Musique
Souffrances de l’âme et Prouesses vocales de La Didone de Cavalli au TCE

Souffrances de l’âme et Prouesses vocales de La Didone de Cavalli au TCE

15 April 2012 | PAR Bérénice Clerc

 

 

Destins tragiques, amours cruelles, voyages sans fin, « La Didone » de Cavalli se lamente sous la baguette subtile de William Christie et la mise en scène de Clément Hervieu-Léger dans laquelle les chanteurs acteurs, dans cette distribution vocale parfaite, ont tous le premier rôle.

On ne compte plus les versions de Didon et Enée de Purcell ces dernières années. Plus originale est l’idée du Théâtre des Champs Elysées de programmer une Didone de Francesco Cavalli, élève de Monteverdi, inspirateur de Lully.

La trame est différente de celle retenue par Purcell. Francesco Busenello, le fameux librettiste du « Couronnement de Poppée », s’inspire de l’Enéide de Virgile et couvre l’histoire d’Énée depuis la chute de Troie, le meurtre de son épouse par les Grecs et son départ sur ordre de Vénus.

Malmené par la tempête, il va échouer à Carthage où règne Didon, vainement courtisée par le roi Iarba.
Manipulée par Vénus et Neptune, la reine africaine s’éprend d’Énée jusqu’au départ du Troyen ordonné par les Dieux. Mais chez Busenello/Cavalli, Didon recouvre une raison obscurcie par les manigances amorales des divinités. Elle épousera Iarba et ne mettra pas fin à ses jours. Il existe deux versions de La Didone, l’une vénitienne (1641), l’autre napolitaine (1650). La première a été choisi pour cette version.

Face à une salle pleine, le rideau s’ouvre sur une magnifique image de chaos, la scène enfumée laisse apercevoir le désastre, un animal mort au milieu d’un décor en ruine, rempart monumental barré par des poutres pour empêcher l’ennemi de pénétrer.

Devant les ruines de Troie, les héros meurent et leurs épouses se lamentent. Le lamento, une des clefs de l’opéra de Cavalli, sa forme obstinée, ses notes descendantes pour obscurcir le récitatif, briser la diction et le dialogue et faire voyager l’émotion aux quatre coins du plateau. L’improbable arrive, l’âme apparaît et ouvre les abyssales noirceurs d’un malheur splendide et déchirant.

Enée brillant et délicat interprété avec finesse par le ténor à la voix de velours Kresimir Spicer, seul au cœur des ruines pleure sa femme Créuse qui vient de périr.

Dès le début la musique frôle la perfection, William Christie hélas à peine visible dans la fosse s’applique au clavecin et dirige avec brio.

Sur le rempart, Vénus, Claire Debono, mère d’Enée, le protège afin de le laisser accomplir son destin et partir vers l’Italie pour fonder Rome.

Après d’épouvantables tempêtes, somptueusement interprétées par les vents sans le tintement du son, les instrumentistes donnent à entendre des vibrations palpables. Enée aborde à Carthage où la reine Didon dédaigne l’amour du roi Iarba, Xavier Sabata, interprète déchiré par l’amour laissant place à la fantaisie et l’humour coulant à merveille sur ses notes. Enée et Didon, brillamment interprétée sans faille par la mezzo-soprano italienne Anna Bonitatibus, s’éprennent l’un de l’autre grâce à un stratagème d’Amour, au service de Vénus. Terry Wey a la voix divine et pure d’un contre ténor, une prouesse de douceur et de perfection.

Anna Bonitatibus met sa technique au service d’un phrasé  souple, précis et ne mitraille pas de vocalises mais laisse apparaître un réel sens de la ligne et des aigus libres tout en émotion et en grâce.

La mise en scène de Clément Hervieu-Léger n’a rien de fantaisiste, très classique elle laisse la part belle aux chanteurs qui ont de réels parcours d’acteurs. La scénographie d’Eric Ruf  est puissante au premier acte, vertige des hauteurs, matière froide et déchirée, présence animale, tout y est pour donner vie à l’histoire. Pour les second et troisième actes elle devient moins convaincante, la présence d’un échafaudage, accessoire très à la mode sur les plateaux depuis quelques années, allez savoir pourquoi, brouille les images et pourrait faire sortir de l’histoire. Le travail sur l’espace est extrêmement bien réussi. Hauteur et profondeur donnent des dimensions surnaturelles au plateau et la création lumière finement travaillée offre des images magiques. Le traitement des costumes de Caroline de Vivaise est un peu terne, les mortels sont vêtus de robes intemporelles, les Dieux sont eux habillés de tenues contemporaines, Vénus a toujours une valise à la main. Grenat, ocre, vert, et dans des clairs-obscurs, les chanteurs prennent des allures semblables à celles des peintures italiennes et religieuses du XVIIe siècle.

Une oeuvre riche où tragique et comique s’enlacent sur un livret vif, poétique, moderne, est chantée en italien surtitré par une équipe artistique aux voix exceptionnelles d’une grande cohérence, où chacun a le physique de l’emploi et laisse la voix exhaler les couleurs de l’âme.  L’orchestre des Arts Florissants déploie sa palette tout en nuance et finesse. Théâtre et musique se mélangent avec justesse, William Christie donne à entendre les états d’âme et la couleur du personnage de manière théâtrale.

Une histoire est à raconter et se raconte en musique, la force du théâtre et des émotions extraordinaires est sous tendue par la puissance magique de la musique. Départs, voyages, adieux sans cesse renouvelés, amour, souffrances, déchirures, la palette vocale est multiple et ne perd jamais en interprétation, relief et profondeur.

Avec ses cantar passaggiato, cantar sodo, cantar d’affeto, toutes les couleurs et tous les contrastes de la vocalité et de l’interprétation sont présents au service de la théâtralité des passions.

Quand le rideau tombe, la salle se lève et acclame avec vigueur l’équipe artistique.  William Christie, solaire, humble est heureux de saluer sous les bravo et autres « Williiiiiiiiiiiiii ».

Les chanteurs applaudissent l’orchestre, l’orchestre applaudit les chanteurs et le chef, une telle modestie est rare à l’opéra, elle est souvent synonyme de talent, de prouesses et force le respect.

 

Visuels : ©  Pascal Gely/ Pierre Grosbois/ Théâtre des Champs Elysées

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Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

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