Yayoi Kusama, météore hallucinée
Le Centre Pompidou présente la première rétrospective française consacrée à l’artiste japonaise Yayoi Kusama. Dans cette coproduction culturelle avec le Musée Reina Sofia de Madrid, la Tate Modern à Londres et le Withney Museum à New York, la commissaire Chantal Béret a choisi de mettre en avant l’œuvre sculpté ainsi que les performances.
Suivant un parcours chronologique, l’exposition scinde le corpus de 150 œuvres en trois grandes parties. Une trajectoire qui évoque celle d’un boomerang : en quête d’une voie d’expression pour canaliser les hallucinations qui hantent son imaginaire depuis toute petite, Kusama « entre en art » après la Seconde Guerre mondiale ; l’exil cathartique à New York, de 1958 à 1973, lui offre un temps de résilience, lorsque ses préoccupations intimes et métaphysiques entrent en résonance avec le bouillonnement de la scène artistique locale ; enfin, lorsque son paysage mental s’assombrit, Yayoi Kusama décide de rentrer dans son pays natal.
Japon, 1949-1957
Née en 1929 d’un père horticulteur, Yayoi Kusama raconte avoir vécu une expérience hallucinatoire fondatrice, figurée dans l’œuvre tardive qui ouvre l’exposition : un jour, à table avec ses parents, elle a l’impression que le motif floral de la nappe envahit l’espace environnant, jusqu’à consteller les murs de fleurs, prémices des troubles mentaux qui ne la quitteront plus. Rapidement, elle adopte un principe de sérialité assorti d’une pratique du allover qui confine à l’horreur du vide. Sont également convoqués la faune et la flore, assimilés à un répertoire de formes surréelles et organiques qui l’aident à exprimer l’effroi qui l’anime.
New York, 1958-1973
Après un bref passage par la côte Ouest, où son travail sur la peinture comme écriture rencontre un écho dans l’oeuvre de Mark Tobey, Kusama gagne la métropole culturelle et se fond dans le décor. À New York, Kusama découvre surtout que l’art est politique, et vice-versa. En 1966, année charnière dans son œuvre, elle élabore le concept de Self Obliteration : soit comment redonner sa place à un corps qu’elle vit comme invisible, perdu dans l’univers ? Son propre cheminement rencontre deux revendications majeures de la fin des années 1960 aux États-Unis : la libération des corps ainsi que la protestation civile contre la situation politique au Vietnam. Véritable caméléon, Kusama se frotte à ces deux réalités en investissant les lieux publics de sa nudité insolente.
Ses sculptures molles comme ses installations composées à partir d’objets trouvés dans la rue que Kusama métamorphose en mobilier hérissé de formes phalliques interrogent la sexualité et la féminité, selon des thématiques qui évoquent le travail d’Eva Hesse ou Louise Bourgeois. Des rapprochements souvent niés par Kusama, tant son art est le fruit d’une lutte perpétuelle contre la dissolution de son être, contre l’immensité de l’infini, dans une volonté paradoxale qui affirme son identité en même temps qu’elle la camoufle. Notons par ailleurs que son recours fréquent au principe de sérialité marquera durablement Andy Warhol.
Tokyo, 1973
En 1973, la perte successive de son ami Joseph Cornell et de son père réveillent les démons assoupis, et après une tentative de suicide en 1976, Kusama choisit un mode de survie qui prend la forme d’une réclusion volontaire dans un « hôtel » psychiatrique, ponctuée de séances créatrices quotidiennes dans son atelier. Le caractère obsessionnel et répétitif de son travail actuel perd peut-être en intensité ce qu’il gagne en pouvoir apaisant pour leur auteure.
Reste une œuvre protéiforme, foisonnante, obsessionnelle, dont les sculptures et les environnements psychédéliques et colorés enchanteront petits et grands.
« Ma vie est un pois perdu parmi des milliers d’autres pois », Yayoi Kusama.
Visuels :
Dots Obsession, Infinity Mirrored Room, 1998. ©Jean-Luc Auriol.
No. A.B., 1959. ©Yoshitaka Aoki.
Anatomic Explosion, 1968. ©Kusama Studio, Ph. Bob Sabin
The Moment of Regeneration, 2004. ©Courtesy Victoria Miro Gallery, Londres. Ph. Keizo Kioku.
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