Pauline à la cour…
Pauline Bonaparte, Princesse Borghèse de Florence de Baudus, offre un bel aperçu des Bonaparte du « second plan », ceux qui ont animé les boudoirs et les cérémonies impériales durant l’épopée (et après) que nombre de publications viennent commémorer cette année « anniversaire » de la mort de Napoléon. Au-delà de la légèreté, l’ouvrage donne à voir les coulisses de la cour, ses lieux, ses repères et ceux de l’époque restituée au travers d’une abondante citation de correspondances et mémoires des différents cercles de cette sœur moins connue.
Pauline, protagoniste ou personnage secondaire ?
La jeune sœur est moins connue et a été sans doute la plus pleinement « commandée » par ses frères. Ils choisissent ses maris Leclerc ou le très riche héritier Borghèse, illustre famille romaine de la Renaissance et très bon parti pour la jeune veuve qu’elle était. La vie de Pauline n’est pas essentielle comme d’autres dans le dispositif napoléonien et d’un point de vue géopolitique, elle ne vaut ni Joseph, ni Jérôme ou même « Mme Murat ». L’auteure avait d’ailleurs publié une biographie de Caroline qui régna un temps donc sur Naples et l’Italie du Sud avec son général de mari. Pauline n’eût pas la même « chance » : Leclerc mourut rapidement des suites de l’expédition ratée d’Haïti (Saint-Domingue de l’époque, île stratégique car pactole de sucre pour le pouvoir français). Son fils même survécut peu de temps… Florence de Baudus insiste sur le fait qu’elle est souvent éloignée des lieux de décision ou des moments de la décision par le fait que sa santé, chancelante, la mène d’une ville d’eau l’autre. Après la chute de l’Empire et la mort de son frère dans son second exil lointain, elle s’occupe de récupérer ce qu’elle peut de son second mariage avec le riche prince dont l’ampleur apparaît bien peu au travers du récit historique.
Dès lors, Pauline, bien que l’auteure l’en défende sans cesse au détour de quelques remarques, apparaît comme un personnage quelque peu frivole, bien fragile, parfois capricieuse (l’épisode d’un bain de lait d’ânesse obligé un soir en pleine province dans un obscur logement provincial entre deux villes d’eau… alors que les convives l’attendent)… Elle est aussi décrite comme lumineuse, joviale et elle ne semble jamais autant s’animer que lorsqu’elle est la première dame de l’assistance d’un bal ou d’une réception entre Paris, Rome, la Toscane, ce qui lui vaut une certaine concurrence avec Joséphine. La présence importante des correspondances enrichit incontestablement la biographie.
Une société de cour
Dès lors, si on peut s’attacher à la sœur qui reste fidèle au souvenir de son frère alors que sa santé se détériore, si on la voit s’affairer lors des premières fièvres de son fils Dermide, on ne peut que constater combien dans le dispositif familial, elle est tout de même secondaire. Elle va de ville en ville, Eugène lui-même lui « volant la vedette »… Qu’importe. De même, les généraux, dont Franck Favier avait restitué avec notamment Marmont (toujours chez Perrin), l’importance dans la geste impériale, ont sans doute bien plus d’importance politique, stratégique et en termes d’économie politique même. Alors de quoi Pauline Borghèse est-elle représentative ? On voit au travers de ce personnage finalement peu représenté de son vivant apparaître la vie de cour, la restitution de ce pan de société d’Ancien Régime que la Révolution avait semblé balayer. La jeune fille corse est d’abord projetée dans la concurrence pour le contrôle de la République finissante ; elle est l’une des figures où l’on se retrouve pour briller durant le Consulat, par ses voyages et ses rencontres, ses correspondances, ses idées, ses goûts, c’est tout le processus – rapide – de re-construction d’une cour et des ses cérémoniels qu’on perçoit. Elle est une parfaite représentante de cette fusion entre anciennes et nouvelles familles, de réseaux nouveaux qui se tissent plus ou moins durablement selon le sort des armes, mais qui transcende parfois des césures héritées depuis des siècles… Pour le curieux de cette « brillante seconde » un peu odieuse avec Mme de Beauharnais, on aime suivre ses voyages de villes en villes, entre centre politique où elle brille sans décider et cités italiennes où elle « fait le spectacle », parfois sans le contrôler. Pour le plus érudit, on approche là un beau tableau de deux décennies d’une cour impériale aussi fulgurante que fascinante au regard des autres cours européennes.
De Baudus, Florence, Pauline Bonaparte, Princesse Borghèse, Paris, Perrin (« Biographie »), 2018 : 442 p. – 24 euros – ISBN : 978-2-262-06455-6
visuel : couverture du livre