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Yom : « On ne peut pas sortir de Baby Doll en faisant semblant qu’on n’a pas compris »

Yom : « On ne peut pas sortir de Baby Doll en faisant semblant qu’on n’a pas compris »

27 March 2020 | PAR Yaël Hirsch

Inspiré par le film d’Elia Kazan, Baby Doll est un spectacle initié par Marie-Ève Signeyrole et qui mêle danse, cinéma, musique symphonique et musique du monde pour évoquer le parcours de Hourria, 19 ans, Erythréenne qui a réussi à rejoindre Paris avec sa fille de 4 ans. Face à l’Orchestre de Chambre de Paris dans la 7e Symphonie de Beethoven, Yom et son quatuor proposent une musique d’inspiration orientale pour raconter cette Odyssée. Alors que le confinement n’a pas permis au spectacle de se jouer au mois de mars, Yom, tout nouvellement papa, nous parle de cette épopée tournera en 2020 et 2021 européenne.

Le confinement vous permet de rester à côté de votre fils ? Cela n’a pas trop affecté le projet Baby Doll ?
Absolument, mon fils vient de naître et le confinement me permet de passer du temps avec lui et ma femme. Quand le travail va reprendre, ce sera un autre mode. Pour Baby Doll, plusieurs dates ont été annulées mais seront reportées et en plus des nombreuses salles qui produisent le spectacle, qui est d’une énorme force politique et émotionnelle, l’Orchestre de Chambre de Paris veut faire circuler le projet. Nous devrions donc beaucoup le montrer à la fin de l’année et en 2021.

Vous avez rejoint le projet Baby Doll qui suit la trajectoire d’une migrante, un de vos albums s’appelle Le Silence de l’exode (2014) et une de vos dernières tournées s’intitule Éternelle Odyssée. Peut-on dire que le thème de l’exil est au cœur de vos préoccupations ?
Je pense que c’est avant tout des raisons personnelles et familiales qui m’ont mené vers cette thématique. Mes deux parents sont issus de familles et peuples qui ont été déplacés. Mon père est né dans le bassin minier de Lens, à un moment où, après des générations de mineurs dans sa famille, la mine s’est terminée. Il s’est retrouvé adopté à l’adolescence par un Américain. J’ai écrit l’album Song for an old man (2016) comme une relecture de l’exode américain de mon père, avec cette difficulté pour lui de ne pas pouvoir retourner aux sources. Quant à ma mère, elle est d’origine juive de Transylvanie, une région qui a été successivement entre la Roumanie et la Hongrie. Sans changer de village, la région changeait de nationalité plusieurs fois par siècle. Ce sont les lois roumaines interdisant aux juifs d’avoir accès à l’université qui ont poussé mon grand-père plutôt bon élève à quitter la Transylvanie pour immigrer en France, en 1936. Heureusement qu’il y a eu ces lois sinon on sait ce qu’il serait devenu… Pendant la Guerre, il faisait partie d’un réseau de résistants qui emmenaient les enfants en Suisse. Il a rencontré ma grand-mère à cette période. Elle était professeure de latin, grec et français au Chambon-sur-Lignon où elle enseignait auprès des enfants réfugiés. Tout cela mis bout à bout m’a sensibilisé à l’idée de l’appartenance, de l’identité, mais aussi de soudain devoir quitter son pays pour se retrouver dans un pays étranger et lointain. Alors que je me suis toujours intéressé à l’étrange, à l’ailleurs, le Silence de l’exode était un retour aux sources, une remontée à mes propres racines. Et c’était également une plongée dans l’Ancien Testament pour remonter 35000 ans en arrière. Mon dernier projet en trop avec Fréderic Deville au violoncelle et Régis Huby au violon se nomme en effet Éternelle Odyssée et se penche, comme Baby Doll, sur le sort des migrants, mis en abyme avec l’épopée d’Homère. Il s’agit de faire résonner des échos entre la chanson de geste d’Ulysse et les odyssées anonymes de milliers de personnes dont on n’entendra jamais parler, qui subissent l’exil et doivent accomplir des actes héroïques. Nous avons lancé ce projet avant que je rejoigne Baby Doll, qui traite d’une thématique tout à fait similaire.

Pouvez-vous nous parler du sujet de Baby Doll ?
C’est une adaptation par Marie-Ève Signeyrole du film d’Elia Kazan pour parler d’un sujet qui nous intéresse tous aujourd’hui : le problème des migrants par l’angle du traitement de la femme. Elle l’a fait d’une manière qui permet de parler des deux à la fois et d’universaliser son propos. Elle s’est rendue sur le terrain avec l’artiste en charge des vidéos du spectacle et elles ont rencontré Hourria, dont les récits ont inspiré tout le spectacle. C’est un spectacle dur qui raconte ce qui s’est vraiment passé. Et des textes informatifs apparaissent, qui ne laissent pas la possibilité de sortir de là en faisant semblant qu’on n’a pas compris. je suis impressionné et admiratif de la manière dont Marie-Ève traite notre sujet. Et je peux vous dire eu lors de la première, lorsque Hourria elle-même est montée sur scène, c’était très fort. Plus aucun doute n’était possible…

Vous dites avoir rencontré votre instrument, la clarinette, en écoutant Pierre et le loup de Sergueï Prokofiev. Avec Baby Doll vous retrouvez la musique classique; c’est aussi un retour aux sources ?

