » (litre notre article), qu’il a écrit et qu’il joue, Le directeur du Festival “Notes d’automne” (dont la 11e édition a lieu du 11 au 17 novembre 2019 aux Bords de Marne, au Perreux-sur-Marne) et pianiste aux multiples vocations, Pascal Amoyel, répond à nos questions.

Comment faites-vous pour tout faire : les concerts, les performances de votre “Beethoven” au Théâtre du Ranelagh et à Avignon, ainsi que la programmation du festival Notes d’automne ?

Tout ce que je fais est dirigé vers le même point d’ancrage, vers la même racine : c’est la volonté de transmettre et de partager. Je suis porté par cette énergie et ce n’est peut-être même pas moi qui décide. C’est un peu comme si j’étais appelé à faire tout cela. Si nous avons tous des vocations à la naissance, la mienne est vraiment orientée vers cette nécessité de transmettre. Parfois, ce n’est pas facile. C’est vrai qu’il faut une énergie considérable et aussi faire attention à ne pas trop se laisser dépasser par les échéances. Mais la scène est ce qui me rend heureux. Pour moi, être quatre mois sur scène à Paris, même si c’est éreintant, c’est en même temps complètement exaltant.

Après György Cziffra dans Le pianiste à 50 doigts et Listz, vous incarnez en ce moment Beethoven. Lequel de ces musiciens est le plus proche de vous ?

Ce sont des personnages qui ont tous beaucoup compté dans mon parcours. Cziffra a été celui qui m’a donné envie de commencer le piano, Liszt celui qui a transformé cette envie en certitude et qui m’a montré ce que c’était que d’être pianiste, d’interpréter les œuvres et d’en faire une carrière ; et Beethoven m’a fait comprendre qu’au fond, l’art en général, et la musique en particulier, étaient plus proche de la vérité que de la beauté… La beauté n’est que le parfum de cette vérité. On a tendance à idolâtrer cette beauté et à se faire plaisir mais ce qui m’intéressait dans le spectacle Beethoven, c’est ce qu’il y a derrière des œuvres belles et connues. Pourquoi est-on touché ? Répondre à cette question répondrait aux plus grandes des questions des philosophes. Je ne sais pas ce qu’est la musique, exactement, mais je sais ce qu’elle n’est pas : Mendelssohn disait qu’on ne peut pas mettre en mots la musique, non pas parce qu’elle est trop indéfinie mais parce qu’elle est trop définie. Parfois, c’est tellement fort qu’on ne peut pas dire. Alors les mots ne sont que des panneaux indicateurs, ce qui est ressenti est trop panoramique pour y entrer. Ainsi, ce spectacle sur Beethoven a été long à mettre en place, cela m’a pris trois ans. Et, en fait, les trois spectacles sont dans cette lignée-là. Il ne s’agit pas simplement de parler de moi mais de parler au public sans leur dire « écoutez cela, c’est beau », mais plutôt « ça me touche et voilà pourquoi ». Nous arrivons à faire vibrer les gens parce que nous vibrons nous-mêmes.
La conviction sans entraves d’un artiste quand il défend ce qu’il est en train de dire rentre dans une variation commune : nous sommes tous cette même vie qui vibre à l’unisson. L’artiste est là pour faire en sorte que les scories obscurcissent le moins possible cette vision fondamentale. Quand on incarne un personnage, il faut, en fait, laisser le personnage s’incarner en soi et pour faire cela, c’est comme la musique, « il faut faire beaucoup et avec ce qu’on ne sait pas », comme disait Paul Dukas. Chaque soir c’est complètement différent. Je me trouve traversé par les souffrances de Beethoven. On la connait bien la souffrance physique de Beethoven quand on lit ses biographies ou ses correspondances. On sait qu’il lisait des textes hindous, les sentences du temple d’Isis ; il y a une dimension métaphysique dans sa musique. Mais si je n’avais pas été à son contact en jouant sa musique, en me plongeant entièrement dans cette musique, si je ne l’avais ressentie au-delà des mots, ça n’aurait pas été possible de jouer ce rôle. Car c’est dans sa musique qu’on ressent la tragédie de Beethoven. En tant qu’interprète et musicien, cela devient comme si on les avait composées ces musiques. Il n’y là rien de narcissique, c’est un sens universel. La question fondamentale n’est pas l’assertion que Beethoven fait éclater la forme mais la question du pourquoi il fait éclater la forme, et comment il transcende à la fois dans l’immanence et dans l’universalité cette difficulté. Et c’est ce que j’ai ressenti quand j’ai entendu le mouvement lent de l’opus 109. Quelque chose de tellement intime, fragile, doux, que je me suis dit que ce n’était pas Beethoven car il ne m’apparaissait pas fragile. J’ai alors réalisé que tout ce que j’ai appris sur lui au Conservatoire m’a séparé de lui. Plus je savais sur lui, moins je savais entendre sa musique….

