Au TCE, Bertrand de Billy propose un programme français tout en légèreté et en gravité
Ce 11 octobre les forces musicales de Radio France étaient réunies au Théâtre des Champs Elysées pour un programme entièrement français de Fauré à Poulenc, en passant par Henri Dutilleux. Bertrand de Billy, chef d’orchestre qu’on connait surtout dans les fosses d’opéra, a su y montrer toute sa connaissance et son amour de ce répertoire qui mêle tradition et modernité.
“Nul n’est prophète en son pays” dit le proverbe. Comme beaucoup d’autres musiciens francophones Bertrand de Billy, né à Paris, a fait la plus grande partie de sa carrière à l’étranger, notamment en Allemagne, Espagne et en particulier à Vienne au Volksoper et à l’Orchestre de la RSO. Chef lyrique reconnu, il est aujourd’hui demandé dans les plus grandes maisons d’opéra mondiales, à New York, Londres, Rome, Berlin, Munich, Bruxelles… et Paris.
Pourtant il est rare en France dans le domaine symphonique, et c’était donc une belle occasion de l’entendre à Paris dans un répertoire français qu’il défend plus souvent hors de nos frontières. de Billy est d’ailleurs particulièrement attaché au répertoire choral de Poulenc, puisqu’il lui rappelle d’excellents souvenirs de ses jeunes années au sein de la Maitrise des Petits Chanteurs de Chaillot. Cet attachement était palpable lors de ce concert où il a confirmé son savoir-faire pour diriger les voix.
La suite Masques et Bergamasques de Gabriel Fauré est une musique de ballet souvent programmée à l’étranger. Étrangement, elle n’avait pas été jouée depuis plus de 30 ans par l’Orchestre National de France. Sous la baguette du chef qui leur a rappelé l’influence de Verlaine et Watteau sur cette partition, les musiciens en retrouvent dès l’ouverture toute la légèreté et la vivacité. Le Minuetto (dirigé sans baguette) est élégant à souhait, et la Gavotte enlevée et dansante. Bertrand de Billy conclut l’œuvre avec une gracieuse Pastorale qui prouve que ce répertoire mérite d’être joué plus souvent par cette phalange qui la porte naturellement dans ses gènes.
Le programme se poursuivait ensuite avec l’Elegie op 24, courte pièce pour violoncelle et orchestre initialement conçue comme le mouvement lent d’une sonate avec piano jamais terminée, que le compositeur orchestra en 1895. Avec une grande sensibilité, Jean-Luc Bourré, violoncelle solo du National en traduit toute la douloureuse mélancolie sans sombrer dans le sentimentalisme. Avec le soutien du chef très à l’écoute (de Billy est lui-même ancien violoniste d’orchestre), il livre une interprétation toute en nuances et recueille une juste ovation du public et de ses collègues.
Pour compléter cette première partie, Bertrand de Billy a souhaité aborder la musique d’Henri Dutilleux avec The Shadows of Time, une œuvre composée en 1997. Pour justifier ce choix, il explique que le compositeur, avec lequel il a fréquemment travaillé, faisait souvent référence à Poulenc et Fauré dans ses discussions.
L’oeuvre, inspirée par les grands épisodes du XXe siècles et notamment la Seconde guerre mondiale, est grave mais non sans espoir. Elle est constamment scandée par un motif de percussions illustrant la marche du temps. Le compositeur a souhaité traiter les familles de bois, de cuivres et de cordes en masse homogènes, mais aussi en les faisant alterner avec des groupes de solistes dans un esprit de musique de chambre. Sous la baguette pourtant précise et alerte du chef, l’Orchestre National y semble moins à l’aise et perd quelque peu de la précision qu’il affichait dans Fauré. L’interlude central du mouvement “Mémoire des Ombres” évoque la personnalité d’Anne Franck à travers des voix d’enfants : « Pourquoi nous ? Pourquoi l’étoile ? ». Les trois solistes de la Maîtrise de Radio France, Maud, Rebecca et Joséphine, très assurées, sont parfaites dans leur incarnation de l’innocence confrontée à l’horreur.
Après l’entracte le Chœur de Radio France, renforcé par des voix d’hommes du Chœur de l’Armée Française (dirigé par Aurore Tillac), prenait place sur scène pour interpréter quelques œuvres majeures de la musique sacrée française.
Le Cantique de Jean Racine de Fauré est au moins aussi connu que son célèbre Requiem. Pièce facile, on la retrouve souvent dans sa version avec orgue interprétée dans des églises avec plus ou moins de bonheur par des chorales qui ne savent pas en rendre toute la subtilité. Sous la baguette attentive de de Billy, on a plaisir à en redécouvrir la version avec orchestre. Le Chœur de Radio France, habilement préparé par Martina Batic, en livre une une interprétation toute en retenue et en nuances piano, avec une belle maîtrise du texte, rendu pour une fois très intelligible.
Francis Poulenc, dont la foi catholique pétrit toute l’oeuvre chorale eut un choc mystique en 1936 en visitant le Sanctuaire de la Vierge Noire sur le rocher de Rocamadour. Les Litanies à la Vierge Noire, que ce voyage à Rocamadour lui inspira en quelques jours sont un des monuments de la musique chorale à voix égales. Hélas, dans cette œuvre dont la Maîtrise de Radio France a poussé l’interprétation jusqu’aux sommets, les voix de femmes du Chœur, par moments peu assurées, peinent à rendre l’émotion suscitée par les voix d’enfants dans leur pureté angélique.
L’artiste et décorateur Christian Bérard, fut un des proches de Poulenc dans les années 1940. A son décès celui-ci préféra composer à la mémoire de son ami un Stabat Mater, plutôt qu’un Requiem, texte jugé trop solennel. L’œuvre en douze mouvements a la forme d’une grande déploration néoclassique dans laquelle le chœur à cinq voix est sollicité dans une large palette expressive.
On reste hélas sur sa faim quant à la prestation du Chœur de Radio France : impressionnant de force dans les moments de véhémence (Cujus animam, Quis est homo), il déçoit dans les passages plus intimes (O quam tristis, Fac ut ardeat). L’homogénéité des voix n’est pas toujours parfaite dans les pianissimos, notamment chez les voix d’hommes et l’intonation parfois défaillante. On regrette que l’acoustique un peu sèche du TCE prive les possibilités d’expressivité dans les dynamiques faibles. De ce fait l’émotion qui devrait être produite par les magnifiques harmonies du Virgo virginum praeclara n’est pas au rendez-vous, malgré toute la palette de nuances déployée par l’Orchestre National de France sous l’impulsion de Bertrand de Billy.
Emöke Barath est une soliste de luxe qui prête au Vidit suum une voix charnue et pleine. Très assurée, elle en restitue toute l’intensité sans la froideur que l’on retrouve parfois chez d’autres soprani.
Bertrand de Billy confiait aux micros de France Musique à l’issue de la diffusion du concert qu’il n’avait pas d’autres engagements prévus prochainement en France. Souhaitons que les programmateurs réparent cette situation pour lui permettre de diriger plus souvent cette musique chorale française qu’il affectionne.
Crédits : Bertrand de Billy © Marco Borggreve