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Étrange Festival 2022 : cinéma bizarre historiquement rare et réflexions pour aujourd’hui

Étrange Festival 2022 : cinéma bizarre historiquement rare et réflexions pour aujourd’hui

12 September 2022 | PAR Geoffrey Nabavian

L’édition 2022 du passionnant Festival donne à vivre ses cartes blanches offertes à des invités et ses rétrospectives de raretés, jusqu’au 18 septembre à Paris. Avec pour objectif d’ouvrir des portes sur des univers hors-normes, d’hier et d’aujourd’hui.

Chaque rentrée de septembre à Paris est en réalité un moment où le réel peut être presque totalement oublié. Les projections programmées dans le cadre de l’Etrange Festival, toujours au rendez-vous, offrent de telles occasions de se dépayser, dans les salles du Forum des images.

En 2022, le passionnant événement, qui se tient jusqu’au dimanche 18 septembre, propose notamment comme à l’habitude sa Compétition pour le Grand Prix Nouveau genre : douze longs-métrages se disputent cette fois cette couronne. Avec notamment parmi eux Sick of myself. On garde en tête d’éblouissants souvenirs de cette section lors de précédentes éditions : en 2017, notamment, y fut projeté le magnifique Kuso, tandis que son programme en 2021 offrit notamment aux spectateurs de découvrir Tin Can.

Ovidie, son intelligence et ses réflexions

Le Festival vaut aussi grandement, édition après édition, pour ses invités. Parmi ces derniers et dernières en 2022, on compte notamment Ovidie. Au sein de la Carte blanche qui lui était offerte, elle a choisi de s’interroger, et d’inviter à l’interrogation, sur un sujet comme elle sait les trouver : le lien entre personnes neuroatypiques et musique rock punk. Une réflexion menée donc sur toute une soirée, avec d’abord la projection du documentaire musical nordique The Punk Syndrome, datant de 2012. Un film suivant Pertti Kurikan Nimipäivät, groupe de rock punk finlandais, composé de quatre hommes avec des troubles mentaux.

Quatre personnalités assez attachantes, au final, suivies entre vie quotidienne et concerts donnés. Si l’on a pu trouver la forme de ce long-métrage documentaire pas totalement assez fouillée, car un peu déliée côté propos et plate niveau réalisation et montage, le film parvient cependant à transmettre quelque chose de son sujet. A savoir l’utilisation que les protagonistes suivis parviennent à faire de la musique punk pour se raconter, avant de s’extérioriser. Après la projection, un mini-concert du groupe musical Astéréotypie, formation rock mêlant autistes interprètes musicaux, et autres musiciens, a pu se donner. L’occasion de découvrir l’énergie très convaincante des textes scandés par ce groupe, bientôt à retrouver dans le documentaire L’Energie positive des dieux, en salles le 14 septembre. Parmi les autres invités conviés en 2022 au sein de l’Etrange Festival se distinguent notamment Dominik Moll ou la musicienne Cosey Fanni Tutti.

L’art rare de Steven Arnold

Toute programmation de l’Etrange Festival satisfait toujours les curiosités avides de raretés ouvrant des fenêtres sur des univers très à part. Cette année, quelques Pépites de l’étrange projetées ont pu un peu nous laisser sur notre faim. Happening, de Marc Boureau, tourné en 1968 et saisi alors par Yvonne de Gaulle, s’est révélé un peu répétitif au long de son heure trente : sa fête bourgeoise dégénérant en une suite de mises en scènes provocatrices a semblé un peu tourner à vide. De même, Couleur chair, dernier film de la carrière de réalisateur de François Weyergans, tourné en 1978 et juste montré dans deux festivals, est apparu comme une suite d’essais davantage que comme une œuvre totalement achevée.

C’est la projection des travaux de Steven Arnold qui a en revanche pas mal fasciné. Entre esthétique homosexuelle, croyances bouddhistes et imagerie liée aux drogues, l’œuvre de celui qui, dans les années 80, passa des films aux tableaux vivants, a su transporter. Si son court Various incantations of a Tibetan seamstress apparaît trop compliqué et délié, trop riche en surimpressions, son long-métrage d’une heure quinze environ, Luminous procuress, convainc davantage.

Réalisé en 1971, en couleurs, mais doté d’une bande-son avec dialogues inaudibles, il fut grandement remarqué par Andy Warhol et Salvador Dali. On y suit deux hommes entrant dans une maison en bordure de ville, trouvant une femme curieuse à l’intérieur, montant avec elle à l’étage, y découvrant une jungle… D’autres visions très curieuses suivront. Dans ce long-métrage, certaines séquences perdent en rythme à force de trop durer. Mais l’univers peint reste fort, et habité par de l’humain, pas bêtement provocateur. On sent davantage la volonté du réalisateur d’observer son monde, plutôt que de choquer ou d’épater à tout prix.

Parmi les travaux montrés figurait aussi le court de quinze minutes The liberation of the mannique mechanique, à l’esthétique très inscrite dans son époque (1967) mais aux tentatives stimulantes. Ses visages maquillés à la façon d’entités “divines” surgissant à l’image de manière très frontale, avec en fond de la musique un peu inquiétante aux instruments à cordes, s’avéraient curieux et marquants. Un travail annonçant le vrai plat de résistance du programme : le très brillant court-métrage Messages, messages, film de fin d’études d’Arnold fait au San Francisco Art Institute, en 1968. Film muet en noir et blanc, en appelant énormément au rêve, forcément.

On y voit un personnage assez terrifié fuir une sorte de double maléfique qu’il a aperçu, et qui s’est lancé derrière lui. Un court-métrage impressionnant de par son rythme, et son intelligence de conception : prenant pour fondement de départ une situation fantastique parfaitement compréhensible, il se plaît à broder sur elle, au fil de séquences s’en remettant à des procédés divers. Des scènes rythmées, paraissant conçues avec une précision maniaque.

A la vision de ce court, on se dit que Steven Arnold a sans doute tiré certains de ses motifs d’œuvres comme Le Cabinet du Docteur Caligari, film de 1920 et classique de l’expressionnisme. Cependant, il a su parfaitement s’élever au-delà d’eux et en tirer une substance qu’il a su faire sienne, à la différence notamment de réalisateur comme Guy Maddin, peut-on trouver. En 2022, l’Etrange Festival offre de tels programmes rétrospectifs également au philippin Mike de Leon, au japonais Masahiro Shinoda, à Victoria Abril via quatre de ses rôles ou au dessinateur Alberto Vazquez, signataire de Psiconautas, dont le nouveau long-métrage d’animation Unicorn Wars sera aussi projeté en avant-première le vendredi 16 septembre à 19h30.

L’édition 2022 de l’Etrange Festival se poursuit jusqu’au dimanche 18 septembre, à Paris, dans les salles de projection du Forum des images. Infos et réservations : https://bit.ly/3B6IMc0

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Visuels : affiche de The Punk Syndrome / affiche réalisée pour Luminous procuress

 

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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