Même si les mots ne suffisent pas donc, ils sont aussi très présents. Pourquoi parler ?

La musique n’a pas besoin de justification de sa valeur, ni de sa symbolique, mais il me semble toujours important quand on a envie de transmettre, de dire qu’une musique comme celle de Beethoven n’est pas celle qu’on croit. A tous les publics mélomanes et qui viennent se frotter à un destin exceptionnel, c’est comme si j’essayais de verser une graine pour qu’elle puisse grandir. Et pour partager cette vision qui m’habite, je pense que la lumière, la mise en scène, les mots et même parfois la magie comme dans le spectacle sur Liszt, sont des ponts vers les cimes extraordinaires de Beethoven. Nous sommes petits à côté et je me saisis de tout ce qui est disponible pour essayer de dire tout cela avec une économie de moyens, certes, mais qui crée un monde qui permette aux gens d’approcher toutes les facettes d’une génie absolu.

La 11e édition de Notes d’automne où mots et musiques coexistent commence le mois prochain. Pouvez-vous en parler ?

L’an dernier, la 10e édition était assez originale, nous sommes allés vers des sources diverses comme l’electro et le hip-hop… Avec la 11e édition, nous retournons aux fondamentaux : la littérature, la poésie, de grandes œuvres comme l’Histoire du soldat avec d’immenses comédiens comme Denis Podalydes, Michel Vuillermoz et Didier Sandre, un spectacle autour de Fauré, du cabaret, toujours dans cette idée d’éclectisme mais avec des déclinaisons diverses et infinies de mariages entre la musique et le verbe. Pour les Notes d’automne, comme pour mes spectacles, mon but c’est que qu’il y ait une rencontre entre mots et musiques et qu’ils ne forment plus qu’un. Quand la musique est imbriquée aux mots, à la fin on obtient une synthèse totale avec un message très fort.

C’est aussi un Festival que vous interprétez en famille, avec votre fille et votre femme. Cela a-t-il un impact sur l’ambiance de Notes d’automne ?

Ma femme, Emmanuelle Bertrand, jouera L’Evangile selon Marc avec Alain Carré et ma fille, Alma, qui a 13 ans jouera Alice aux Pays des Merveilles, après avoir été avec nous deux dans une Petite Histoire de la Grande Musique. Cette Alice qui jette un pont entre les générations est une demande de Brigitte Fossey et un clin d’œil car elle-même était une enfant artiste. Dans le cadre du festival, il y a vraiment cette dimension familiale, nous essayons de faire venir des enfants, non pas pour les forcer à écouter de la musique, même s’il est prouvé que cela développe les capacités, mais aussi parce que l’on n’a pas envie de cantonner la musique aux adultes mélomanes ; nous sommes persuadés que ce plaisir de l’art peut être mis dans les oreilles de tout le monde.
Même si je programme le festival en solo, je suis toujours amené à prendre l’avis de mes proches dont Emmanuelle Bertrand et Alma. Alma a toujours un avis très sûr. J’écoute ses commentaires sur mon spectacle ; elle a cette ouverture et cette sensibilité qui font que tout est un et connecté alors qu’elle n’a même pas treize ans. Et c’est important d’avoir cet avis-là qui est très neuf. Le neuf est ce qui m’inspire dans tout ce que je fais, quelque chose qui ne soit pas une expérimentation pour l’expérimentation. L’écrin de la forme n’était pas suffisant pour Beethoven, et c’est pour cela que la forme a éclaté. Sur ce modèle, pour moi c’est le fond qui crée la forme et non pas l’inverse.

visuel :  Pascal Amoyel au conservatoire du Perreux (c) Julien Laine-Pradines / Grand Théâtre du Centre des Bords de Marne.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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