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Joshua Bell et Gianandrea Noseda électrisent le public à la Maison de la Radio

Joshua Bell et Gianandrea Noseda électrisent le public à la Maison de la Radio

15 March 2023 | PAR Hannah Starman

L’auditorium de la Maison de la Radio est presque comble ce dimanche 12 mars. Au programme : le Concerto pour violon et orchestre de Samuel Barber, interprété par le violoniste vedette américain Joshua Bell et deux prodigieuses œuvres de jeunesse, Le Rocher de Sergei Rachmaninov et la Symphonie nº1 de Dmitri Chostakovitch. Joshua Bell et l’Orchestre National de France sous la baguette de Gianandrea Noseda nous offrent un moment musical de très grande qualité.

Le Rocher de Sergei Rachmaninov (1893)

Le programme ouvre avec une œuvre de jeunesse de Sergei Rachmaninov, un bijou d’orchestration qui laisse déjà entrevoir la sensualité romantique et la sensibilité impressionniste du compositeur. Composé en 1893, lorsque Rachmaninov n’a que dix-neuf ans, Le Rocher est un poème symphonique basé sur la nouvelle En voyage d’Anton Tchekhov, elle-même inspirée par deux vers du poète russe Mikhaïl Lermontov : “Sur le sein d’un gigantesque rocher / Un petit nuage doré a sommeillé une nuit durant.” Dans la salle d’une auberge pendant une tempête de neige, un homme d’âge mûr, incarné par le thème obscur, porté par les bassons et les cordes graves, rencontre une jeune femme, représentée par la flûte. Toute la nuit, l’homme dévoile à la jeune voyageuse les tragédies qui ont marqué sa vie. Lorsque la jeune femme quitte l’auberge au matin, il ne reste plus que le thème sombre de solitude et désolation. Dirigé de main souple et précise de Gianandrea Noseda, l’Orchestre National de France nous livre un son riche et équilibré et, pour ne rien gâcher, l’étincelant solo de flûte de Silvia Careddu évoque délicieusement l’insouciance impitoyable de la jeunesse.  

Pendant que les techniciens préparent la scène pour le Concerto pour le violon de Barber, les jeunes filles d’une autre ère que la voyageuse de Tchekhov commencent à s’agiter discrètement sur leurs fauteuils et à lancer des regards de plus en plus appuyés vers la porte d’où finira par émerger la superstar du violon, Joshua Bell. Devant ce public jeune et familial, l’Américain quinquagénaire à l’allure juvénile n’a pas à craindre l’indifférence qu’il a subie lors de l’expérience menée par le Washington Post.

Un violoniste dans le métro

En 2007, Gene Weingarten, le célèbre journaliste du Washington Post, propose au violoniste star une expérience inédite : jouer incognito dans une station de métro au cœur de la capitale américaine pendant l’heure de pointe, afin de tester si dans un contexte banal, à un moment inopportun, la beauté est capable de transcender ces conditions et de nous arrêter dans nos pas. Joshua Bell relève le défi. Le 12 janvier 2007, à 7h51 du matin, il s’installe dans le hall de la station de métro l’Enfant Plaza. Pendant 45 minutes, l’un des plus brillants musiciens au monde jouera les morceaux les plus exquis jamais écrits pour le violon, sur un Stradivarius de 1713 d’une valeur de 14 millions de dollars. 1097 employés des agences gouvernementales américaines passeront devant lui. Sept personnes s’arrêteront quelques instants pour l’écouter. Vingt-sept lui jetteront une pièce ou un billet. Le reportage de Gene Weingarten, “Pearls Before Breakfast” du 8 avril 2007, rapportera le Pulitzer à son auteur, mais la cagnotte sera bien plus modeste pour Joshua Bell. Son talent est tarifé à 1000 dollars par minute. Pourtant, en 45 minutes que durera l’expérience, le célèbre violoniste ne récoltera que 32 dollars et 17 cents, dont 20 dollars de l’unique personne qui l’ait reconnu, la fonctionnaire du Ministère du Commerce Stacy Furukawa.  

