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L’éloge du kimono

L’éloge du kimono

02 December 2022 | PAR Laetitia Larralde

Cet hiver, le musée du quai Branly tourne son regard vers le Japon et l’un des éléments marquants de son identité : le kimono. Une exposition somptueuse et surprenante.

Après sa création au Victoria and Albert Museum de Londres et une étape à Stockholm, où le Covid a fortement impacté l’accès du public, l’exposition Kimono s’installe à Paris, au musée du quai Branly. Avec près de 200 pièces, le monde sublime du kimono s’ouvre à nous, dans un chatoiement de matières et de motifs. En retraçant l’histoire de ce vêtement japonais iconique depuis le XVIIème siècle (époque Edo) jusqu’à nos jours, l’exposition s’attache à nuancer les stéréotypes qui lui sont liés, à montrer sa perpétuelle modernité et son influence sur la mode à l’échelle mondiale.

Un marqueur social

Le kimono est indissociablement lié à l’identité japonaise, tant au Japon que dans le reste du monde. Jusqu’au XIXème siècle, hommes et femmes japonais le portaient quotidiennement, toutes classes sociales confondues, pour ensuite céder le pas aux vêtements à l’occidentale. Comme pour de nombreuses formes d’art et d’artisanat, l’époque Edo (1603 – 1868), période de stabilité politique, est propice à son épanouissement. En conservant toujours la même coupe, huit morceaux de tissu rectangulaires assemblés à plat sans recoupes, il devient un moyen de montrer son goût, sa fortune ou son œil pour la mode.

Tout comme pour les estampes, le développement du kimono vient de l’enrichissement de la classe marchande. Urbaine et ayant le goût des loisirs, ils voient dans le kimono le support parfait pour montrer leur réussite. Car ce qui importe dans ce vêtement, c’est sa surface, et non le corps qui le porte. Contrairement à l’Europe où le vêtement sublime les formes du corps, le kimono crée une silhouette droite, base parfaite pour laisser les motifs se déployer. Ainsi, les broderies, teintures, tissages et peintures peuvent rivaliser de luxe et d’inventivité. Mais la hiérarchie sociale restant stricte, cette débauche de luxe d’une classe basse gêne, et le shogunat édicte des lois somptuaires, faisant revenir le kimono à plus de sobriété. Qu’à cela ne tienne : on exprimera sa créativité par son sous-kimono, son obi (large ceinture de tissu), voire la doublure de son kimono.

Acteurs et courtisanes sont les moteurs des mouvements de mode. Représentés sur les estampes ukiyo-e qui se vendaient comme les magazines de mode aujourd’hui, ils dictaient les accessoires, les couleurs, les motifs de l’époque. Beaucoup moins soumis aux contraintes d’étiquette que la classe des samouraïs, ils contribuaient à une culture de la consommation dynamique. Le sur-kimono brodé sur satin de soie d’une courtisane de haut rang en est un exemple somptueux.

Un influence à double sens

Bien qu’étant resté fermé à l’étranger pendant toute la période Edo, le Japon a malgré tout réussi à inspirer et à s’inspirer des cultures occidentales. Les hollandais étaient à l’époque les seuls autorisés à faire du commerce avec le pays, en étant basés à Nagasaki. Les produits qu’ils exportaient du Japon, telles que les céramiques, avaient un succès considérable dans les cours européennes, et les kimonos en faisaient partie. Une production spécifique pour l’étranger se mit en place, mais elle fut vite insuffisante et l’Europe commença à fabriquer en s’inspirant du Japon.

L’inverse était également vrai : les japonais se sont approprié les textiles que rapportaient les hollandais, comme les soieries de Lyon, les cotons imprimés anglais ou les textiles aux motifs colorés d’Inde et d’Asie du sud-est. On les retrouve ici transformés en accessoires et en kimonos, pour hommes ou pour femmes. Mais les appropriations, tant en Europe qu’au Japon, entraînent des modifications du modèle original pour correspondre au goût local. Ainsi, ce magnifique hybride de kimono et de robe brodé de glycines montre l’influence précoce du Japon dans la mode internationale.

Avec l’ouverture du pays au XIXème siècle, le japonisme emporte l’Europe, et se faire portraiturer vêtu d’un kimono est du dernier chic. Les impressionnistes s’emparent des estampes, les cabarets de l’exotisme oriental et les couturiers du kimono. De nombreux exemples du début du XXème siècle, où les lignes droites de l’Art Déco s’accordaient avec celles du kimono, nous montrent à quel point ce vêtement traditionnel est versatile, à quel point son apparente simplicité de coupe peut s’adapter à une culture, une géographie ou une époque.

Une scénographie inventive

La scénographie de l’exposition, particulièrement soignée, cherche elle aussi à sortir des stéréotypes. Les kimonos sont présentés de plusieurs façons : à plat sur le portant en bois traditionnel, pliés pour mettre son motif en avant ou drapés sur des mannequins. Pour ceux-ci, d’élégantes reproductions de coiffures traditionnelles en tissu gris ont été confectionnées, ainsi que des éléments de la tenue indispensables à la compréhension de la composition de la tenue. Présentés sur fond noir, les tissus, couleurs et motifs ressortent superbement, comme l’aurait décrit Jun’ichirô Tanizaki dans son Eloge de l’ombre. Et pour compléter notre appréhension du kimono, une sélection d’estampes nous les présente en mouvement sur les personnalités de l’époque.

Autre point remarquable de cette exposition, la présence de tenues masculines. Tout comme en occident, les hommes ont une plus petite marge de manœuvre en ce qui concerne l’expression de leur style vestimentaire. Même s’ils suivent les modes au même titre que les femmes, ils en sont souvent réduits à jouer sur les accessoires ou sur les parties peu visibles de la tenue, comme certaines doublures patriotiques étonnantes. Seuls les acteurs de kabuki pouvaient se permettre de plus grandes fantaisies.

Si l’usage du kimono s’est considérablement réduit après la seconde guerre mondiale, étant majoritairement porté par des femmes et pour des occasions spéciales, il connait aujourd’hui un renouveau. Si ses apparitions dans la mode, la musique ou le cinéma sont fréquentes, c’est pourtant bien de la jeunesse japonaise que vient ce mouvement. Lassée de l’uniformisation de la mode, elle se retourne vers cette pièce si profondément liée à leur identité traditionnelle et si adaptable à la modernité. Avec des pièces vintages ou des créations de designers contemporains, les japonais se réapproprient ce concentré de culture.

En visitant l’exposition Kimono, on prend la mesure de l’intemporalité et de l’universalité de ce vêtement si profondément japonais. L’essence d’une culture, l’essence du vêtement.

Kimono
Du 22 novembre 2022 au 28 mai 2023
Musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris

Visuels : 1- Affiche de l’exposition Kimono© musée du quai Branly – Jacques Chirac, DA © g6 design / 2- Outer-kimono for a woman (uchikake), probably Kyoto, 1860-80 © Victoria and Albert Museum, London / 3- Women outside Daimaruya, Utagawa Kunisada, Edo (Tokyo), 1840-45 © Victoria and Albert Museum, London / 4- vue de l’exposition © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine / 5- Kimono for export, probably Kyoto, 1905-15 © Victoria and Albert Museum, London / 6- vue de l’exposition © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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