Fictions
« Serge » de Yasmina Reza : Escapade à Auschwitz

« Serge » de Yasmina Reza : Escapade à Auschwitz

27 December 2022 | PAR Julien Coquet

La dramaturge ausculte une famille juive dysfonctionnelle où le frottement des egos de chacun crée des étincelles.

On connaît l’exercice du team building qui, en entreprise, sert à renforcer la confiance des équipes, à ressouder les collaborateurs. Les Popper eux, ont une drôle de façon de faire famille et de créer du lien, à la manière d’un team building. Joséphine, la nièce du narrateur, n’a pas pu participer au voyage scolaire à Auschwitz. Qu’importe, c’est son père, sa tante et son oncle qui l’accompagneront au camp de la mort. L’occasion pour la petite famille de se retrouver, et d’en savoir plus sur les grands-parents juifs hongrois morts en déportation.

Le milieu du roman se concentre justement sur la visite d’Auschwitz et les réactions de Serge, de sa fille Joséphine, du narrateur Jean et de Nana. Car toutes les émotions traversent les personnages, de l’horreur pure à l’indifférence douloureuse, tout ça « collés à des gens en tenu de semi-plage, débardeurs, baskets colorées, shorts, combi-shorts, robes florales ». Yasmina Reza parvient avec brio à dépeindre tout le tourisme qui s’est développé autour du camp de la mort, et égrène un à un les clichés, telle cette Japonaise qui se prend en selfie devant le camp sans savoir quel sourire afficher, ou encore Jean qui se questionne sur la pertinence du mot « indicible » pour parler de la Shoah.

Plus globalement, Serge se concentre sur la famille des Popper, famille juive où les excès sont quotidiens. Le petite frère, Jean, narrateur, se retrouve constamment à défendre son grand frère, Serge, personnage imbuvable qui vient de se séparer et de quitter son logement. Serge, que l’on pourrait vite définir comme « un raté », ne s’empêche pour autant pas de critiquer les autres, et notamment le mari de sa sœur Nana, qu’il considère comme assisté, et son neveu, qu’il trouve impoli (on a le droit à une scène hilarante où Serge reproche à son neveu de ne pas l’avoir assez remercié de lui avoir trouvé un stage précaire).

On sent quel malin plaisir Yasmina Reza prend à organiser un règlement de comptes, comme dans la plupart de ses pièces (« Art », Le Dieu du carnage…). La famille se présente comme le lieu dysfonctionnel par excellence, et Reza organise un jeu de massacre où chacun se dit ses quatre vérités (« Qu’est-ce qui est admirable dans ta vie ? Une vie à rechercher les ennuis. Tu as soixante ans, tu n’as plus de maison, tes affaires sont mauvaises, ton gérant t’arnaque… »). Sous ses dessous de comédie, Serge n’en reste pas moins un roman qui creuse l’être humain, et ce que veut dire « réussir sa vie ».

« Sur ordre de Carole, Serge allait aux spectacles de fin d’année de l’école de danse de Joséphine. Chaque année, il voyait sa fille boulotte et revêche effectuer sans grâce les gestes de la choré engoncée dans un justaucorps inadapté. Il sombrait ensuite dans la mélancolie. Les autres parents filmaient, applaudissaient et récupéraient leurs enfants dans un brouhaha de bonne humeur, lui attendait dans le fond courbé sur un tabouret, incapable de prononcer un mot gentil quand survenait la petite le visage plissé et inquiet. Il se sentait pour ainsi dire damné. »

Serge, Yasmine REZA, Editions Flammarion, Collection Folio, 256 pages, 7,80 €

Visuel : Couverture du livre

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