Même si j’ai découvert dès l’âge de 6 ans Naftuli Brandwine, mon clarinettiste klezmer préféré, mes parents qui m’ont offert tous ses disques étaient très mélomanes. Alors que mon grand-père hongrois jouait du piano et connaissait bien la musique classique, ils étaient ce type de famille où l’on écoutait huit versions différentes d’une symphonie. J’ai donc été élevé dans la musique classique, j’écoutais Bartok ou Brahms en cassette et j’ai décidé de faire de la clarinette mon instrument en écoutant Pierre et le loup mais écoté. Je suis entré au CNR de Paris à l’âge de 9 ans et poursuivi mes études en temps aménagé jusqu’à 17 ans où  j’ai eu le premier prix du conservatoire. J’ai alors dérivé vers le klezmer qui est devenu ma musique, mais tout mon background jusqu’à 17 ans est classique à 100 %. 

Le choix de la 7e Symphonie de Beethoven est-il impressionnant ?
Quand j’ai rejoint le projet Baby Doll, Marie-Ève Signeyrole et l’Orchestre de Chambre de Paris avaient déjà mis la 7e Symphonie au cœur du projet. Pour être franc, au tout début, comme on ne m’a pas bien expliqué le projet, j’ai failli dire non, car j’avais peur des mélanges entre Beethoven et la musique orientale. Deux jours plus tard, j’ai discuté avec Marie-Ève et le projet est devenu limpide : il ne s’agissait pas du tout de rajouter quelque chose à Beethoven ou de mélanger. Et la 7e Symphonie est parfaite : il y a des moments plus légers,  presque mozartiens,  et ce deuxième mouvement aux accents quasi-orientaux et qui peut faire le lien. Il y a cette couleur très solennelle qui évoque une marche, quasiment funèbre et se rattache aux épopées des réfugiés. L’instrument est la grosse caisse symphonique, qui peut faire le liant, parce qu’elle fait penser, en version géante à un daf ou un bendir, qui sont de grands tambours orientaux, qui se jouent avec les mains. Alors oui, on est du côté de la marche et du mouvement, mais cela ne peut pas être une aventure gentillette ou légère. Et de notre côté, il faut pouvoir répondre à un orchestre de 45 musiciens. On n’aurait pas pu le faire avec une guitare acoustique et une clarinette. J’ai tout de suite pensé à quelque chose d’assez orchestral : avec une grosse caisse donc mais aussi un piano à queue, un violon ténor avec des effets pour se différencier de Beethoven, et un tout petit peu d’électricité voire d’électronique pour la réverbération sur les cordes frappées. D’un côté Beethoven représente l’eldorado occidental à atteindre, un idéal vers lequel on veut aller. Et notre quatuor avec Léo Jassef, Régis Huby et Maxime Zampier, avec qui je travaille depuis longtemps, fait plutôt la narration du quotidien, de la réalité du chemin. C’est quelque chose d’un peu littéral. Il y a eu une belle entente avec l’Orchestre de Chambre de Paris, et ayant compris qu’on m’avait appelé pour une mission précise, qu’on avait envie de mon côté lyrique et aussi un peu dramatique, j’ai vite compris que pour que les choses fonctionnent et qu’il n’y ait pas d’antagonisme, il me fallait mettre mon ego de côté pour me glisser dans ce qui était possible.

Dans ce spectacle, il y a aussi de la danse et des écrans, c’est un « art total » ?
Cela faisait des années que je n’avais pas participé au projet de quelqu’un d’autre et à chaque fois ce que je recherche, c’est à faire partie d’un tout où chacun est convoqué en fonction de ce qu’il représente profondément, artistiquement. Et du coup, chacun est à sa place. Marie-Ève est experte en image et en mise en scène. Pour la musique, elle a fait certaines remarques très fines mais en dehors de cela j’avais carte blanche. En plus des danseurs, de l’orchestre symphonique et de nous, il y a un écran sur scène qui déroule un film fait en direct par une cadreuse qui a l’air d’une danseuse elle-même… Réunir tous ces différents media et manières de faire c’est un tour de force et que tout marche ensemble, un grand bonheur.

Où en êtes-vous de vos autres projets comme les Wonder Rabbis et la composition ?
J’ai en effet commencé les Wonder rabbis, un groupe de musiques actuelles dansant en 2010, j’ai arrêté en 2013 puis repris en 2017 et nous avons refait un disque. En ce moment ce projet est à nouveau en pause, je travaille sur des créations plus acoustiques en ce moment. Le trio Éternelle Odyssée a beaucoup tourné et on reprendra à la fin du confinement. Je viens d’enregistrer mon prochain album avant la création de Baby Doll. Il s’appellera Célébration, sortira à l’automne et célèbre la naissance de mon fils qui vient de naître. C’est un album de studio où le compositeur prend peut-être le pas sur le clarinettiste. Certains morceaux sont dans clarinettes, il y a aussi de la grosse caisse symphonique et du piano, c’est tout. Alors que j’ai installé un studio à la maison, je travaille également sur une composition pour un spectacle de danse contemporaine avec Jan Gallois et je travaille aussi avec avec un cinéaste qui s’appelle Dayan David Oualid et a remporté plusieurs prix avec son court-métrage  Dibbuk. Je compose la musique de deux longs-métrages qu’il est en train de finaliser. Je réalise que de plus en plus, je suis dans une phase de composition et après 22 ans sur les routes, je fais un peu moins de tournée.

Baby Doll, conception : Marie-Ève Signeyrole, Orchestre de chambre de Paris, Intermèdes musicaux et clarinette : Yom, Piano : Leo Jassef, violon ténor : Régis Huby, percussions : Maxime Zampieri; avec Annie Hanauer, Stencia Yambogaza et Tarek Aït Meddour, Coproduction : Orchestre de chambre de Paris, Cité musicale-Metz / Auditorium, Orchestre national de Lyon, Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, Opéra de Rouen Normandie, Fondation Calouste-Gulbenkian de Lisbonne, Philharmonie de Paris.
Production déléguée : Orchestre de chambre de Paris.

Visuel : Portrait de Yom (c) Arno Weil – Photos de pré-production (c) DR

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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