Essais
« Un empire bon marché » de Denis Cogneau : La Corrèze avant le Zambèze

« Un empire bon marché » de Denis Cogneau : La Corrèze avant le Zambèze

05 April 2023 | PAR Julien Coquet

Allant à l’encontre des thèses de Jacques Marseille qui ont longtemps dominé les débats en histoire économique et social, Denis Cogneau revient sur l’histoire et l’économie politique de la colonisation française, de ses débuts à la « Françafrique ».

Dès l’introduction d’Un empire bon marché, Denis Cogneau, professeur à l’Ecole d’Economie de Paris, revient sur la particularité du livre. Longtemps, l’histoire économique et sociale a été délaissée, « trop historique pour les économistes, et trop économique pour les historiens », si bien que l’homme s’est retrouvé dans les mêmes difficultés que Thomas Piketty lorsque ce dernier a travaillé sur Une brève histoire de l’égalité. Au-delà de cette démarche particulière, Denis Cogneau a dû aller à l’encontre des travaux de Jacques Marseille qui décrivait dans Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce le poids financier des colonies sur le budget français. Sur plus de quinze ans, Denis Cogneau a travaillé sur les archives de l’empire afin de démêler le vrai du faux.

Abordant l’empire colonial français comme un empire colonial parmi d’autres (Cogneau réalisant parfois des comparaisons avec l’empire britannique), l’économiste couvre une large période, de 1830 (conquête de l’Algérie) jusqu’aux indépendances, et même au-delà, et un large territoire, de l’Afrique à l’Asie. Organisé de façon chronologique, Cogneau distingue trois grands moments : les débuts de l’Empire (de 1830 au début de la Première Guerre mondiale), pendant l’Empire (entre-deux-guerres et Seconde Guerre mondiale) et la fin de l’Empire et l’après. S’intéressant à plusieurs indicateurs économiques (la fiscalité, le recrutement militaire, les flux de capitaux et les inégalités), Denis Cogneau montre que la France s’est offerte un empire bon marché, loin du mythe du « fardeau de l’homme blanc » (R. Kipling).

Deux grands types de dépenses sont à noter : les dépenses militaires, qui permettent de conquérir, d’occuper et de pacifier une zone, et les dépenses dans les infrastructures (chemins de fer, bâtiments administratifs, écoles…). Si le premier type de dépense représente environ 80 % du coût budgétaire de l’Empire, les dépenses militaires ont finalement coûté moins de 1 % du PIB national entre 1833 et 1939. Bien entendu, alors que l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes circule et que les guerres d’indépendance se multiplient, les dépenses militaires augmentent, atteignant 2,5 % du PIB entre 1946 et 1962.

Pour ce qui est de l’autre type de dépense, « le fonctionnement des Etats coloniaux a été principalement financé par les impôts prélevés sur les autochtones colonisés, et sur les colons ou expatriés européens présents sur place. […] Les Etats coloniaux ont financé l’essentiel de leur action sur les ressources fiscales prélevées localement ». En parallèle, l’Empire français n’a pas été non plus l’affaire du siècle pour les industriels et commerçants français. Alors que beaucoup de réussites viennent en tête (plantations de Michelin en Indochine par exemple), énormément d’échecs ont eu également lieu. Les entrepreneurs français ne semblent pas s’être rués vers l’Empire, mais ont profité de la relative stabilité assurée par les troupes françaises et des infrastructures développées par l’Etat.

Un empire bon marché revient donc sur un moment de l’histoire de France loin d’être négligeable, et même important lorsque l’on souhaite comprendre les relations que la France noue aujourd’hui avec ses anciennes colonies. Et Denis Cogneau de conclure : « Si l’on veut dénicher des petites histoires positives, et quelques restes utiles, on en trouvera évidemment, mais la colonisation fut tout de même une très mauvaise idée ».

« Assez vite après la conquête, les Etats coloniaux qui se mettent en place se montrent capables d’extraire une ressource fiscale substantielle, que ce soit en comparaison des Etats qui les avaient précédés ou vis-à-vis d’Etats indépendants contemporains. Ils obtiennent ce résultat en recyclant les impôts préexistants, en ressuscitant la capitation, la corvée et les monopoles d’Ancien Régime, et en systématisant la collecte grâce à un ordre policier et fiscal particulièrement fort. »

Un empire bon marché. Histoire et économie politique de la colonisation française, XIXème – XXIème siècle, Denis COGNEAU, Seuil, Ecohistoires, 470 pages, 24,50 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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