Cinema
Soleil, couleurs et destins de femmes à l’avant-dernier jour de Cinemed

Soleil, couleurs et destins de femmes à l’avant-dernier jour de Cinemed

26 October 2019 | PAR Yaël Hirsch

Comme chaque année, Toute La Culture fait avec bonheur une cure de cinéma méditerranéen à Montpellier. C’est sous un soleil quasiment estival et sans encombres ferroviaires que nous avons pu rejoindre le Corum et la formidable équipe de Cinemed pour une journée de cinéma riche, dur et où les femmes sont souvent au centre. Live-Report. 

La journée a commencé au Corum, en salle Pasteur et en Serbie pour un film de la compétition : Stiches de Miroslav Terzi?. Dix-huit ans après la guerre, Ana (superbe Snezana Bogdanovic, aux faux airs de Charlotte Rampling) rouvre les plaies du passé autour de la disparition de son bébé qui a été volé. Filmé de manière classique, Stiches sait jouer des lumières froides, des jeux de cadre, d’un rythme lent et de l’art du portrait pour figurer l’inimaginable. 

Le film suivant était aussi en compétition, réalisé par le cinéaste tunisien Nouri Bouzid (à qui l’on doit notamment Bezness sur la prostitution masculine où joue Abdellatif Kechiche) et propose au moins quatre portraits de femmes. Les épouvantails a été également sélectionné à Venise à la fin de l’été. La figure centrale est Zina (sublime Nour Hajri), jeune femme partie pour suivre son amour en Syrie où ce dernier l’a vendue enceinte et où elle a été esclavagisée et séparée de son enfant. Elle s’est échappée de cet enfer avec Djo, devenue muette et est revenue chez sa mère, qui donne son titre au film : la maman est artiste, a quitté le père pour ouvrir un atelier de petites sculptures-épouvantails et recueille les deux femmes. Une quatrième femme forte est au cœur de l’intrigue : l’avocate qui va peut-être pouvoir défendre une Zina plus morte que vive des accusations de terrorisme lancées contre elle. Alors qu’on suit Zina lutter entre pulsion de vie et de mort, entre mutisme et envie de se confier, et osciller entre figure de honte, de méfiance, de haine ou de pitié, c’est peut-être un homme, homosexuel, qui va pouvoir la sauver… Malgré la charge de l’intrigue et des flash-backs qui empèsent le propos, le jeu extraordinaire des acteurs nous emporte dans les tourmentes des personnages : l’on ressent de la peine pour la jeune femme flouée et emmenée au bout de l’enfer aussi bien que pour sa mère qui ne peut s’empêcher et de la protéger et d’avoir aussi un peu honte. Les petites phrases de femmes émaillées dans le film viennent nuancer et piquer de questionnement tous les clichés et surtout : la psychologie semble tellement plus complexe et effroyablement passionnante que celle que nous proposent les films européens sur les jeunes partis rejoindre l’Etat Islamique… Ici amour, honneur, patrie, révolution avortée, conflits familiaux et désirs personnels se mélangent pour un portrait de Zina qui échappe à l’incontournable duo : gamin perdu, famille coupable qu’on trouve pour expliquer l’inexplicable.

Comment une jeune-femme de caractère indépendant a-t-elle pu suivre de son plein gré un homme qui l’a menée à la défense de la loi de la mort et l’a laissée être abusée par d’autres soldats de cette cause effroyable ? Alors que les rythmes et rebondissements du film refusent la ligne droite, jamais la responsabilité de la jeune femme n’est mise en cause : elle y est allée, elle est une victime qui a forgé ses propres fers et s’en est sortie. La complexité de cette situation insupportable n’est jamais simplifiée ce qui rend ces Epouvantails sensibles et arides, tout à fait précieux. A noter : la simplicité de la musique a aussi participé à notre émotion.

A 14h, passage à un peu plus de légèreté avec le maître de la comédie italienne d’après l’âge d’or, Paolo Virzi, dont le loufoque Baci et Abracci (1998) nous a plongés au cœur d’un quiproquo entre un restaurateur suicidaire et d’anciens ouvriers reconvertis en éleveurs d’autruches. Truculent, un peu daté et délicieux.

A 16h, retour à la compétition, avec Deux, un premier long-métrage de Filippo Meneghetti distribué en France par Sophie Dulac (sortie prévue le 29 janvier 2019) qui suit deux femmes septuagénaires qui se font passer pour des voisines alors qu’elles s’aiment depuis plus de vingt ans. Alors qu’elle comptent enfin aller vivre leur amour au grand jour à Rome, loin de la famille de la plus “conservatrice” et française des deux, un accident force le destin et révèle la vérité au grand jour. Avec un excellent casting (la Lola de Fassbinder et Rosa Luxembourg de Margarethe von Trotta en Nina, une grande dame de la Comédie Française, Martine Chevallier en Madeleine et la toujours excellente Léa Drucker en fille un peu dépassée de cette dernière) le film a la qualité d’aborder frontalement et dans ses dialogues des questions qui fâchent : qu’est-ce qui gêne tant chez deux vieilles dames qui s’aiment ? Et surtout quels droits pour la vieille dame qui reste lorsque sa compagne a voulu vivre leur passion cachée ? Il n’empêche que les crises d’hystérie, les images parfois trop travaillées et la direction d’acteurs très dramatique, ne permettent pas tout à fait d’accrocher au propos – pourtant important – qui est tenu.

Enfin, alors qu’il a fallu manquer la séance spéciale d’hommage à Jean-Pierre Mocky avec la projection des Saisons du plaisir (1988) pour manger un petit quelque chose, la soirée était placée sous la bonne étoile d’une série de Arte et des Films du Poisson, L’agent immobilier, qui met en scène Mathieu Amalric en agent immobilier fauché qui doit dormir sous les toit qu’il tente de vendre. A la mort de sa mère, il hérite d’un immeuble délabré dans le 19e et de bien des problèmes … Une série, où l’on croise un notaire, beaucoup d’emmerdeuses et un poisson rouge, de 4X52 min réalisée par Shira Geffen et Etgar Keret. Le bonus ? Eddy Mitchell joue le père de Amalric dans cette série primée pour son scénario à La Rochelle.

A 21h30, c’est dans la plus grande salle du Corum qu’a eu lieu la projection du dernier film du cycle Anna Magnani : Vulcano de William Dieterle (1950) , qui est l’anti-Stromboli à l’heure où Roberto Rossellini a quitté l’actrice pour Ingrid Bergman. L’histoire est naturaliste : l’héroïne rentre sur son île volcanique vivre avec ses jeunes frères et sœurs après avoir dû se vendre à Naples. Le comité d’accueil des vieilles matrones hideuses est absolument infect jusqu’à lui barrer le chemin de l’église. Une pellicule que le visage de Magnani imprime comme un aimant. 

La nuit de cette veille de fin de festival a été marquée par la célèbre Nuit en enfer, où chacun arrive déguisé et joue le jeu de Halloween, un peu en amont, avec cette année un programme qui regroupait le nouveau film de Peter Strickland In fabric (vu l’an dernier aux Arcs, sur nos écrans le 7 novembre), du Dario Argento, Lucio Fulci mais aussi Evil Dead 2. Et cette édition a été préparée par trois rendez-vous fantastiques au cours de Cinemed, notamment Action Mutante, de Alex de la Iglesia, The room de Christian Volckman et une nouvelle version director’s cut de Irréversible par Gaspar Noé, absolument pleine à craquer. 

visuels : YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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