Jazz
[Chronique] « No Deal » de Mélanie de Biasio : perle rare et noire

[Chronique] « No Deal » de Mélanie de Biasio : perle rare et noire

10 October 2013 | PAR Arnaud Berreby

No Deal[rating=4]

Le lundi 21 octobre verra la sortie du deuxième album de la belge Mélanie De Biasio, No Deal (paru chez PIAS). Grande année pour la Belgique, semble-t-il, Toute la Culture ayant déjà salué comme il se doit le nouvel opus d’une compatriote, An Pierlé, il y a quelques mois.

Séduction immédiate pour l’artiste à l’univers jazzy et à la voix chaude et maîtrisée : pas d’effet de manche, ni de drague vulgaire, mais une authenticité totale pour « I Feel You », ce morceau introductif en guise de chanson miroir. Le titre semble être adressé à chacun de ses auditeurs avec incandescence afin qu’il renvoie justement le torride de la déclaration à son expéditrice, dans le cadre d’un échange osmotique, à l’exact opposé de l’élitisme glacial, pro domo et oiseux qui caractérise l’état actuel du jazz.

Cet air chaud renoue avec ce qu’a toujours été ce genre musical, lui, le fils chéri des laissés-pour compte, enfant prodige et prodigue mythique, précurseur des salvatrices transgressions du siècle dernier.

L’écoute de certains albums Jazz du moment procure le sentiment frustrant de s’allonger aux côtés d’un bloc de glace et d’attendre désespérément l’amour. Ces opus, omelettes boursouflées de prétention, verbeux et arrogants, vous laissent dans un état d’ennui fatal avec comme unique complice votre ultime atome intérieur qui est tout près d’expirer en un dernier soupir de lassitude.

Mélanie de Biasio, elle, compose et chante des mélodies touchantes au sens propre, atteignant le cœur ardent et pulsatile de leur cible : vous vous surprenez alors à marcher dans la rue, hébété, et à dire pardon à celui qui vous bouscule.

« I Feel You » donc, tenant lieu de prologue avec son trio :clavier, flûte et cymbales pertinentes, comme accompagnement servant avec justesse et justice cette voix si ardente maîtresse de procession, par moments s’exprimant a cappella, comme une mise en bouche : « Je te ressens, un écho profond en moi / Un appel puissant à la découverte / Je sais que tu sais… »

« The Flow », qui suit et premier single de l’album, vous emporte sur son flot qui tangue en cadences dictées par une batterie omniprésente, métronome obsédant uniquement habillé d’un clavier old-school jusqu’au solo prévisible de flûte qui, vous l’aurez compris, est l’instrument fétiche de Mélanie :« Je devine les angoisses qui brûlent dans ta poitrine / Il est si difficile de les chasser / Tu es déjà ailleurs, je le sais… »

« No deal » est, elle, une supplique déchirante adressée au grand architecte de l’univers, dernier espoir d’une âme en phase terminale de maladie d’amour, qui commence comme une ballade céleste et frivole et s’achèvera en un fondu plombant et envoutant à la Stephen King, effrayant car tutoyant de trop près le réel, en une mise en cène christique d’une Mélanie sanctuarisée qui se perd, victime étourdie de désillusion, dans le firmament : le groove ralentit ensuite jusqu’à l’extinction.

L’instrumental qui suit, « With Love » est logiquement dans le prolongement de cette ambiance crépusculaire, car il complète, achève et magnifie les deux mots du titre précédent. « Sweet Darling Pain », au rythme faussement lent, au piano bohémien et à la basse en loop hypnotique, librement inspirée de l’Ecclésiaste : « Un temps pour perdre, un autre pour gagner / Tant que nous serons consentants / Un temps pour aimer, un autre pour abandonner / Tant que nous y croyons… »

« I’m Gonna Leave You », ou la réponse cinglante et féminine 45 années plus tard au « Leave You » du Led Zep. Mais, contrairement à Plant, elle ne reviendra pas sur sa décision. Car là où l’homme finasse, minaude, hésite en bon lâche, fidèle à son genre testostérone genre « Arrêtez- moi ou je fais un malheur », puis finit par renoncer, Mélanie, elle, dont le bras ne tremble pas au dernier instant, tranche dans le vif, elle, la guerrière meurtrie de l’amour, grièvement blessée au combat et qui, de plus, crachera, bravache sur vos médailles ternes en chocolat : « Je vais te larguer car je l’ai décidé / Je vais te larguer toi et ton pognon / Je ne veux plus de tes bagues en or / J’ai besoin d’affection et non de ta protection. »

Elle nous offre enfin un splendide final de 8’26 « With All My Love », cri de détresse désabusé mais non dépourvu d’espoir, adressé à sa génitrice car le constat est accablant : « Maman regarde ma vie / C’est un long voyage et je ne peux plus continuer comme cela / J’ai vécu trop d’outrages, trop de désirs non assouvis. »

Accueillez cette artiste comme vous voulez, une tornade ou un murmure, bien sûrement une simple vérité au milieu de vos multiples et pathétiques mensonges. Une certitude néanmoins : elle cloue le bec aux tenants du « c’était mieux avant », dans le cadre de cette ridicule et stérile lutte des anciens contre les modernes.

Faites passer.

Mélanie de Biasio sera à l’affiche de la [PIAS] Nites le 28 octobre à la Flêche D’Or.

Visuel : (c) pochette de No Deal de Mélanie de Biasio

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