Des souris (des chats, des chiens, des chevaux…) et des hommes à la MCJP
Pour ses 25 ans, la Maison de la culture du Japon à Paris a choisi de mettre en lumière la relation symbiotique qui existait entre hommes et animaux aux époques Edo et Meiji avec son exposition Bestiaire japonais. Un regard sur le passé pour reconsidérer le présent.
On entend régulièrement des histoires venant du Japon telles que celle de Tama, le chat calico qui travaillait comme chef de gare. Cela, tout comme la popularité des bars à chats, chouettes ou hérissons, nous laisse apercevoir la relation particulière qu’entretiennent les japonais avec les animaux. Mais sur quoi se fonde cette attitude singulière, mêlée de respect et d’affection ? C’est la question sur laquelle l’exposition Bestiaire japonais, conçue en collaboration avec le Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum, s’est penchée.
Resserrée autour des animaux en milieu urbain, à Tokyo du XVIIIe au XIXe siècle, l’exposition se divise entre les animaux domestiqués, les animaux sauvages et les animaux rares. A cette époque, Tokyo s’appelait encore Edo et le pays était gouverné par le Shogun et ses seigneurs guerriers. La ville comportait de plus grands espaces sauvages, dont certains étaient protégés pour les animaux chassés par la noblesse, tels que les grues ou les cerfs, ou pour l’entretien des nombreux chevaux nécessaires aux militaires. On peut donc imaginer que la biodiversité était plus importante qu’aujourd’hui, où Tokyo est devenue très minérale.
Par le biais d’estampes, de livres ou d’objets variés, nous pouvons observer à quel point les animaux sont liés au quotidien des japonais. Les chevaux sont les plus représentés, transportant les seigneurs, tirant les calèches ou aidant aux travaux agricoles, aux côtés des bœufs. On remarque également beaucoup de petits animaux. En liberté dans les rues de la ville, traités comme les animaux du quartier, ou dans les intérieurs, chiens, chats, poissons rouges et oiseaux évoluent autour des personnages, trônant parfois au centre de la composition de l’image.
Si l’attitude des personnages est parfois très câline, comme cette jeune fille et son chat de l’estampe de Tsukioka Yoshitoshi, on remarque que cela constitue une exception. La plupart du temps, l’animal est traité comme le serait un humain, allant jusqu’à ajouter le suffixe de politesse -san après le nom de l’animal comme le notait Edward S. Morse, zoologue relatant son séjour au Japon. Les animaux sont des habitants de la ville au même titre que les humains, même quand ils provoquent des dégâts ou sont porteurs de maladies comme les rats, également considérés comme les messagers du dieu de la fortune.
Généralement, les animaux ne sont pas le motif principal de l’estampe. Ils se fondent dans l’image, et comme sur les Paravents des vues d’Edo, il faut les chercher, être attentif aux détails pour ne pas les confondre avec un élément de décor. Mais ils sont bien présents, pleinement intégrés au quotidien. Nous mettons là le doigt sur une différence de regard entre occidentaux et japonais. En Europe, l’animal est considéré comme inférieur à l’humain : il est là pour nous servir, nous amuser ou nous nourrir. Au Japon, il est un être vivant comme un autre, faisant partie de la nature au même niveau que l’homme.
Mais il n’est pas non plus question ici d’idéaliser les relations entre hommes et animaux. La chasse est représentée, tout comme la consommation de viande, mais tous les deux restant marginaux, l’une réservée aux seigneurs, l’autre n’apparaissant que tardivement (XIXe siècle). Toute une section souligne l’intérêt des japonais pour les animaux exotiques comme les éléphants, les paons ou encore les tigres ou les animaux de cirque. Ceux-ci étaient alors maintenus en captivité pour des attractions de rue, comme sujet d’observation dans des maisons de thé ou dans ce qui deviendra des zoos.
Cette relation entre hommes et animaux était tellement évidente pour les japonais de l’époque qu’elle n’a pas été documentée. On en trouve des témoignages indirects par des textes d’étrangers, des motifs sur les estampes ou sur des objets du quotidien, mais avec le temps, une forme d’oubli s’est installée. Car la nécessité de régulation des épidémies, l’urbanisation moderne et l’influence de l’occident ont distendu les liens qui existaient alors. Mais puisqu’ils semblent survivre dans l’inconscient collectif, se les remémorer pourrait alors permettre d’agir pour la réinstauration d’une biodiversité plus large dans les villes. Et ainsi, laisser plus de place aux autres espèces que la nôtre, pour une cohabitation harmonieuse et respectueuse entre tous les êtres vivants.
Bestiaire japonais – vivre avec les animaux à Edo-Tokyo (XVIIIe-XIXe siècle)
Du 09 novembre 2022 au 21 janvier 2023
Maison de la culture du Japon à Paris
Le catalogue de l’exposition :
Coédition Éditions Gourcuff Gradenigo – MCJP
Avec les textes de Shûko Koyama, Tomoko Kawaguchi, Edo-Tokyo Museum, et de François Lachaud, Directeur d’études à l’École française d’Extrême-Orient
160 pages, 16,5 x 24 cm, 22 €
Visuels : 1- Trente-deux façons d’être : Être agaçante – Façon d’être d’une jeune femme de l’ère Kansei, Tsukioka Yoshitoshi, 1888 – collection du Edo-Tokyo Museum / 2- Coutumes et bonheurs de l’Est : Les souris de la prospérité, Yôshû Chikanobu, 1890 – collection du Edo-Tokyo Museum / 3- Album des insectes choisis, Kitagawa Utamaro, 1787 – collection du Edo-Tokyo Museum / 4- Célèbres lapins d’aujourd’hui, Anonyme, début de l’ère Meiji (1868-1877) – collection du Edo-Tokyo Museum / 5- Course de chevaux à Ueno-Shinobazu, Hashimoto Chikanobu, Première moitié de l’ère Meiji (1868-1890) – collection du Edo-Tokyo Museum