Contes du hasard et autres fantaisies de Ryusuke Hamaguchi : Introspection(s) du destin
Lion d’argent à la dernière Berlinale, Contes du hasard et autres fantaisies signe le retour de Ryusuke Hamaguchi sur les écrans de cinéma, seulement quelques mois après le multi-récompensé Drive My Car. Il y explore une nouvelle fois les relations humaines par une sublimation du dialogue, entre théâtralité assumée et virtuosité dans sa mise en scène.
Monologues du destin
Trois chapitres pour raconter plusieurs destins. Tel est le point de départ du récit, promesse non-avouée d’un semblant de films à sketchs. Contes du hasard et autres fantaisies s’attarde sur trois récits à première vue bien distincts : le premier est le portrait des tribulations d’un triangle amoureux, le deuxième une sombre histoire de manipulation sexuelle et le dernier une rencontre hasardeuse qui réserve des malentendus. Dès lors, la magie du cinéma d’Hamaguchi se met en place : les rencontres se font au gré des coïncidences, cloisonnant ses personnages dans un monde à part qui paraît peu peuplé. La construction narrative de ces différentes parties se caractérisent par un développement passant par un art sublimé du dialogue, celui qui creuse les relations et provoque les tourments. Dans un premier monologue puissant de réalisme, une femme raconte le déroulement d’un rendez-vous amoureux à son amie dans un taxi. À travers une écriture remarquable, Hamaguchi et ses scénaristes parviennent à rendre le récit pictural par l’utilisation de descriptions détaillées, rendues possibles grâce à la force de ses acteurs, loin des grands gestes et des expressions forcées afin de privilégier une subtilité dans le jeu.
Les autres monologues qui parsèment ces trois histoires puisent dans la même ressource, interrogeant même la notion d’auteur dans sa seconde partie. Quand une femme lit un passage érotique à un écrivain, celui-ci est comme médusé : il se comporte comme un automate, considérant son écriture comme un geste simple s’opérant sans arrières-pensées. L’art du dialogue puise alors aussi bien dans la fiction que dans une réflexion de la notion d’auteur. Quand un cinéaste capture des scènes de sexes, pense-il à la même chose ? Dans cette approche fascinante du récit de chantage, la mécanique de la fiction laisse place à des interrogations quasi-autobiographiques, passant encore et toujours par cette ambivalence des dialogues et par le réalisme qui en découle. Contes du hasard et autres fantaisies apparaît alors comme le film le plus réaliste de son auteur, les trois histoires y faisant apparaître des schémas narratifs constamment crédibles.
Si les deux premières parties mettent en avant un art du réalisme, la troisième partie entreprend de poursuivre dans cette dynamique, tout en s’armant d’une aura fantastique. En mettant en scène deux femmes qui pensent se connaître, Hamaguchi puise directement dans une idée de poétique de la rencontre, se rapprochant du cinéma de Hong Sang-Soo tout en conservant les principes narratifs de son propre travail, s’incarnant dans l’utilisation du monologue pour purger les états d’âmes, cristallisée par deux actrices émouvantes à l’alchimie parfaite.
Contes du Hasard et autres fantaisies est donc le fruit d’une exception du genre : c’est un film à « sketches » assez unique, chaque récit proposant quelque chose de semblable en guise de qualité. La segmentation est ce qui colle le mieux au cinéma de Ryusuke Hamaguchi : si Drive my Car n’est pas à proprement un film à sketches, son découpage en prologue, développement et conclusion résulte d’une ambition semblable : montrer des fragments de vies par l’extériorisation des sentiments à travers un véritable art du dialogue.
Finesse du naturel
Au-delà de cet aspect, Contes du hasard et autres fantaisies propose une vision peu singulière dans son approche narrative. Le cinéaste réussit avec brio à raconter des choses déjà vu mille fois dans le cinéma contemporain, comme ce triangle amoureux entre deux femmes et un homme et cette tentative de séduction dans le but d’amener au chantage.
Pourtant, le naturel de la mise en scène d’Hamaguchi parvient à rendre le déjà-vu original. Le réalisateur s’écarte d’un certain manichéisme et du mélodrame exacerbé aux accents occidental en plaçant sa caméra directement au coeur de l’action, postant le spectateur directement devant le fait accompli. Les nombreux plans-séquences, qui se caractérisent par une succession de longs monologues, restreignent le spectateur au cœur de la fiction, ne lui laissant aucune échappatoire. Il est dès lors facile d’être captivé par ce jeu des situations. La mise en scène apparaît ici comme un modèle d’épuration, le dépouillement du cadre permettant un rendu réaliste faisant primer le sentiment. Le montage de Contes du Hasards et autres fantaisies participe à cette idée, et en est l’une des ses plus grandes qualités : il est réduit à son simple minimum, servant simplement à donner un rythme pour échapper à la lenteur, tout en gardant dans son aspect le plus véritable la vision du sentiment amoureux/amical comme Ryusuke Hamaguchi sait si bien le faire.
Contes du Hasard et autres fantaisies s’impose alors dans la continuité du travail du cinéaste, entre épuration stylistique et domination du dialogue, pour trois récits fascinants et passionnants sur les relations humaines et leur(s) symbolique(s) dans la société japonaise d’aujourd’hui.
Sortie le 6 avril 2022.
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