[Critique] « Mediterranea » Film d’actualité sobre et juste sur la vie de migrant clandestin en Italie
Mediterranea sort en salles au moment où l’Europe est encore sous le choc de la photo d’Aylan Kurdi, enfant syrien retrouvé mort, noyé, sur les plages d’une station balnéaire turque. Mediterranea parle moins de l’horreur de la traversée que des difficultés d’intégration à l’arrivée. Jonas Carpignano réussit une chronique sobre et juste sur la clandestinité, l’espoir et les désillusions qu’elle engendre. Un film d’actualité, à voir en salles.
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Synopsis officiel : Ayiva quitte le Burkina Faso, traverse la Méditerranée et rejoint le Sud de l’Italie. Rapidement confronté à l’hostilité de la communauté locale, sa nouvelle vie s’avère difficile. Mais Ayiva reste déterminé : ici sa vie sera meilleure, quel qu’en soit le prix.
Depuis quelques mois, on ne les appelle plus clandestins ou sans-papiers mais “migrants” ou “réfugiés”, en mélangeant les termes et les statuts. Le sujet est brûlant, nourrit l’actualité et les passions, et a été abordé plusieurs fois au cinéma ces derniers mois. Le duo Toledano/Nakache en a fait le thème principal de Samba qui évoquait les galères d’un Sénégalais sans-papiers interprété par Omar Sy. Hope de Boris Lojkine montrait quant à lui à l’écran l’interminable périple d’un camerounais et d’une nigériane pour arriver en Europe. Mediterranea débute de la même manière en suivant son héros, Ayiva, du Burkina Faso jusqu’aux côtes italiennes, en passant par l’Algérie et la Lybie. En montrant l’horreur du voyage, le racket des migrants par les passeurs et les gangs criminels associés, la mort qui rode au sein du groupe. Dans un préambule qui pose le contexte d’épuisement psychologique dans lequel se retrouvent ceux qui auront réussi la traversée. Mais Mediterranea se focalise surtout sur l’après, sous la forme d’une chronique de la vie des clandestins dans une petite ville italienne.
Le parcours du combattant pour s’installer dans un squat, trouver du boulot dans les orangeraies et le garder, espérer le contrat qui pourrait ouvrir la voix vers une éventuelle régularisation. Le réalisateur Jonas Carpignano parle avec beaucoup de justesse de l’expérience de la clandestinité. L’exploitation économique, l’insécurité sur son logement, son statut, sa propre intégrité physique. La pression familiale, l’obligation de reposer sur les réseaux communautaires, la honte de ne pouvoir subvenir à ses propres besoins et de ne pas être en capacité de maîtriser sa propre vie. Mediterranea ne cherche pas le “scoop”, mais donne du temps, de la profondeur, et une épaisseur à ces personnages que l’on entrevoit d’habitude au mieux 5 minutes dans un reportage télévisé. L’ambition documentaire est assumée mais le film s’autorise des éléments de fiction et de dramatisation. Avec deux personnages principaux qui incarnent une alternative, face aux humiliations quotidiennes d’une existence illégale. Ayiva encaisse, ne répond pas, cherche à faire dans les règles, à se convaincre que les efforts paieront. Abas ne veut pas tout laisser passer, exprime sa frustration, sa colère, ses revendications.
La progression des deux personnages permet au film de dépasser le simple statut de témoignage. En finissant sur une escalade de violence, inspirée des événements survenus dans la ville de Rosarno il y a quelques années. Où le meurtre de deux africains par des milices racistes avait provoqué des émeutes de sans-papiers, protestant contre les violences dont ils étaient victimes. Mediterranea n’est jamais manichéen, montre aussi bien l’action du tissu associatif venant en aide aux migrants que la violence des groupuscules anti-immigrés. Le réalisateur évite également tous les écueils de ce genre de production : le misérabilisme, la bien-pensance, la démagogie. Pour nous proposer un film sobre mais en colère, émouvant mais jamais dans la compassion résignée. La chronique d’un espoir cassé par l’usure que représente la perte quotidienne de sa dignité. Un film plus que jamais d’actualité, à voir en salles.
Mediterranea, un film de Jonas Carpignano avec Koudous Seihon, Alassane Sy et Pio Amato, durée 1h47, sortie le 2/09/2015
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