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[Compétition] : Kreuzweg, une plongée dans les abus du catholicisme traditionnel en 14 tableaux par Dietrich Brüggemann

[Compétition] : Kreuzweg, une plongée dans les abus du catholicisme traditionnel en 14 tableaux par Dietrich Brüggemann

09 February 2014 | PAR Yaël Hirsch

Le réalisateur allemand de Cours si tu peux suit la dernière semaine d’une jeune-fille de 14 ans élevée dans les milieux ultra-traditionnels, avant sa confirmation. Un calvaire à la fois archaïque et très contemporain, qui suit en quatorze tableaux une passion destructrice. Un grand film qui pourrait bien valoir à la jeune Lea van Acken un ours.

[rating=5]

Tout commence par un plan fixe d’un classicisme parfait autour d’une table où un jeune prêtre fougueux (l’on retrouve dans ce rôle Florian Stetter, le romantique Schiller de die geliebten Schwestern) apprend à ses ouailles sur le point de passer leur confirmation qu’être un bon chrétien, c’est être un “soldat de Jésus” et de refuser facebook, les magazines pour ados et surtout la musique du diable, c’est-à-dire toute la musique non sacrée. Décidé à conserver la “vraie” tradition catholique bradée à ses yeux après Vatican III, le jeune prêtre est d’autant plus effrayant qu’il encourage plutôt la jeune Maria, restée après le banquet, à se sacrifier pour son petit frère de quatre ans, malade et muet. La suite des tableaux reprend le principe minimal du plan fixe (quasiment systématique) pour présenter les étapes de culpabilité et de châtiment qui mènent la jeune Maria à sa tombe, sur le modèle de la passion du Christ. Dans le rôle de Judas une mère tellement sûre qu’il n’y a qu’un seul “vrai” chemin vers Dieu qu’elle en est effrayante (Franziska Weisz), dans celui de Ponce-Plate, un père absent, et dans celui de Marie-Madeleine, un sympathique garçon qui chante dans la chorale d’une paroisse moins rigide que celle de Maria (ils chantent de la soul et des spirituals, damnation!) et qui la met en porte à faux avec sa mère à laquelle elle ment… Péché capital dont la jeune fille, molestée par ses camarades de classe pour sa foi exprimée à voix haute, ne se remettra pas. Anorexie, recherche de froid et de la maladie, tout est bon pour “expier” le péché dans l’attitude de cette adolescente perdue et terrorisée par le démon et l’enfer comme devaient l’être certains européens au milieu du Moyen-âge…

Choisissant un sujet très délicat, Dietrich Brüggemann parvient à le mettre en scène avec la simplicité et la force d’un vitrail d’Eglise. Si la double violence de la religion fondamentaliste et sa critique résonne dans les monologues souvent très bavards du prêtre et de la mère, imposés avec une fixité absolument insoutenable, le minimalisme du film, sa photo de tableau ancien et le jeu exceptionnel de chacun des acteurs transmue ce plaidoyer anti-obscurantiste en très grand film. A ce titre, même si la question posée semble unique : Y’a-t-il un seul idéal qui justifie le sacrifice d’un seul enfant?, la sobriété de la scène de l’enterrement et le dernier plan sur un ciel bas et nuageux laissent tout de même la place à mille et une variations très personnelles de réponse à cette grande question. Kreuzweg est un film à la fois éprouvant et important et c’est un petit bijou visuel qu’on voit mal ressortir bredouille de la compéition de cette 64ème Berlnale.

Chemins de Croix (Kreuzweg) de Dietrich Brüggemann, avec Lea van Acken, Franziska Weisz, Florian Stetter, Allemagne, 2013, 107 min. En compétition.

visuel : photo officielle du film.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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