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Elsa Charbit, directrice artistique d’Entrevues, nous parle de l’édition 2019

Elsa Charbit, directrice artistique d’Entrevues, nous parle de l’édition 2019

14 November 2019 | PAR Yaël Hirsch

Du 18 au 25 novembre 2019, la 34e édition d’Entrevues arrive à Belfort avec une compétition de 12 longs et 13 courts internationaux, des cycles passionnants et des invités prestigieux dont Abel Ferrara, Pierre Salvadori et ses proches ou Alain Fleischer. Après Lili Hinstin, c’est Elsa Charbit qui assure la direction artistique de ce grand évènement cinéphile et d’ouverture du cinéma au public. Elle nous parle de sa programmation, à quelques jours de l’ouverture.

Connaissez-vous Entrevues depuis longtemps ? Parlez-nous de votre parcours et de ce qui vous plaît le plus dans ce festival ?
Avant Entrevues, j’étais directrice artistique du festival de cinéma de Brive, dédié au moyen-métrage, et encore auparavant, j’étais à la Cinémathèque où j’ai travaillé pendant dix ans comme adjointe du directeur de l’action culturelle Benoit Benoliel, qui avait assuré la direction artistique d’Entrevues au début des années 2000. C’est par lui que j’ai beaucoup entendu parler du festival. Par ailleurs, il y a toujours eu un lien fort entre Entrevues et la Cinémathèque, depuis le temps de la fondatrice, Jeanine Bazin. Puis, j’ai découvert le festival comme spectatrice ces deux dernières éditions. Et pour la toute première année je suis directrice artistique.

Il y a deux choses que je trouve formidables à Entrevues : d’abord qu’il s’agisse de premières œuvres : c’est le moment de l’affirmation d’une écriture où l’on repère des nouveaux auteurs, où on les accompagne dans ce moment difficile de la réalisation d’un tout premier long- métrage, ce qui relève parfois du domaine de l’exploit. Après, on les attend au tournant pour la deuxième œuvre. Et nous sommes là pour défendre la création et les auteurs… En tant que programmatrice, ce qui me semble le plus important et le plus beau et ce que j’ai fait, dans une certaine et moindre mesure autour des moyens-métrages à Brive, c’est d’être présent(e) aux débuts.

L’autre aspect que je trouve très passionnant, c’est à la fois de regarder et soutenir le cinéma contemporain par une compétition et d’avoir une vision sur l’histoire du cinéma à travers des rétrospectives. C’est la ligne d’Entrevues depuis Jeanine Bazin et c’est son ADN : redécouvrir l’histoire du cinéma et découvrir ceux qui vont continuer de l’écrire. Voir cohabiter les deux, comme cinéphile, c’est un cadeau.

Quels cinéastes avez-vous vu « naître » à Brive ?
D’une façon générale, le festival était un peu, comme Entrevues, une pépinière, où l’on assiste au passage du cours au long. C’est là qu’on a découvert le cinéma de plusieurs réalisateurs français : Arthur Harari, Justine Triet, Bertrand Mandico, Guillaume Braque, Mati Diop, puis lorsque le festival s’est ouvert de plus en plus à l’International : Claude Schmitz ou Emmanuel Marre. Aujourd’hui, il y a plusieurs cinéastes repérés à Brive qui entament leur premier long-métrage.

Quels sont les changements prévus pour votre première édition ?
Il y aura quelques petits changements de grille, avec un festival qui se resserre un peu et ne court plus du samedi au samedi mais du lundi au dimanche. Il s’agit de permettre à ceux qui n’habitent pas à Belfort de venir tout un week-end en prévoyant une semaine de festival qui monte en puissance et qui dure jusqu’au dimanche en fin de journée et qui culmine avec la délibération du jury. Nous avons aussi voulu faire respirer cette grille, pour que cela soit moins la course, pour le public et aussi pour ceux qui travaillent pour le festival. Nous avons voulu rendre les choses plus douces et ménager des espaces de discussion plus longs après les films. Dans la même logique, pour ne pas trop porter préjudice aux œuvres, on ne programme plus ensemble les longs et les courts-métrages, pour ne plus proposer de séances fleuves. Les longs seront diffusés seuls et pour les courts, nous avons constitué des programmes qui s’efforcent (sauf un cas de quatre très courts) de ne pas dépasser trois films pour éviter l’écueil de la compilation.

