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“La Reine des neiges, l’histoire oubliée” : une réadaptation du conte d’Andersen à la beauté glaciale

“La Reine des neiges, l’histoire oubliée” : une réadaptation du conte d’Andersen à la beauté glaciale

02 December 2022 | PAR Mai Linh Tang Stievenard

Jusqu’au 8 janvier 2023, La Comédie Française joue La Reine des neiges, l’histoire oubliée au Théâtre du Vieux-Colombier. Elisabeth Ventura adapte l’œuvre originale d’Andersen et lui donne une nouvelle oralité en collaborant avec Johanna Boyé qui révèle une mise en scène innovante. 

Mais quelle est la véritable histoire de La Reine des neiges ?

Kay et Gerda sont comme frères et sœurs. Lorsque Kay reçoit deux cristaux de miroir inversé dans l’œil, maléfice lancé par les Trolls qui ne supportent plus la déforestation de leur habitat et haïssent les humains, son cœur se glace. Kay abandonne Gerda et rencontre la Reine des neiges qui l’accueille dans son Palais des Glaces. Celle-ci lui fait résoudre des énigmes aiguisant son esprit mathématique nouvellement acquis. Pendant ce temps, Gerda entreprend une quête éperdue pour retrouver son ami, bravant les épreuves du temps, rencontrant personnages et créatures merveilleuses qui l’aident à découvrir qui elle est. Un voyage initiatique féerique sur l’amitié et le rêve.

Un décor épuré, des références aux légendes nordiques pour un ancrage poétique dans un univers féérique

L’idée de Johanna Boyé : créer un décor épuré pour stimuler l’imagination. Une stratégie artistique intéressante pour rappeler le but du conte, celui d’encourager le rêve et la fantaisie pour créer son propre cadre. Si Boyé aspire à une restriction du décor, l’accent est davantage mis sur le mouvement, les formes et la lumière qui invitent à se représenter les paysages nordiques. La machinerie théâtrale s’inspire de l’idée de hauteur, de mouvement et de suspension pour transposer un décor hivernal. Les formes en mouvement rappellent les flocons, les ombres mouvantes en suspension dessinent les aurores boréales et ancrent avec poésie le spectateur dans une ambiance hiémale. Les formes fluctuantes, la lumière bleue, les bruits du craquement de la neige, du souffle du vent nous transportent avec délice dans le conte nordique d’Andersen.

L’ancrage dans l’histoire passe également par des références au folklore scandinave. Les joiks, chants traditionnels du peuple autochtone sami de Laponie ponctuent certaines scènes. Plusieurs personnages, à travers leur costume créés par Marion Rebmann, réfèrent à des figures du folklore nordique. Notons la corneille à trois yeux, incarnée par Jérôme Pouly qui nous livre une prestation incroyable, la Sorcière du Crépuscule campée par Suliane Brahim qui joue également la Reine des neiges, ou encore le personnage de La Petite Brigande interprétée par Julie Cavanna qui nous montre une fillette brute de décoffrage dont la coiffure et la tenue semblent s’inspirer de la guerrière viking Lagertha. Décor et costumes renvoient aux légendes scandinaves, nous plongeant toujours plus dans cet univers féérique, blanc et froid.

La dimension spéculaire du conte au service de l’illusion théâtrale et du rêve

Nous entrons directement dans le conte avec l’arrivée tonitruante, depuis le fond de la salle, de Liv et Floki, personnages extradiégétiques venus écouter l’histoire de Kay et Gerda racontée par leur grand-mère interprétée par Danièle Lebrun. Les personnages nous plongent immédiatement dans l’histoire en investissant l’espace hors scène. Nous sommes littéralement enveloppés par le conte. À cela s’ajoute l’apparition intermittente de la grand-mère qui poursuit son histoire.

Les comédiens, par leur jeu pittoresque, retransposent avec subtilité le caractère des personnages et le comportement des créatures magiques peuplant le conte d’Andersen. La Reine des neiges, interprétée par la comédienne Suliane Brahim, est parfaitement reconnaissable à son costume immaculé, à sa cape dont le drapé danse avec grâce à chacun de ses mouvements et rappelle la danse des flocons. Son élocution lente, comme suspendue par une intonation mystérieuse, lui octroie un caractère éthéré. Elle semble irréelle, presque insaisissable, à l’image des flocons qu’elle contrôle. A l’opposé, le jeu fougueux de Kay, incarné par Adrien Simion, le jeu passionné d’une Gerda déterminée figurée par Léa Lopez. Tous deux traduisent la force de l’enfance qui les guide dans leur recherche respective : pour Kay celle de la résolution de l’énigme de la Reine des neiges qui lui apprend à maîtriser ses émotions et à être patient, pour Gerda celle de la quête de soi à travers la recherche de son ami. Celle-ci est aidée par la corneille à trois yeux interprétée par un Jérôme Pouly aux mimiques saccadées, typiques du comportement avien.

Nous assistons, ébahis, à la magie du conte et du théâtre.  Mais quelles sont les limites du conte ? Qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui est illusoire ? Cette histoire d’amitié évoque  la thématique du reflet. Kay et Gerda sont comme frères et sœurs et ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Ils sont inséparables, à l’image du reflet dans un miroir de glace. Enfin, si le spectacle aborde les thématiques de l’amitié et du voyage initiatique, certains passages peuvent faire défaut à un jeune public. En particulier la scène où la corneille à trois yeux s’adonne à une séance de psychologie avec Gerda lorsqu’il aborde la notion de rêve, d’illusion et de théâtre. Nous, spectateurs, faisons partie de l’illusion de Gerda, qui elle fait partie de notre rêve puisqu’elle fait partie du conte. Une mise en scène habilement menée par Johanna Boyé pour rompre l’illusion théâtrale et délivrer un message porté par les mots de la corneille : « Le rêve est un théâtre et le théâtre est un rêve ». Pendant 1h40, Johanna Boyé nous emporte dans un univers féérique, entre magie et illusion, le tout avec humour et fraîcheur. 

 

Plus d’informations pratiques ici.

 

Visuel : Photos La Reine des Neiges, une histoire oubliée / © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

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Mai Linh Tang Stievenard

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