Concerto pour violon de Samuel Barber (1940)

En revanche, cet après-midi du 12 mars 2023, Joshua Bell, vêtu d’une chemise noire au col mao et d’un pantalon noir, est au centre de toutes les attentions. Sa présence sur scène est affirmée et généreuse. L’instrumentation du Concerto pour violon de Barber (1940) est lyrique et intimiste, presque chambriste. L’orchestre modéré inclut huit bois, deux cors, deux trompettes, percussions, piano et cordes. Évitant toute ostentation ou pathos et jouant sans partition, Joshua Bell nous offre une superbe interprétation de cette œuvre singulière et rarement entendue en Europe. Les deux premiers mouvements du Concerto contrastent, par leur intensité ample et chaleureuse, avec le troisième mouvement endiablé et dissonant.

Joshua Bell ouvre le premier mouvement avec une mélodie empreinte de tristesse qui sera développée par un long solo de clarinette. Précis, habité, entier et dénué de tout sentimentalisme, le jeu de Joshua Bell est captivant du début à la fin. Sa façon attentive d’écouter l’orchestre, serrant son précieux Stradivarius sous le bras, témoigne d’une empathie enveloppante et bienveillante. Le solo de hautbois au début du deuxième mouvement, formidablement interprété par Mathilde Lebert, est pétri d’un lyrisme mélancolique évoquant les combats d’un passé lointain. En revanche, le Presto final entraîne les auditeurs et les interprètes dans un rythme irrégulier et des sonorités dissonantes qui se terminent dans un final déchaîné qui sollicite la virtuosité du soliste, la fougue de l’orchestre et la maîtrise du maestro. Les applaudissements soutenus font revenir Joshua Bell et Gianandrea Noseda pas moins de cinq fois. Avec le pianiste, Franz Michel, le violoniste américain nous offre, en bis, Summertime de George Gershwin.

Symphonie nº1 de Dmitri Chostakovitch (1925)

La seconde partie est consacrée à un autre chef d’œuvre de jeunesse, la Symphonie nº1 de Dmitri Chostakovitch. Entre octobre 1924 et juin 1925, alors qu’il n’a que dix-huit ans, Chostakovitch écrit la première de ses quinze symphonies, pour son diplôme du Conservatoire de Leningrad. La création russe de la Première par l’Orchestre philharmonique de Leningrad en mai 1926 est un grand succès et l’œuvre est encore aujourd’hui considérée comme une des plus belles compositions de Chostakovitch. Les influences de Stravinsky (Petrouchka) et Prokofiev sont perceptibles, mais son humour, son double langage, sa sensibilité musicale et l’intensité de son expression y sont déjà bien présents.

L’orchestration des deux premiers mouvements est légère et pleine d’entrain, avec les entrées des bois et du piano espiègles et gaies qui ne sont pas sans rappeler des courses-poursuites de Tom et Jerry.  On y retrouve déjà la dérision et les ambiances grotesques et décalées qui marqueront l’œuvre ultérieure de Chostakovitch. En revanche, le troisième mouvement, le Lento, avec les solos mélancoliques du violoncelle et du violon, est inquiétant et oppressant, révélant la présence de l’angoisse et la douleur qui se déclineront, elles aussi, à travers l’œuvre du compositeur. Le finale commence avec le motif languissant presque wagnérien, porté par les violoncelles, et évolue vers un crescendo incendiaire et des sommets éclatants, ponctués par des arrêts surprenants et des passages lyriques tchaïkovskiens, avant de se terminer dans un tourbillon de fanfares et de percussions.

Belle performance de l’ONF en excellente forme

Noseda se montre quelque peu retenu dans la direction des deux premiers mouvements, mais il maîtrise admirablement les silences. Dans l’ensemble, l’orchestre, visiblement en excellente forme, nous livre une superbe performance avec des solos remarquables, notamment celui d’Aurélienne Brauner au violoncelle et de Luc Héry au violon.

Les applaudissements nourris rendent encore hommage au grand chef italien et à l’Orchestre National de France quand les jeunes filles forment déjà la queue devant la table où Joshua Bell signera leurs programmes, avec le sourire d’un musicien admiré, reconnu et validé, pour qui l’Enfant Plaza n’est plus qu’un mauvais souvenir.

Visuel : © Shervin Lainez

 

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Hannah Starman

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