Vous ouvrez le festival avec une comédie restaurée de Pierre Salvadori, vous pouvez nous parler de son cinéma ?
Pierre Salvadori est l’invité de « La Fabrica », une série initiée par Lili Hinstin et que je trouve passionnante. Le principe est de rendre hommage à un auteur vivant en l’invitant avec ses collaborateurs pour mettre en avant tous les corps de métiers autour de lui. Pierre Salvadori a une place à part dans le cinéma français ; il est un auteur de comédies brillantes très sophistiquées, qui proposent une dentelle d’écriture, d’intelligence et un humour en demi-teinte qui est capable d’aller du burlesque à des situations extrêmement mélancoliques. On est toujours pris entre deux feux dans son cinéma. Et puis il y a cette façon de dire des choses très profondes et graves sur le vertige de nos existences. Il parle de nos contradictions, de l’ambivalence de la bonté, de la cruauté des victimes… Il inverse le sens habituel de la morale pour faire réfléchir. Son cinéma est humain et généreux, il manie l’art de l’ellipse. C’est aussi un grand cinéma de direction d’acteurs : Daniel Auteuil dans Après vous ou Gustave Kervern dans Dans la cour y sont dans leurs plus beaux rôles. Le cinéma de Pierre Salvadori est très raffiné et en même temps, il est généreux pour le public, c’est un cinéma d’auteur très ouvert qui ne laisse personne dehors. Et quand il présente un film, il parle extrêmement bien de son métier, c’est précis et passionnant. Il y aura plusieurs moments de rencontres avec lui : aux côtés de Gustave Kervern après la projection de Dans la cour et une autre avec Philippe Martin qui a produit tous ses films et l’un de ses co-scénaristes, Benoit Graffin, avec qui il a écrit quatre films.

Il y aura aussi plusieurs rencontres dans le cadre du cycle « Chasse à l’homme »…
Nous aurons la chance d’avoir à Belfort Abel Ferrara qui présentera Ms 45 l’ange de la vengeance en français ; il s’agit d’un « revenge movie » et d’une chasse à l’homme féministe. Il présentera également son tout dernier film Tommaso avec William Defoe qui sort le 8 janvier prochain. Jean-Luc Bideau parlera de La traque (1975) de Serge Leroy. Enfinn Peter Fleischmann viendra présenter son mythique Scènes de chasse en Bavière (1969).

Et plusieurs films de la compétition comme Abou Leila (lire notre article) entreront en résonance avec ce cycle…
C’est exactement cela, typiquement Abou Leila est un premier film très impressionnant qu’on prend en compétition. Mais c’est aussi une chasse à l’homme, exactement dans l’optique dans laquelle on fait cette rétrospective avec ce motif du mouvement qui a irrigué le film noir, mais aussi cet angle politique. Nous nous demandons ce que la traque nous révèle de la société… Abou Leila est vraiment une parabole sur la question de l’histoire algérienne, du refoulé de la guerre et d’une société prise dans la peur et la paranoïa. Cette traque raconte un pan entier d’une histoire nationale. Elle aurait pu aussi avoir sa place également dans le Panorama du cinéma algérien de cette édition ….

