A l'affiche
“Deux”, un film d’amour bouleversant servis par deux immenses actrices

“Deux”, un film d’amour bouleversant servis par deux immenses actrices

12 February 2020 | PAR Bénédicte Gattère

Nous avons eu la chance de découvrir “Deux” à l’occasion de nombreux festivals de cinéma qui ont souhaité mettre en avant ce film précieux. Après “Amour” de Haneke en 2012, nous avons ici l’histoire de deux femmes âgées, éprises l’une de l’autre depuis des années : sujet peu abordé dans le 7ème art s’il en est ! 

Récompensé au festival d’Angers Premiers Plans, présenté au festival Cinemed cet automne à Montpellier, film de clôture de la dernière édition du festival Chéries-Chéris, ce premier long métrage du tout jeune et sympathique Filippo Meneghetti a de quoi enthousiasmer. Deux, audacieux de par la thématique abordée, est aussi, et surtout, un film bourré de qualités. Construction du scénario, – haletant –, justesse du jeu des acteurs, finesse du traitement des situations dans lesquelles les personnages sont plongés… Deux traduit leurs émotions de bout en bout, sans jamais les trahir. On sent que Meneghetti, réalisateur et scénariste du film, laisse véritablement s’épanouir les deux grandes actrices qu’il a choisies comme personnages principaux. Il s’agit, excusez du peu, de Martine Chevallier, sociétaire de la Comédie-française et de Barbara Sukowa, ancienne égérie de Fassbinder. Elles composent un tandem auquel le spectateur s’attache immédiatement et dont il croit à l’histoire d’amour de bout en bout. Pour Meneghetti, il s’agit d’un premier film qui a tout d’une grande réussite cinématographique.

Avec Deux, on ne peut s’empêcher de penser au film Amour de Haneke qui abordait de front la question de l’amour et de la vieillesse. Encensé et récompensé du César du meilleur film en 2013, il offrait un tableau de l’amour au troisième âge tout simplement glaçant. En effet, le seul geste spontané d’affection entre les deux protagonistes du couple (joués par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva) arrive au bout d’un peu plus d’1 heure et 20 minutes… pour être suivi dix minutes plus tard d’un acte d’une grande violence, — oserait-on dire, misogyne ; jusqu’à la fin que nous ne dévoilerons pas ici pour celles et ceux qui n’auraient pas encore vu le film mais qui demeure extrêmement discutable. Chaque phrase, dans ce long métrage, respirait, si ce n’est la lassitude de vivre, du moins la lassitude de l’autre. Les dialogues, s’ils ne sonnaient pas creux, ou faux, étaient plein de l’agressivité larvée que l’on retrouve chez certains couples qui ne s’aiment plus mais se supportent par habitude. Amour s’apparentait ainsi plus au portrait relativement affligeant d’une certaine bourgeoisie parisienne vieillissante qu’à autre chose, mais pas vraiment à une histoire d’amour à laquelle le spectateur avait envie de s’identifier.

Deux s’en distingue nettement sur ce point bien qu’il comporte d’importantes similitudes avec le film de Michael Haneke : huis clos dans l’appartement, thème de la maladie avec la question de la prise en charge lorsqu’il s’agit d’une personne âgée, de l’implication des enfants, des soins à exécuter à domicile… Si Amour se confondait avec le drame bourgeois morbide, Deux réussit le tour de force d’être, tout à son opposé, un hymne à l’amour et à la vie malgré la gravité du sujet qui demeure. Si Nina rencontre de nombreux obstacles pour parvenir à être auprès de Madeleine qu’elle aime depuis toujours – à l’insu de tous, et surtout de son fils et de sa fille, jouée par la parfaite Léa Drucker –, on est emportés derrière l’écran par sa force de caractère et la justesse de son combat. Nina, qui est restée en relativement bonne santé mais souffre du manque d’argent, se heurte sans cesse à la petitesse du monde dérouté “face à un si grand amour” et encore plus au déni de l’existence même de leur histoire (en tant que femmes, et femmes âgées qui plus est). Sans dévoiler l’intrigue, elle multiplie les moments où elle se retrouve dans des situations parfaitement accablantes, où tout espoir semble perdu. Pourtant, tout comme la petite chanson italienne qui est celle sur laquelle Nina et Madeleine ont dansé la première fois ensemble, la magie de la rencontre resurgira toujours, intacte. C’est un amour, pour le coup, auquel on croit de toutes ses forces, cramponné que l’on est à son siège, à renifler discrètement dans une salle obscure.

La scène de colère face au silence et au mépris des enfants, lorsque Nina et Madeleine se retrouvent séparées, bouleverse. Moment d’affranchissement face à l’absurdité des conventions sociales, il est libérateur. Il indique au spectateur que Nina ne se résignera pas. Envers et contre tout, elle se battra pour la dignité de celle qu’elle aime. À la fin, cette dernière choisit, pour une dernière danse, de claquer la porte à ceux et celle qui l’empêcherait encore de vivre. Malgré le silence dans lequel elle semblait être murée un moment après l’accident, elle parvient toujours à se faire comprendre de Nina, qui la connaît et sait vraiment l’écouter. Cette séquence finale, émouvante et magistrale, est l’affirmation fulgurante d’un esprit libre, qui malgré les ans, ne se soumet pas aux conventions sociales. Et même, Madeleine trouve justement dans la dernière partie de son existence, le courage de s’affirmer telle qu’elle est, sans obéir à une autre loi qu’à son désir, enfin en paix avec lui.

Fiche technique :

  • Réalisateur : Filippo Meneghetti
  • Avec Martine Chevallier, Barbara Sukowa, Léa Drucker
  • Scénario : Filippo Meneghetti et Malysone Bovorasmy
  • Image : Aurélien Marra
  • Montage : Ronan Tronchot
  • Distribution : Sophie Dulac Distribution

Sortie en salles le 12 février 2020.

Visuel : © Toronto Film Festival

À Hambourg, le Falstaff simplement humain de Maestri soumis à la cruauté des hommes (et des femmes).
Camille Laurens et Pascal Bruckner, nouveaux venus à la table des Goncourt
Bénédicte Gattère
Étudiante en histoire de l'art et en études de genre, j'ai pu rencontrer l'équipe de Toute la culture à la faveur d'un stage. L'esprit d'ouverture et la transdisciplinarité revendiquée de la ligne éditoriale ont fait que depuis, j'ai continué à écrire avec joie et enthousiasme dans les domaines variés de la danse, de la performance, du théâtre (des arts vivants en général) et des arts visuels (expositions ...) aussi bien que dans celui de la musique classique (musique baroque en particulier), bref tout ce qui me passionne !

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration