“La Miséricorde de la jungle” – une plongée dans les guerres rwandaises
Cinq ans après Le Pardon, Joël Karekezi revient sur le génocide rwandais, dans un film primé au festival FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Petit retour sur un dangereux périple entre deux frontières.
Deux soldats en déroute
C’est a priori une jungle qui est tout sauf miséricordieuse : entre Congo et Rwanda, elle a la réputation d’être l’une des jungles les plus meurtrières de la planète. Mais, après avoir perdu leur bataillon, Faustin et Xavier, soldats de l’armée rwandaise, n’ont à deux, face à un ennemi plus nombreux, plus aucune chance. Il ne leur reste donc plus qu’à s’enfoncer dans la jungle, en priant pour y survivre. Elle, au moins, ne tue pas à chaque fois.
C’est en 1998, dans la vallée du Kivu, que se situe l’action. Le génocide qui a tant marqué – mais un peu tard – les Européens est vieux de quatre ans, et les vengeances et représailles ne font que se succéder. Vétéran de la première guerre rwandaise, Xavier – incarné par Marc Zinga – apparaît aux yeux du jeune Faustin comme un héros, un “patriote”. Il est vrai qu’il est rompu à l’usage des armes comme aux courses rapides en territoire hostile.
Faustin, de son côté, est un paysan. Il ne sait pas se battre et, malgré son jeune âge, court plus difficilement que Xavier. “Tu parles d’un soldat!”, grommelle son aîné. Mais l’incursion dans la jungle va, rapidement, inverser les rôles : de fardeau qu’il était, Faustin devient, grâce à ses connaissances de braconnier, le pourvoyeur de lapins. Habileté salvatrice dans un territoire hostile, qui vaut au nouvel héros une promotion : “Général Faustin”, l’appelle désormais Xavier.
Un retour subtile sur le génocide rwandais
Cependant, la jungle leur réserve d’autres pièges que la faim : la froid, d’abord, qui contraint Faustin – joué par Stéphane Bak – à boire sa propre urine ; le froid, aussi, inattendu. Mais aussi le passé. En proie à une forte fièvre, Xavier, nouveau Richard III, voit dans son délire les fantômes de ses victimes, assassinées et torturées dans cette même jungle. Plus que la fièvre elle-même, c’est cette faute originelle qui semble devoir un temps mettre en péril les deux soldats. Elle est surtout l’occasion pour le réalisateur de revenir sur le génocide de façon subtile, sans complaisance pour les images de massacre.
C’est en effet l’une des qualités premières de ce film : restituer les massacres et les guerres sans fin sans se complaire dans l’horreur ou le voyeurisme, montrer les enjeux économiques de ces conflits sans long discours didactique, et surtout, appeler à la paix sans mièvrerie. Un film qui ouvre des pistes de réflexion et interroge son spectateur sans jamais rien asséner.
Photo (c) Urban Distribution