Jazz
Le prodigieux piano solo de Baptiste Trotignon au Bal Blomet 

Le prodigieux piano solo de Baptiste Trotignon au Bal Blomet 

17 January 2023 | PAR Geraldine Elbaz

Dans le cadre des concerts organisés au Bal Blomet avec pour thématique Le piano dans l’art du jazz, Baptiste Trotignon a offert le 13 janvier dernier une soirée mémorable à son public venu nombreux. Généreux, virtuose, inspiré, l’immense pianiste nous a présenté à cette occasion son dernier opus en piano solo intitulé Body and Soul (Paradis Improvisé), une pépite à écouter sans modération.

Un parcours remarquable

Baptiste Trotignon débute le piano à 8 ans. Il intègre le conservatoire de Nantes à 9 ans, en ressort diplômé à 17 ans (Prix de piano et d’écriture). Adolescent, il apprend le jazz en autodidacte et explore l’improvisation. Il n’a que 16 ans lorsqu’il donne ses premiers concerts à Nantes. En 1995, il interprète le rôle d’un jeune pianiste dans Le Nouveau Monde, film d’Alain Corneau. Puis il s’installe à Paris, où il poursuit sa formation, gagne des prix et monte son premier trio avec Clovis Nicolas (contrebasse) et Tony Rabeson (batterie). 

En 2000, il sort Fluide, un premier album éclatant qui remporte un Djangodor. En 2001, il reçoit le Prix Django Reinhardt, célébrant le musicien français de jazz de l’année. Son succès se fait de plus en plus retentissant : en tant que leader et sideman, il écume les festivals internationaux (Marciac, Vienne, Montreux…), enchaîne les albums et les récompenses pleuvent (concours de piano jazz Martial Solal en 2002, Victoires du jazz en 2003…).

Trotignon joue avec les plus grands (Stefano Di Battista, Tom Harrell, Didier Lockwood, Brad Mehldau, Michel Portal…) Il oscille avec brio entre jazz et classique, compose des concertos pour piano, orchestre, trompette. Sa créativité semble sans limites.

Body and Soul

Body and Soul est le 4ème album solo du pianiste, sorti le 9 décembre 2022 chez Paradis Improvisé. À l’origine, c’est Hélène Dumez qui a eu la brillante idée de réunir dans un coffret collector 14 albums inédits des pianistes les plus talentueux de la scène jazz actuelle. À ce jour, 4 albums sont disponibles (Pierre de Bethmann, Leonardo Montana, Laurent Coulondre et Baptiste Trotignon), les prochains arrivent bientôt. 

En invitant la crème de la crème des musiciens à jouer sur son Steinway, installé rue Paradis à Marseille, en donnant carte blanche à ces sommités redoutables, c’est un cadeau incommensurable qu’Hélène Dumez offre aux artistes d’une part mais surtout à tous les heureux auditeurs, qui auront la chance de profiter de ce voyage exceptionnel. 

Baptiste Trotignon a donc choisi d’intituler son album Body and Soul, d’après la chanson populaire composée par Johnny Green en 1930, propulsée standard incontournable, notamment après les reprises de Louis Armstrong et Coleman Hawkins. Comment ne pas penser aussi à Body and Soul, roman formidable de Frank Conroy, plongeant le lecteur dans le New-York des années 1940, à la rencontre de Claude Rawlings, dont la musique chamboulera le destin ?

Sur l’album enregistré le 7 février 2022 à Marseille par Julien Bassères, le standard “Body and Soul” dure près de 9 minutes et Baptiste Trotignon va bien au-delà d’une énième reprise. Ici, le temps s’étire, les notes résonnent autrement et les accords sont comme des caresses qui vous enveloppent de douceur.

L’album entier est un choc musical absolu, une effraction de beauté pure dans votre salon, dans vos oreilles, dans votre vie. Dix standards que vous n’écouterez plus comme avant. “All the things you are”, “You go to my Head”, “There will never be Another You”, “Passport”, “Chega de Saudade”… chaque morceau vous surprend, vous émerveille, vous prend littéralement aux tripes. Vous redécouvrez les thèmes via un prisme nouveau, comme un jaillissement lumineux qui vous éblouit avec de nouvelles couleurs chatoyantes. Paradis improvisé n’est pas un nom pris au hasard.

La quintessence du jazz

Pour la première fois sur la scène du Bal Blomet, Baptiste Trotignon démarre le concert sans préambule. Vêtu de bleu et de noir, il se présente au public en chaussettes, comme à son habitude quand il n’est pas pieds nus. Son introduction musicale est élégante, lyrique et parfois hypnotique, ponctuée de motifs arpégés lancinants. La main gauche édifie une structure, la main droite dessine des ornementations. Le tout s’entremêle merveilleusement. Telle une vague ondoyante et moirée, le phrasé du pianiste se déploie et nous fascine. Il instaure d’emblée un climat. L’intensité monte crescendo. La mélodie s’installe et les accords sont exprimés avec grandiloquence. Nous assistons à une déferlante inéluctable. Le moment est précieux, l’auditoire retient son souffle, l’osmose se crée. 

On reconnaît alors le thème de Cole Porter “So in love” puis celui de Charlie Parker “My little Suede Shoes”, agrémentés d’improvisations flamboyantes. Le piano sonne royalement et embrase le public. Le pianiste s’amuse. Il joue avec le clavier, explore de nouvelles sonorités, réinvente les accords, bouscule les mélodies, bifurque dans la rythmique. Son univers est dense, riche, complexe. Il aime surprendre, être là où on ne l’attend pas. Des Beatles (“With a little Help From My Friends”) à “Colchiques dans les Prés” (You’ve Changed, 2019), il n’y a qu’un pas.

Au beau milieu d’un morceau, un verre explose au fond du bar ? Le pianiste sursaute, écarquille les yeux mais rien ne viendra altérer le mouvement en marche. Les mains restent agrippées aux touches, s’accrochent à la rythmique. Le son fuse de toutes parts. Imperturbable, Trotignon nous offre la quintessence du jazz. Le public chantera « Amen » sur le final de “Moanin’”, nous écouterons “Frevo”, en hommage à Egberto Gismonti, avant deux rappels éloquents. En guise de bouquet final, quoi de mieux qu’« Emily », pour finir en beauté ? Tout simplement exquis. 

Visuel : (c) GE

 

Le Piano dans l’Art du Jazz

Baptiste Trotignon

Bal Blomet 

Vendredi 13 janvier 2023

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L’agenda classique et lyrique de la semaine du 17 janvier
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Geraldine Elbaz
Passionnée de théâtre, de musique et de littérature, cinéphile aussi, Géraldine Elbaz est curieuse, enthousiaste et parfois… critique.

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