
La Flute de Kentridge enchante les vieux enfants du Théâtre des Champs Elysées
Du 16 au 26 décembre, la mythique mise en scène de l’opéra de Mozart “La flûte enchantée” par l’artiste sud-africain William Kentridge pour la Monnaie de Bruxelles (2005, voir notre article sur la rétrospective que lui a consacrée le Jeu de Paume l’an dernier). A la hauteur de toutes les espérances de la salle archi-bondée, les jeux sur les Lumières de Kentridge étaient soutenus par le rythme impeccable de Jean-Christophe Spinosi et de son ensemble Mattheus.
Dès l’ouverture, l’harmonie fonctionne, Spinozi conduit son orchestre avec un large sourire et la grâce d’un elfe, tandis-que les dessins et les animations de Kentridge sculptent déjà le rideau translucide pour ouvrir les boîtes et les archives de la quête ambivalente des Lumières. Les trois dames et Tamino (le ténor finnois Topi Lehtipuu, au timbre élégant) ouvrent l’opéra en mettant la question de la vue et de l’optique au centre de l’attention du public. Leurs vêtements sont issus du 18e siècle et l’on met un bout de temps à remarquer que les gilets des hommes et les robes des femmes sont discrètement dessinés par Kentridge. Puis entre en scène l’irrésistible oiseleur Papageno (le formidable baryton autrichien Markus Werba, véritable révélation de cette production, qui joue aussi bien qu’il chante) dans son aria bien connu et très drôle… On est encore en extérieur jour mais plus pour longtemps. Tamino est invité à rencontrer la Reine de la nuit (agile mais poussive Jeanette Vecchione à qui on ne peut pas en vouloir de ne pas avoir le coffre dès le “Ô Zittre nicht”).
A partir de ce moment, c’est uniquement en noir et en blanc, avec parfois un léger fil de rouge, que Kentridge va sculpter la scène, et donc figurer la lutte manichéenne entre la raison et l’obscurantisme, Zarastro et la Reine de la Nuit. Tamino part dans le noir pour délivrer la fille de la reine de la Nuit, Pamina des mains du terrifiant Zarastro. Noir contre blanche, le “maure” Monostatos (excellent Steven Cole) menace la belle Pamina. dans cette troupe de jeunes chanteurs, le rôle de la “jeune première” est tenue par la soprano superstar Sandrine Piau, et la magie de l’opéra est que ça marche (Pour entendre sa version du “Ah Ich Fühl’s”, c’est ici). Virtuose, impliquées, Piau met sa voix de fée et son excellente prononciation de l’Allemand au service d’une des Pamina les plus charismatiques qu’il est donné d’entendre. Les filets de lumière passent sur les épaisseurs encore baroques du cadre des saynètes, tandis que Zarastro fait son apparition dans le “Temple de la Vérité”.
Tamino comprend bien vite qu’il s’est trompé sur la Reine de la nuit et part avec sa flute magique, non pas à la quête de Pamina délivrée depuis longtemps par son soiseleur gouailleur, mais plutôt de lui-même, afin de mériter l’amour de Pamina. Fin du premier acte. Le deuxième acte s’engage toujours dans les sombres cavernes de la recherche de soi au Palais de Zarastro, et Kentridge parodie avec humour l’ethnocentrisme criminel et les prétentions pédagogiques de l’Occident des Lumières à l’aide de grands tableaux noirs, qui fonctionnent comme de véritables écrans, où s’empilent des formes géométriques. Au fond de la scène, à un moment, une vidéo est même projetée, qui fait penser aux documents d’ethnologie des années 1960. Tamino et Papageno continuent à errer dans les couloirs du Temple de Zarastro, striés de lumière et d’ombre, condamnés à respecter la loi du silence et à temps à porter un sac blanc sur le visage afin de mieux se révéler à eux mêmes. La communication étant coupée, Pamina puis Papageno sont sur le point de se décourager et de se suicider (très jolie animation avec des corbeaux et et une potence qui se dessine comme dans un cahier d’enfant), mais sont heureusement sauvés par les conseils avisés de trois enfants-génies et par l’œil avisé qui est l’insigne de Zarastro. La vengeance de la Reine de la nuit qui voulait envoyer Pamina tuer Zarastro a échoué, et Kentridge envoie des trombes de blanc (la lumière) saluer la défaite de la revanche et de la colère, pour saluer le triomphe de l’amour et de la connaissance.
Malgré tous les stratagèmes de Kentridge et toute la fougue de Spinozi, le début du deuxième acte demeure la Flute et patine dans les signes maçonniques et les tours et détours des deux héros. L’on accueille avec joie l’arrivée de Papagena (Emmanuelle de Negri) toute de tutu vert vêtue, et le duo enfin un peu incarné qu’elle propose avec le séduisant Papageno. La verticalité et la lumière des derniers tableaux fait vite oublier les quelques instants d’ennui qui ont pu précéder et quand chanteurs et musiciens viennent saluer, c’est l’ovation. Quand le modeste Kentridge apparaît presque rougissant sur scène, c’est carrément la standing-ovation. Reste une dernière question : pourquoi à ce spectacle magique, qui pourrait complétement enchanter à son plus simple premier degré tout enfant, ne trouve-t-on pas un seul bambin?
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2 thoughts on “La Flute de Kentridge enchante les vieux enfants du Théâtre des Champs Elysées”
Commentaire(s)
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royer
Pas un seul bambin, dites vous. Le 26, un nouveau prit peur dans la détonation de l’orage et se mit à pleurer. La maman dû se lever et quitter sa place. Et nous ,nous y étions avec notre fils, âgé de 9 ans.