Justement parlez-nous de ce Panorama …
Cette année le panorama est sur l’Algérie : Ce focus que j’ai envie de faire depuis longtemps est évidemment lié aussi aux événements à Alger qui rendent nécessaire de s’intéresser de beaucoup plus près aux forces vives du pays. Plusieurs cinéastes algériens viennent à Belfort, présenter leurs films mais aussi participer dimanche 24 novembre à une table-ronde sur la manière dont ils filment l’Algérie aujourd’hui. Il y aura Dania Reymond, Hassen Ferhani avec son dernier documentaire 143 rue du désert, qui avait été primé à Belfort pour Dans ma tête un rond-point, Djamel Kerkar, Narimane Mari ou Karim Moussaoui…

Il y aussi un cycle sur la chute du mur, selon quel angle ?
C’est une section cinéma-histoire qui existe depuis longtemps à Belfort où les films sont présentés notamment par des historiens et ouvrent sur des débats. A l’occasion des 30 ans de sa chute, nous avons eu envie de proposer un retour sur le cinéma de derrière ce mur en 5 films de fiction et 1 documentaire. Toute une production passionnante a eu lieu en RDA et est extrêmement méconnue. Le cinéma était organisé avec une société d’Etat, qui a produit des milliers de films, de tous genres. La production était concentrée, il y avait beaucoup de films idéologiques mais comme toujours quand il y a de la contrainte, il y a eu des artistes courageux qui ont utilisé et dépassé cette contrainte. Notre cycle va de l’immédiat après-guerre dans les ruines du Berlin de 1945 où l’on commence avec Les assassins sont parmi nous, premier film produit dans ces conditions, et va jusqu’à des films qui étaient tournés au moment de la chute du mur. Si vous me demandez quel est mon film chouchou cette cette section, je vous parlerai de Solo Sunny de Konrad Wolf, un film de 1979, qui suit une jeune femme qui rêve de devenir chanteuse de variété….

Pouvez-vous nous parler du cycle « Cléo, le temps de vivre »
Cleo de 5 à 7 (1962) est un film qui m’a beaucoup marquée, comme la plupart des spectateurs qui ont eu la chance de le voir, c’est une grande émotion visuelle, c’est aussi un portrait de femme important. Le film est au programme du bac cette année et selon la tradition, Entrevues accompagne les lycéens, tout en rendant hommage à une grande cinéaste qui vient de nous quitter. La question que nous nous sommes posée est celle de l’angle : fallait-il passer par le portrait de femme ? La guerre d’Algérie ? La collusion entre le réel et la fiction ? Finalement, nous avons décidé de proposer une constellation de films contemporains, du tout début des années 1960 et de parler de l’air qu’on respire au moment où Agnès Varda avec des monuments comme Vivre sa vie de Jean-Luc Godard (qui est l’affiche du Festival Entrevues cette année) et Le Joli Mai de Chris Marker mais aussi des films un peu moins connus, de Guy Gilles par exemple. Ils peuvent ainsi retrouver des thématiques communes très fortes et les aspirations d’une nouvelle génération qui interroge la place des femmes ou l’ombre de la guerre.

Quelles sont les avant-premières attendues ?
On pourra voir les nouveaux films de Damien Manivel ou Cristian Porumboiu, un magnifique documentaire de Sébastien Lifschitz qui suit deux sœurs à travers le temps et en clôture, le film de Stéphane Demoustier en présence aussi de sa sœur : La fille au bracelet.

Où et comment écoutera-t-on de la musique à Entrevues ?
Comme chaque année le Prix One + One en partenariat avec les eurockéennes récompensera la musique d’un film. Les jeunes du jury auront cette année pour parrain Dr Schonberg de Zombie Zombie qui sera aussi présent pour une masterclass sur la question de la composition de musique pour le cinéma. Un bœuf suivra la discussion. Il y aura également un ciné-concert avec le pianiste Thierry Maillard dimanche après-midi sur Sherlock jr de Buster Keaton et deux afters à la Poudrière avec entre autres les DJs Mars Attacks, Rachid Bowie et DJ Micka. Nous avons aussi organisé des afters dans plusieurs bars de Belfort avec des petits sets plus resserrés pour des moments conviviaux.

Visuel : affiche du Festival

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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