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Transparent : la série d’un genre nouveau

Transparent : la série d’un genre nouveau

14 February 2017 | PAR Joanna Wadel

Bel exemple de l’évolution du regard contemporain sur la question du genre, la série humaniste produite et diffusée par Amazon depuis 2014, s’emploie à mettre au premier plan la difficulté d’être soi, de se construire une identité au sein de communautés sexuelles, religieuses, et du cocon familial. Une thérapie pacifiste qui fait l’effet d’une bouffée d’air frais, donne l’envie de s’assumer et d’aimer la Terre entière.

Transparent, qu’est-ce que c’est ?

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L’histoire d’un “parent-trans” qui désamorce en douceur tous les stéréotypes dont raffolent esprits étroits et conservateurs. Un contre-Trump par essence. Créée par Jill Soloway, scénariste des décapantes Six Feet Under et United States of Tara, et portée par un casting progressiste, la dramédie récompensée de deux Golden Globes et pas moins de deux Emmy Awards en 2015, s’est imposée comme l’une des plus belles démonstrations artistiques d’altruisme de ces dernières années, en abordant la transsexualité comme une quête identitaire à relativiser. On en rit, on la questionne avec la plus grande liberté, et on extériorise ses malaises sans retenue face à des situations comiques car, découvrir son père en perruque, ou son mari en petite culotte pour la première fois n’a rien d’évident.

Quelques notes nostalgiques sur un piano, un générique délicat fait d’un patchwork de films de famille, Transparent faisait l’événement de la rentrée 2014, en proposant une première saison de dix épisodes qui présentait les aléas existentiels de la famille Pfefferman. Le père, sexagénaire de confession juive, un brin déphasé, et divorcé de longue date, du nom de Morton (Jeffrey Tambor), est en passe de révéler sa transsexualité à ses trois enfants adultes. Atypique par son thème, le show ne l’est pas moins par sa façon d’amener les choses dans un contexte qui se veut normal pour aborder avec maturité des questions controversées, encore très sensibles dans notre société normative. Sa plus grande réussite est de parvenir à explorer ces questions en dédramatisant la situation avec une légèreté surprenante et un humour décalé.

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Les personnages ne vivent pas la transsexualité comme un drame douloureux et irrémédiable, mais plutôt comme un choix curieux et incompris, donnant lieu, pour chacun, à un nouveau départ qui finit par les rapprocher. Il faut dire que la nouvelle est loin de bouleverser cette famille truffée de contradictions, à la structure déjà bien moderne qui a fait grandir les enfants loin de tout stéréotype préconçu. Transparent réunit ainsi plusieurs problématiques, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la transsexualité n’est pas le cœur de la série mais bien une dynamique qui permet de sonder d’autres réalités, toutes aussi complexes.

Des personnages qui n’entrent dans aucune case

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Réacs s’abstenir ! Transparent annonce tout de suite la couleur : le but n’est pas de faire dans le glamour respectable, mais bien de parler de vrais gens, de la vraie vie, et des invisibles de la société occidentale en toute transparence. Avec simplicité et beaucoup de tendresse, Jill Soloway développe ses personnages authentiques, qui pour beaucoup, sont aux antipodes des canons de beauté Hollywoodiens – et ça fait du bien. Ils affichent des morphologies et des âges multiples, des corps réalistes avec de beaux visages, de belles rides et des mines chaleureuses. Tout ce petit monde s’encourage, se cherche. Chacun tente de trouver son équilibre moral et social en explorant de nouvelles sexualités, et en s’investissant dans des relations atypiques.

Là où Transparent innove, c’est en réussissant à parler d’amour avec un grand A, faisant discrètement tomber les cloisons des statuts qui régissent les rapports classiques entre parents et enfants, ou frères et sœurs. Le show relativise les relations humaines pour parler non plus seulement de femmes, d’hommes, de pères ou de mères, mais bien d’individus qui optent pour des choix de vie variables, ce qui est encore inédit. Les personnalités sont complexes, fouillées, et recèlent d’ambivalences : ce n’est pas parce qu’on est une femme que l’on est féminine, ou qu’on est en couple avec une femme, que l’on correspond forcément à la définition de la “parfaite lesbienne”, la transsexualité n’induit pas non plus l’homosexualité, ou le changement littéral de sexe… Tout est une question de choix, et les possibilités sont multiples. La série joue d’ailleurs ouvertement avec les codes du genre en présentant un panel de personnages au physique androgyne, des portraits de « garçons-manqués » comme la cadette, Ali (Gaby Hoffmann), qui se définit comme une « lesbienne politique » accro aux conquêtes masculines, ou encore d’hommes féminisés, voire transformés en femmes. Au fil des épisodes, le genre et son importance pour la sexualité, les relations sociales et la spiritualité, fait l’objet de nombreux débats, notamment dans la fratrie Pfefferman, dont certains acceptent la décision de leur père sans pour autant la comprendre. La question du genre comme repère social, perçu davantage comme un marqueur identitaire pour donner un sens à une relation amicale, familiale ou amoureuse, est donc centrale dans ce show où tous les protagonistes sont décrits comme uniques et méritent d’être considérés pour ce qu’ils sont.

Le genre et les communautés LGBT aux États-Unis

L’autre intérêt de Transparent, c’est de révéler la face d’une réalité méconnue : la condition des homosexuels, travestis et transsexuels aux USA. Des inclassables qui dérangent, mais se fondent aussi singulièrement dans le paysage hétérogène américain. Là encore, la réalisatrice évite tout amalgame, et propose une vision nuancée de la réalité, plutôt optimiste. Quand Morton fait ses premiers pas en Maura, il est peu sûr de lui, jette des regards inquiets, hésite à aborder les autres de peur d’être rejeté. Mais on constate bien vite que ça ne lui arrive que rarement, il se fait même appeler « mademoiselle » dans des lieux publics. Progressivement, il va donc apprendre à s’afficher tel qu’il est et se fondre dans la foule. Un cheminement qui aboutit à ce qu’il devient ensuite. Il est aussi question du quotidien des transgenres et des structures associatives que ceux-ci mettent en place pour prendre en charge leur communauté, constituée d’individus souvent rejetés et fragilisés. Morton participe au groupe de parole pour les transsexuels dans le centre consacré aux LGBT de Los Angeles, des séances de yoga y sont organisées. La série prend en compte les différentes facettes de cette réalité qu’elle mêle habilement à sa fiction pour un résultat d’une vraisemblance documentaire et d’une qualité remarquable.

Des expériences similaires

Cette production à la thématique peu commune, abordée de front avec un vocabulaire direct et des scènes très crues, ne pouvait être portée que par une distribution de comédiens ouverts d’esprit au jeu désinhibé. Jill Soloway a elle-même vécu une expérience semblable lorsque son père lui a avoué sa transsexualité. Un événement survenu récemment, qui lui a inspiré Transparent. L’acteur phare de la série, Jeffrey Tambor, confiait lors d’une interview en juin 2016 être très heureux d’incarner un rôle aussi beau que celui de Maura, ce dernier ayant une opinion tranchée sur la question du genre : «  Pour moi, se définir par son genre, mâle ou femelle, ce n’est pas une idée que je partage. Ce ne sont que des parties du corps. Il y a tout en nous. » a-t-il alors déclaré. Une vision qui s’accorde à la perfection avec celle que propose et discute la série.

Visuels : © Transparent – © Amazon Video

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